Chapitre 6

 

 

Tentai avait prévu pour la cérémonie un véritable festin. Les plats qui s’enchaînaient étaient copieux et succulents. Leur originalité et leur présentation arrachaient des cris de surprise et d’admiration à tous les convives. L’ambiance, que l’on aurait pu croire guindée de par la présence de Tentai, était au contraire plutôt animée et les conversations allaient bon train.

L’empereur, que l’on avait placé au centre de la salle pour que tous puissent l’admirer, était bien sûr l’objet de toutes les attentions. Régulièrement, il se levait et prenait la parole, tantôt pour féliciter ses proches collaborateurs, tantôt pour remercier ses invités et à chaque fois ses propos était accueillis par une salve d’applaudissements.

 

-Quelle ambiance ! Ne trouvez-vous pas Ashura qu’il s’agit de la fête d’anniversaire la plus réussie que nous ayons faite ! ! !

-Oui, majesté....

Tentai, regarda Ashura avec inquiétude. Lui qui habituellement était un partenaire de table des plus agréables n’avait presque rien avalé et quasiment pas décroché un mot de la soirée. Sans compter qu’il restait les yeux rivés sur son assiette.... Sentant que quelque chose troublait le Dieu de la guerre, Tentai insista.

-Ashura, vous avez des problèmes, ne le niez pas.... parlez-moi. Dites moi ce qui ne va pas. Je me suis toujours confié à vous... Mes moindres pensées, mes moindres pêchés, vous les connaissez. Je vous fais confiance. J’aimerais que ce sentiment soit réciproque.

Ashura laissa échapper un sourire indulgent à l’encontre de Tentai.

-J’apprécie énormément votre dévouement, croyez-moi. Mais je vous assure qu’il n’y a pas lieu de vous inquiéter. Je suis juste fatigué.

-AH NON ! ! ! ASHURA ! ! ! NE COMMENCE PAS A RACONTER N’IMPORTE QUOI ! ! ! ! s’exclama Ryu-ô en tapant sur la table, puis plus bas, s’apercevant que tous les regards s’étaient braqués sur elle. Je veux dire par-là que Tentai a raison, tu n’es pas dans ton état habituel. Tu es tout pâle, tu ne manges pas, tu ne parles pas. Bon, d’accord, tu n’as jamais été un grand bavard, mais quand même, il y a des limites ! ! ! ! Et tu n’as pas levé le nez de ton assiette de toute la soirée. Ou plutôt si une fois... et déjà, ça n’a duré qu’un dixième de seconde et tu as rougi comme une jeune fille. Tu es amoureux ou quoi ?

-Je ne vois pas, commença Tentai, pourquoi Ashura-ô refuserait de lever la tête. A moins que la douce et tendre jeune fille qui a volé son cœur ne soit le Raijin Taishakuten ! !

Tentai et Ryu-ô échangèrent un regard complice puis éclatèrent de rire. Ashura, quant à lui, ne se força même pas à sourire.

-Trêve de plaisanterie, reprit la jeune femme, dis nous ce qui ne va pas.

-Eh bien... répondit Ashura (vite, je dois trouver une excuse pour qu’ils me laissent tranquille... Un peu de calme et de repos est-ce trop demander ?)... C’est à cause de ces guerres contre les démons... Je pense à tous les jeunes gens tués pour acquérir cette paix relative... Je pense à la prochaine attaque et à tous ceux qui mourront encore... Et je me demande pourquoi nous ne pouvons pas vivre dans le calme et le repos...

Tentai et Ryu-ô gardèrent le silence pendant un instant puis la reine de l’Ouest prit la parole.

-Il n’y a rien que nous puissions faire pour empêcher cela Ashura et tu le sais... Nous combattons les démons du mieux que nous pouvons en tentant de limiter les morts et les souffrances mais toujours ils reviennent. Combattre pour préserver une paix improbable, tel est notre destin Ashura... Et il n’y a rien à faire contre le destin...

-POURQUOI ? s’exclama-t-il. Pourquoi ne pourrait-on pas changer le destin ? Je veux... Je... Excusez-moi, je me laisse emporter. Je suis épuisé...

-Ce n’est pas grave, lui dit Ryu en lui prenant la main. Nous savons tous ce que c’est de craquer parfois. Tu t’es vraiment impliqué dans cette guerre, c’est normal que ça laisse des traces. Dors, repose-toi et tu verras tout ira mieux.

Oh que j’aimerais, pensa-t-il en lui souriant... que j’aimerais me coucher et dormir.. enfin dormir... et oublier...

Il regarda une nouvelle fois Taishakuten mais celui-ci ne semblait avoir d’yeux que pour Vayue.

Il ne chercha pas à analyser cette douleur dans sa poitrine... si effrayante.

 

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Taishakuten s’occupait à faire des petits tas avec la nourriture qui restait encore dans son assiette. Il n’osait pas relever les yeux de peur de croiser de nouveau le regard doré d’Ashura et n’avait guère le cœur à participer à la conversation de ses compagnons.

-Mais si, je te l’assure, argumentait Zochoten, ça va finir comme ça, c’est obligé. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement ! ! !

-Je ne sais pas, continua Bishamon. Ca me semble bizarre.

-Allons, reprit Zocho, mais puisque je te le dis ! Tu peux me faire confiance !

-Moi, enchaîna Komokuten, je suis d’accord avec Zocho.

-Je ne sais pas, murmura Bishamon. Je reste sceptique...

Puis, la voix de Vayue :

-Et toi Taishaku, Qu’en penses-tu ?

Taishaku se tourna brusquement vers ses compagnons, se demandant bien pourquoi on sollicitait brusquement son opinion.

-Ah ! s’amusa Zocho. Notre nouveau Raijin est encore sous le choc de sa promotion ! ! !

-Oui, un peu, admit-il. Je n’ai pas trop suivi la conversation... De quoi était-il question ?

-Nous discutions de la future épouse d’Ashura-ô...

-La future épouse ! s’exclama Taishaku, sentant son cœur s’emballer de panique. Quelle future épouse ?

-Justement, reprit Vayue, il n’y en a pas. Et Zochoten essayait de nous convaincre qu’il s’agira de Ryu-ô.

-Mais oui, commença Zocho, ils sont souvent ensembles ! Et d’après moi, ils sont faits l’un pour l’autre...

-Pas du tout ! le coupa Tai d’un ton sec.

-Et pourquoi donc ?

-Non mais regarde la ! ! ! ! Elle est si.... et lui est si....

-Hummmm, tu pourrais être un peu plus explicite ? lui demanda Zocho.

-Ah... Je ne sais pas comment expliquer cela... C’est juste que... NON QUOI ! ! ! Ca ne va pas ! ! ! Ils n’ont absolument rien en commun. Elle passe son temps à s’agiter et à tuer du démon alors qu’il est la sérénité incarnée... enfin je crois... Et...non quoi !

-Mouais... pas très convaincant...

-Si vous n’êtes pas content de ma réponse, il ne fallait pas me demander mon opinion, bougonna Tai.

-Le Seigneur Taishakuten est un soldat, pas un politicien, fit remarquer Vayue. Il n’est pas dans ses habitudes de faire de grandes démonstrations. De plus, il n’est pas une commère comme vous tous ici.

Et il décocha un sourire rayonnant au Raijin.

-QUOI ! ! ! s’exclamèrent Zocho, Komoku et Bishamon. Nous des commères ! Non mais tu t’es regardé avec tes ....etc.

Décidément, pensait Tai, Vayue était tout sauf timide. Il avait profité de prendre sa défense pour apparemment retirer sa botte et commencer à lui caresser la cheville du bout du pied. Et lentement il remontait le long de son mollet et de sa cuisse vers une destination qui était sans nul doute son entrejambe. Quelques heures auparavant, Taishaku l’aurait sans doute laissé faire sans problème, il aurait même été ravi de cette intention mais c’était avant que ses yeux ne se posent sur Ashura car maintenant...

-Regardez ! s’exclama Zocho. J’avais raison ! Elle lui a pris la main.

Tous tournèrent leur attention vers le couple.

-Effectivement, reprit Bishamon, incrédule.

-Je le savais aussi, fit remarquer Komoku.

Taishakuten, quant à lui, avait bien trop mal pour parler. Il contrôlait déjà plutôt difficilement les tremblements de son corps alors ceux de sa voix...

-C’est dingue ! dit Bishamon en secouant la tête. J’aurai pourtant juré qu’elle était lesbienne...

 

Zochoten éclata de rire.

-Lesbienne ! Mais qu’est-ce qui t’a mis une idée pareille dans la tête ?

-Mais, regarde la avec son allure de garçon et toujours célibataire à son âge ! Il y avait de quoi se poser des questions !

-Messieurs, messieurs, arrêtez de raconter n’importe quoi ! ! D’accord, elle lui a pris la main, mais ca ne veut absolument rien dire, intervint Vayue. Regardez moi, je prends la main de Taishaku, continua-t-il en s’exécutant, et ce n’est pas pour ça qu’il va m’épouser. A mon grand regret d’ailleurs....soupir....

-Oui mais vous deux ce n’est pas pareil, enchaîna Bishamon, et puis même si vous vouliez vous marier cela vous serait interdit.

-D’ailleurs, les avertit Zochoten, vous feriez bien d’être plus discrets. Tentai apprécie peu ce genre de relation.

-Tentai !Tentai ! se lamenta Vayue en lâchant la main de Taishaku. Comme s’il n’avait jamais rien fait d’interdit celui-là.

-Qu’est ce qu’il a fait ? interrogea Komoku.

-Ca, je n’en sais rien. Mais je suis sûr qu’il a déjà pêché. Après tout nul n’est parfait, pas même l’empereur du ciel....

 

 

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Depuis que Taishakuten avait vu les mains de Ryu et d’Ashura enlacées, il se sentait entouré d’une espèce de nuage de brume qui le coupait de l’extérieur. Ainsi c’était vrai. Les deux Dieux éprouvaient l’un pour l’autre de tendres sentiments. Et lui, que devenait-il ? Que lui restait-il ? Au moment même où il découvrait l’amour, fallait-il qu’il le perde aussitôt ? Au moment même ou son cœur s’éveillait à lui, fallait-il qu’il le tue de nouveau ? Etait-il maudit ? Etait-ce là la punition pour ses nombreux pêchés ? Pour sa cruauté ? Pour toutes ces années d’ambition et d’égoïsme ?

Il ne savait que répondre.

Il sentit la main de Vayue se poser sur la sienne et son pied se glisser entre ses cuisses.

Que devait-il faire ? Comment réagir ?

 

Il fixa le Dieu de vent, tentant de rassembler ses pensées. Oui, Vayue était un bel homme. Oh bien sûr, loin d’être aussi beau qu’Ashura-ô, mais tout de même un certain charme. Et surtout, Vayue le désirait, pas comme le Dieu de la guerre, à peine au courant de son existence, et qui lui préférait une espèce de garçon manqué aux cheveux roux.

Taishaku prit une profonde inspiration.

Après tout, il était le Raijin Taishakuten, Dieu de la Foudre et Général des armées de Tentai. Il n’avait pas à se laisser guider par ses sentiments. Il devait être fort. Il devait dominer... tout...les hommes...les dieux...son cœur... Rien de cela ne l’arrêterait dans sa course au pouvoir.

Vayue partagerait sa couche ce soir. Il le traiterait comme il avait traité tous les autres auparavant et au diable Ashura-ô et son obsédante beauté.

Cette décision prise, Taishakuten se sentit beaucoup mieux. Il allait redevenir l’homme qu’il était encore ce matin même. Impitoyable et sûr de lui.

Il se tourna vers Vayue et lui adressa son plus beau sourire, tentant d’oublier les yeux dorés qui, à quelques pas de lui, l’observaient avec tristesse.

 

 Chapitre 7