Tiens, j'ai pas encore de titre! Et pourtant on en est à la partie 4!

 

 

Le lendemain matin, Thomas s’éveilla le corps douloureux des coups de la veille. La pommade que lui avait appliquée Mathieu lui avait certes fait du bien mais il se sentait tout de même en mauvaise forme. Il essaya de bailler mais ses lèvres gonflées l'en empêchèrent. Il avait la vague impression que s’il ouvrait la bouche trop grand, celles-ci allaient se rouvrir sans plus de formalité. Il abandonna également l’idée de s’étirer tant ses muscles lui faisaient mal. Se passant une main sur le visage pour inspecter l’état de celui-ci, il scruta la pièce du regard à la recherche de Mathieu. Mais le jeune peintre n’était plus là. L’unique trace qu’il avait laissée était sa couverture soigneusement pliée près du poêle dont le feu était désormais mort.

Pendant un instant, Thomas paniqua. Et si finalement Mathieu l’avait abandonné ? Mais son esprit mit bien vite un terme à cette pensée insensée. Mathieu lui avait promis qu’il resterait près de lui et Thomas n’avait aucune raison de ne pas lui faire confiance. De plus, il ne serait pas parti sans sa couverture, c’était absurde ! Il ne devait sans doute pas être loin… Peut-être même était-il parti au port pour dessiner un peu. Après tout, il devait être déjà tard d’après la lumière vive qui envahissait la pièce. Décidément la journée de la veille l’avait vraiment épuisé et il avait dormi bien plus longtemps qu’à l’accoutumée.

Il allait difficilement se lever lorsque la porte du petit appartement s’ouvrit et que Mathieu, radieux, déboula dans la pièce, un petit pain rond à la main. Le peintre lui sauta pratiquement au cou avant de se raviser et de s’asseoir plus calmement à ses côtés sur le lit.

-Je suis content de voir que tu es réveillé !

Thomas ramena en arrière ses longs cheveux qu’il n’avait pas eu le temps se démêler le soir précédent.

-Je viens juste d’ouvrir les yeux, murmura-t-il, la gorge enrouée et enflée d’avoir trop crié. Sa langue était pâteuse et sa bouche le faisait souffrir mais au moins arrivait-il à articuler quelques mots.

Mathieu le regarda d’un air peiné.

-Tu es encore mal en point, constata-t-il. Je suis vraiment désolé, c’est de ma faute.

Tendrement Thomas posa la main sur la sienne et la serra.

-Ce n’est pas grave, croassa-t-il difficilement.

Mathieu éclata de rire.

-Tu as une de ces voix mon pauvre ! Tiens je t’ai ramené ça pour me faire pardonner, ce n’est pas grand chose mais c’est tout ce que j’ai pu acheter.

Et il lui tendit le morceau de pain.

-Ca te servira de petit déjeuner ! Je t’aurais bien pris un peu de viande comme accompagnement mais je n’avais vraiment pas les moyens !

Thomas lui sourit autant qu’il le pouvait et prit le quignon. Mathieu en profita pour se lever, se rendre près de la table faisant office de bureau et servir un verre d’eau qu’il ramena à Thomas.

-Ca t’aidera à faire passer le pain sec ! plaisanta-t-il.

-Merci… Mais dis-moi, tu as mangé toi au moins ?

Mathieu haussa les épaules.

-J’ai un peu grignoté ! Tu sais je ne suis pas un gros mangeur de toute façon.

Thomas regarda le visage pale et mince de Mathieu. Il ne mourrait sans doute pas de faim mais il ne mangeait pas non plus à tous les repas. Mais cela ne faisait que rajouter quelque chose à son charme fragile qui plaisait tant à Thomas. Ce dernier soupira.

-Tu es sûr que tu n’en veux pas un morceau ?

Mathieu secoua énergiquement la tête.

-Oui, oui ! C’est un cadeau ! Mange voyons !

Son estomac commençant à se faire sentir, Thomas voulut croquer dans le croûton. Mais sa bouche enflée l'empêchait d’ouvrir suffisamment la mâchoire pour cela et il ne réussit qu’à détacher quelques miettes.

Mathieu pouffa et lui prit le pain des mains. Lorsque Thomas le regarda d’un air interrogateur, il lui rétorqua malicieusement.

-Laisse-moi t’aider ! Tu es même trop mal en point pour te nourrir tout seul ! Après tout comme c’est ma faute…

Il mordit dans le quignon et en détacha un morceau important, puis il le prit entre ses doigts et le porta au niveau des lèvres de Thomas qui le fixait toujours, interloqué.

-Eh bien vas-y, l’encouragea Mathieu, mange ! N’aie pas peur, je ne suis pas malade voyons !

Thomas secoua la tête. Quel idiot il faisait ! Mathieu cherchait juste à lui rendre service et lui, pervers qu’il était, il commençait à imaginer des choses…

Doucement il attrapa du bout des lèvres le morceau de pain, en évitant soigneusement de frôler de quelque manière que ce soit Mathieu.

Intérieurement le jeune peintre jubilait. Quelle bonne idée il avait eu là d’acheter ce morceau de pain ! Cela prenait une tournure à laquelle il n’avait même pas songé, mais qui finalement s’avérait des plus intéressantes. Et Thomas qui agissait encore à son encontre comme s’il était une jeune vierge effarouchée ! Il allait vraiment devoir le secouer un peu !

Lentement, presque langoureusement, Mathieu détacha du bout des doigts un second morceau de pain, conscient de Thomas qui le dévorait des yeux et le porta de nouveau aux lèvres de l’écrivain. Et tout comme la première fois, le jeune homme se contenta de l’attraper du bout des lèvres, sans même chercher à tirer profit de la situation.

Mathieu soupira. Il savait qu’il plaisait à Thomas, sa réaction de la veille l’avait suffisamment prouvé, et pourtant il restait encore tellement coincé. Parfois Mathieu en maudissait presque ce physique quasi angélique qu’il avait tellement les gens le prenaient pour ce qu’il n’était pas.

Il nourrit encore Thomas de la même façon pendant quelques tours mais jamais l’autre ne poussait plus loin le jeu. Finalement, alors qu’il en était presque au bout du pain, Mathieu détacha un morceau plus petit et lorsque Thomas ouvrit tout doucement la bouche pour le saisir, il glissa le bout de son doigt entre les lèvres enflées qu’il caressa délicatement. Thomas sursauta, mais plus sous l’effet de la surprise que de la douleur. Il avait bien espéré mais jamais imaginé que Mathieu puisse ainsi… Ce dernier retira lentement son doigt de la bouche de Thomas et comme si de rien n’était, détacha un autre morceau de pain.

Thomas aurait pu commencer à se poser des questions sur l’attitude de Mathieu mais avant qu’il n’en ait eu le temps, le peintre lui présenta un autre morceau de nourriture et c’est sans réfléchir que cette fois-ci il prit le pain et la première phalange de Mathieu entre ses lèvres. Ce dernier ne put retenir un petit sourire de satisfaction. Enfin Thomas réagissait à son petit manège.

Thomas coinça par réflexe le morceau de pain qu’il ne pouvait mâcher au fond d’une de ses joues alors que sa langue se mit à caresser tendrement le doigt de son ami. Réalisant soudainement ce qu’il était en train de faire, Thomas recula la tête et laissa s’échapper le doigt de Mathieu qui se renfrogna légèrement.

Baissant la tête presque honteusement, Thomas se dépêcha de mastiquer son pain. Il s’était laissé intoxiquer par la beauté de Mathieu. D’un autre côté l’attitude du peintre était bien étrange, c’était comme s’il l’avait poussé à faire cela. S’était-il trompé ? Son peintre n’était-il pas l’être d’innocence et de pureté qu’il avait imaginé ? Avait-il délibérément agit de la sorte ? Il ne savait plus trop que penser.

Mathieu ne pouvait se retenir de sourire à la vue de Thomas, visiblement assailli de questions et de doutes. Eh bien il se devait de mettre un terme à ses doutes… Même s’il trouvait cela follement amusant de jouer ainsi avec Thomas. C’était également la meilleure solution pour que l’écrivain s’attache vraiment à lui… Jouer et le surprendre… Et finalement gagner. Oui, semer le trouble dans son esprit et le déstabiliser un peu, voilà une idée qui plaisait véritablement à Mathieu.

Il regarda le morceau de pain qu’il tenait à la main… A peine deux bouchées de croûte un peu trop cuite. Il porta le croûton à sa bouche et mordit dedans, le coupant en deux. Il garda l’une des parties au bout de ses lèvres avant de mastiquer l’autre et de l’avaler.

Près de lui, Thomas le regardait d’un air presque inquiet.

Mathieu se retint de rire et le dernier morceau de pain toujours entre les lèvres, il s’approcha de Thomas pour lui présenter. Son ami sembla hésiter un moment, puis fixant les yeux d’azur de Mathieu il se rapprocha et saisit le pain, leurs bouches se frôlant au passage.

A ce simple contact, Thomas sentit des frissons de plaisir et d’excitation lui parcourir tout le corps. L’attitude de Mathieu ne lui laissait plus aucun doute. Il le désirait, et peut-être autant que lui le désirait. Thomas voulut approfondir ce début de baiser mais soudainement Mathieu se leva du lit, saisit son sac et le gratifiant de son plus beau et plus angélique sourire, l’informa qu’il allait au port, histoire de se faire un peu d’argent.

Avant que Thomas n’ait eu le temps d’esquisser le moindre geste ou de dire le moindre mot, la porte de l’appartement s’était refermée et Mathieu avait disparu.

Thomas poussa un long soupir en s’appuyant contre le mur froid près duquel se trouvait son lit. Quel bien étrange réveil, il avait presque l’impression d’avoir rêvé toute la scène, et pourtant c’était bien la réalité, le dernier morceau de pain qu’il avait encore à la bouche le prouvait. En souriant d’un air presque béat, il mastiqua et l’avala avant de faire passer le tout avec une gorgée du verre d’eau que Mathieu lui avait servi. Le peintre avait vraiment une façon de se comporter des plus étranges… Du moins par rapport à ce que s’était imaginé Thomas à son sujet. Il l’aguichait et puis soudainement s’en allait comme s’il ne s’était rien passé. Bah, se dit Thomas, il attendrait le soir et le retour de son ami pour voir comment il devait réagir à cela. La façon dont Mathieu se comporterait vis-à-vis de lui… En attendant il avait quand même du travail, les aventures du Capitaine Lewis n’allaient pas s’écrire toutes seules !

Difficilement, il se leva et se rendit jusqu’à la table où l’attendait son manuscrit.

 

*********************

Thomas n’était pas sorti de la journée, comme cela lui arrivait souvent quand il se plongeait dans son roman, mais il avait tout de même pris la peine de se décrasser un minimum, de démêler ses cheveux embrouillés par deux jours sans coup de brosse et de changer de vêtements, ce qui n’était pas du luxe. Il n’avait pas oublié, comment l’aurait-il pu d’ailleurs, que désormais il partageait sa chambre avec Mathieu et tenait quand même à faire bonne impression à son compagnon. Le reste de son temps, il l’avait consacré à l’écriture, tentant d’occulter toutes les pensées le ramenant à Mathieu pour uniquement se concentrer sur son justicier des mers.

Le soir commençait à tomber et il s’apprêtait à allumer son bougeoir lorsque la porte de l’appartement s’ouvrir et que Mathieu entra, la mine un peu fatiguée mais visiblement heureux d’être là.

-Je suis rentré, annonça-t-il.

Thomas éclata de rire. Il espérait ainsi cacher le trouble qui l’avait assailli lorsque Mathieu était apparu, ravivant les souvenirs de la matinée.

-Je vois ça, répliqua-t-il. La journée à été bonne ?

Mathieu fit une petite moue et s’installa sur le lit, son sac sur les genoux.

-J’en ai connu des meilleures comme j’en ai connu des pires. J’ai fait deux portraits. Ce n’est pas beaucoup mais ça m’a au moins permis de nous acheter le repas de ce soir.

Il ouvrit son sac et en sortir un gros pain et un morceau de lard, soigneusement empaqueté dans un vieux tissu sale.

-Et voilà ! J’espère que tu aimes ! Et toi qu’as-tu fait aujourd’hui ? enchaîna-t-il immédiatement, sans même laisser une chance à Thomas de commenter ses achats.

Thomas lui désigna le petit tas de feuillets soigneusement empilé dans un coin de la table.

-J’ai continué à écrire. J’avoue avoir bien avancé.

 

Mathieu bondit du lit pour venir se placer à ses côtés, cherchant à déchiffrer la fine écriture de Thomas.

 

-Alors le capitaine ordonna à ses hommes de…

Précipitamment, Thomas ramassa ses feuilles et le rangea dans le tiroir monté sous la table où il entreposait généralement ses notes.

-Ehhhhh, protesta Mathieu.

-J’ai horreur qu’on lise ce que je fais quand je suis là !

-Mais pourquoi ?

Thomas haussa les épaules.

-Je ne sais pas mais j’aime pas ça c’est tout !

Mathieu éclata de rire.

-Je suis sûr que tu crains les réactions du lecteur !

Thomas soupira.

-Peut être… Je ne sais pas… En tout cas je n’aime pas ça !

-Ce n’est pas grave, conclut Mathieu, j’espère tout de même que tu me feras lire un jour !

-Bien sûr ! Maintenant mangeons, je meurs de faim !

Les deux garçons s’installèrent à même le sol, l’un en face de l’autre et Mathieu disposa la nourriture sur le vieux morceau de tissu. Puis il sortit un petit couteau de son sac et partagea le tout en deux parts équitables. Enfin, il posa sa tranche de lard sur son morceau de pain et mordit dedans avec enthousiasme. De l’autre côté, Thomas, l’air sombre, l’observait sans broncher. Mathieu s’aperçut soudainement de son silence et redressa la tête, inquiet.

-Thomas ? Je croyais que tu avais faim ! Ca ne te plait pas ? Thomas ?

Thomas sembla soudainement sortir de sa torpeur et, fixant Mathieu droit dans les yeux, il lui demanda d’une voix presque agressive :

 

-Pourquoi voulais-tu partir ?

Sentant son cœur se serrer, Mathieu reposa sa tartine. Il commença à nerveusement jouer avec ses doigts, la tête baissée et le regard évitant soigneusement son ami.

-Je… commença-t-il… Je suis désolé !

-C’est ce que tu n’arrêtes pas de me dire ! Mais dis-moi pourquoi ? Pourquoi as-tu voulu m’abandonner ?

-Je n’ai pas voulu t’abandonner ! S’écria Mathieu. Je… Ca va te sembler parfaitement idiot comme excuse !

Thomas bondit de sa place et, attrapant Mathieu par les épaules, le força à le regarder droit dans les yeux. Mathieu tremblait sous ses doigts, alors il desserra quelque peu son emprise.

-Je veux quand même savoir !

Retenant un sanglot, Mathieu répondit, d’une petite voix honteuse.

-Je n’avais plus d’argent. Je ne pouvais plus payer la chambre de Chris. Il me restait à peine de quoi prendre le bateau, et déjà à condition que j’aide l’équipage dans de petites tâches. Et je ne voulais pas dormir dans la rue… J’ai donc bêtement pensé que la meilleure solution était de partir mais je me suis trompé.

Thomas caressa doucement son visage.

-Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? Pourquoi tu es parti sans même me dire au revoir ?

-Je ne voulais pas m’imposer à toi ! Je ne voulais pas être un fardeau pour toi ! Et j’avais tellement peur de te dire au revoir…

-Tu ne t’es jamais imposé à moi ! Tu n’as jamais été un fardeau voyons ! Au contraire…

Mathieu posa la tête sur son torse et l’encercla tendrement de ses deux bras.

-Je le sais… Maintenant.

Le corps de Thomas lui semblait si proche, si chaud… Tout particulièrement quand les bras de celui-ci vinrent l’enlacer à son tour et que ses mains commencèrent à lui caresser le dos.

-Mathieu, murmura Thomas.

Mathieu sourit.

-Jamais je ne partirai Thomas, jamais sans toi.

Mais sa surprise fut de taille quand à la place d’un doux murmure de Thomas il reçut pour réponse un énorme gargouillis. Il s’écarta brusquement.

-Thomas ! s’exclama-t-il.

Thomas retint un sourire malicieux.

-Je suis désolé Mathieu mais mon ventre n’en peut plus on dirait. Maintenant que je sais ce que je voulais savoir et que je suis rassuré, si nous mangions !

Le peintre lui sourit à son tour.

-Bonne idée !

Tous deux reprirent leur place et firent honneur au maigre repas. Puis vint l’heure du coucher. Comme la veille Mathieu insista pour dormir par terre, près du poêle. Thomas espérait bien qu’il viendrait le rejoindre pendant la nuit, après tout le jeune peintre s’était montré des plus entreprenants pour le moment, mais il n’osa pas l’inviter directement dans son lit, et puis d’ailleurs se dit-il pour se justifier, j’ai encore mal partout et je commence à peine à cicatriser… Jamais il n’aurait osé s’avouer sa trop grande timidité avec cet être qui lui était devenu si cher.

Mathieu quant à lui, était bien décidé à un peu laisser traîner le jeu. Il voulait que Thomas se jette sur lui et non l’inverse. Après tout il avait une réputation d’agneau innocent à préserver, même si actuellement elle était fort mal en point. Mais il ne pouvait résister à ces yeux sombres, à cette chevelure si douce et à ce corps superbe. Il soupira. Allez, il allait devoir passer au grand jeu.

Prenant garde à ce que la fenêtre soit derrière lui, laissant apparaître sa silhouette en contre-jour de la lumière de la lune, il commença à se déshabiller. Il avait conscience du regard de Thomas posé sur lui. Celui-ci feignait de dormir mais n’en perdait pourtant pas une miette. Doucement et sensuellement, Mathieu retira un à un ses vêtements, prêtant l’oreille au souffle de Thomas qui s’accélérait de plus en plus. Malgré cela, l’écrivain n’osa pas bouger et c’est un peu déçu que Mathieu s’enroula dans sa couverture et s’allongea au coin du feu. Tant pis, cela serait pour une prochaine fois ! Il mit un bon moment à s’endormir, excité par son propre manège et mal installé sur le parquet grinçant. Il allait vraiment devoir agir, c’est à dire dans le meilleur des cas se faire une place dans le lit de Thomas et dans le pire, ramener un peu de paille pour s’en faire un coin plus moelleux !

 

********************

Les jours suivants se passèrent à peu près de la même façon. Mathieu allait dessiner et achetait avec ce qu’il ramenait de quoi les nourrir tous les deux pendant que Thomas restait à la maison à écrire. Les aventures du Capitaine Lloyd Lewis n’avaient jamais aussi bien avancé, comme si la présence de Mathieu inspirait Thomas de façon incroyable. Celui-ci avait même autorisé le jeune peintre à lire son histoire, non sans angoisse d’ailleurs. Mais Mathieu ne lui avait encore fait aucun commentaire, prétextant qu’il préférait lire toute l’histoire avant de se prononcer. Thomas acceptait cela et attendait impatiemment.

Cependant, malgré le plaisir qu’ils avaient à partager ainsi la même chambre, les choses n’avaient pas avancé entre eux. Jours après jours Mathieu provoquait, par des gestes ou des mots, Thomas mais celui ci n’osait pas encore prendre les choses en main.

Parfois, quand elle trouvait un moment de liberté, Adeline venait leur rendre visite, leur portant des nouvelles de Chris ou leur amenant quelque chose à manger. Elle était visiblement très heureuse que Thomas ait retrouvé toute sa joie de vivre mais jamais elle n’imposait trop sa présence, la pensée de ces deux hommes vivant sous le même toit la mettant tout de même mal à l’aise.

Un soir, Mathieu revint avec, en plus du traditionnel repas, une grande toile rectangulaire blanche qu’il avait peine à porter seul et à faire passer dans l’escalier et du matériel de peinture flambant neuf. Il exposa la toile contre l’un des murs de la chambre, celle-ci couvrant à elle seule une bonne partie du mur moisi. Thomas regarda le tout pendant quelques minutes, un peu sceptique et étonné, puis levant un sourcil demanda :

-Qu’est-ce que tu vas faire de tout ça ?

Comme à son habitude, Mathieu éclata de rire.

-Que veux-tu que j’en fasse ? Je vais peindre, évidemment !

Thomas fit quelques pas pour inspecter l’immense toile. Du beau matériel… Quelle idée avait encore traversé l’esprit de son cher peintre ? Il se tourna vers lui et, presque abasourdi, lui demanda :

-Mais… Qu’est-ce que tu vas peintre là-dessus ?

Mathieu lui décocha son sourire le plus rayonnant.

-J’ai décroché une grosse affaire cette après midi !

Il sortit de son sac une bouteille de vin.

-Mais… Mathieu !

-Eh bien quoi ? Il faut quand même fêter ça !

Thomas s’assit sur son lit et éclata de rire.

-Tu es incroyable ! J’espère que tu as au moins prévu de quoi l’ouvrir !

Mathieu arrêta immédiatement de sourire et ses joues prirent une superbe couleur rouge.

-Ben non ! Je croyais que tu avais ce qu’il fallait ! Enfin je veux dire, c’est quand même un minimum, non ?

Thomas le regarda en riant.

-Quand on a les moyens oui mais pour moi non ! Tant pis, nous l’ouvrirons autrement !

Tous deux passèrent les quelques minutes suivantes à la recherche d’un objet pouvant faire office de tire-bouchon mais sans succès.

-Et si on demandait à un de tes voisins ? proposa soudainement Mathieu.

Thomas secoua énergiquement la tête.

-C’est hors de question ! Ce sont tous des vieux cons ! Ils ne m’aiment pas beaucoup et c’est réciproque.

-Ben pourquoi ? demanda Mathieu, un peu étonné.

Thomas haussa les épaules.

-Dans ce type d’immeuble, personne ne fait confiance à personne ! Les autres, tous des voleurs !

Mathieu éclata de rire.

-Quelle mentalité ! En tout cas, ce n’est pas ça qui va nous aider à ouvrir notre bouteille !

Après quelques minutes de recherches supplémentaires, Thomas finit par trouver, dans un petit tas de matériels divers de récupération qu’il avait laissé traîner dans un coin depuis longtemps déjà, une tige de métal qui pourrait sans doute, bien utilisée, ouvrir cette maudite bouteille.

-Comment on fait ? interrogea Mathieu, visiblement peu doué pour le bricolage.

-On fait un trou dans le bouchon avec la tige, après on la recourbe un peu, on la rentre dans le trou, on accroche le bas du bouchon, on tire et ca s’ouvre !

-Tu es génial ! s’exclama Mathieu, enthousiasmé par l’idée.

Les premières phases de l’opération se passèrent sans difficulté, mais quand vint le moment de tirer, les choses se compliquèrent. Thomas dut tordre la tige en tout sens pour obtenir une prise suffisante tandis que Mathieu tenait aussi fort qu’il le pouvait la bouteille. Au bout de longues et éprouvantes minutes, le bouchon sauta enfin. Thomas, les mains douloureuses, se laissa tomber sur le sol.

-Je n’en peux plus ! s’écria-t-il.

-Bois un coup ça ira mieux, lui proposa Mathieu en remplissant deux gobelets de terre cuite de liquide rouge.

Il s’assit face à Thomas, la bouteille entre eux deux, et lui tendit un verre. Celui-ci le prit et il trinquèrent.

-A quoi buvons-nous ? Demanda Mathieu.

-Et bien à ton gros contrat ! Proposa Thomas.

-Et à notre vie commune, renchérit Mathieu, avec un sourire malicieux.

Thomas lui sourit tendrement.

-A notre vie commune, murmura-t-il.

Et leurs verres s’entrechoquèrent. Tous deux portèrent leur verre à leurs lèvres et goûtèrent le vin. Il était fort et piquant, un vin de bien mauvaise qualité, mais cela les changeait tout de même de leur eau boueuse. Après quelques minutes de silence où ils se contentèrent de s’observer l’un l’autre, un sourire au coin des lèvres, Thomas demanda :

-Mathieu ?

-Oui ? interrogea celui-ci, d’une voix très calme, comme s’il était tiré d’une longe rêverie.

-En quoi consiste ta grosse affaire ?

-C’est un bourgeois qui a vu ce que je faisais, ça lui a bien plu et il m’a commandé une toile. Il m’a pour l’instant payé de quoi acheter le matériel mais je recevrai bien plus à la livraison du tableau.

-Et le tableau il représente quoi ?

Mathieu rougit légèrement avant de répondre :

 

-Un nu.

-Oh, se contenta de commenter Thomas.

-D’ailleurs à ce sujet… commença Mathieu.

-Oui ?

-J’aurai besoin d’un modèle, de quelqu’un qui pose pour moi. Représenter le corps humain c’est ce qu’il y a de plus difficile.

Thomas haussa les épaules.

 

-Si tu veux faire venir quelqu’un à la maison pour poser, il n’y a aucun problème ! Je ne veux pas de bruit pendant que j’écris, c’est tout.

-Ah non ça n’est pas du tout ça, s’agita Mathieu.

-De quoi alors ?

-Eh bien…

Mathieu fit une pause avant de prendre son courage à deux mains et de demander :

 

-J’aimerai que mon modèle ce soit toi ! Thomas, est-ce que tu accepterais de poser nu pour moi ?

Thomas manqua de s’étrangler avec la gorgée de vin qu’il était en train d’avaler…

 

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