Chapitre 4

 

Ashura se tenait la tête à deux mains. Par le ciel, il n’arriverait jamais à terminer ses deux discours avant le début de la cérémonie. La nuit avait encore quasiment été blanche pour lui et malgré cela il n’avait eu le temps de terminer les travaux que lui avait remis Tentai. Toute son habituelle inspiration s’était envolée, comme balayée par les tourments qui le rongeaient.

 

 

-Oh et puis j’en ai assez, soupira-t-il. Je vais terminer cela rapidement et Tentai sera bien content comme ça.

Il se pencha de nouveau sur ses feuilles et de son écriture fine et appliquée couvrit le papier de banalités qui suffiraient bien à satisfaire et le peuple et les dieux......

Puis il se leva et appela une nuée de serviteurs qui l’aidèrent à se préparer pour la cérémonie. Cela étant fait et disposant d’un peu de temps, il décida de se promener discrètement dans les couloirs pour jauger l’ambiance qu’y mettaient les nouveaux occupants de Zenmi-jou.

Dans l’ensemble, les soldats avaient l’air satisfait de l’accueil qu’on leur avait réservé. Ashura-ô s’arrangeait pour emprunter les galeries parallèles, peu fréquentées mais qui permettaient tout de même d’entendre les conversations des galeries principales. Les rares personnes qu’il croisait, le reconnaissant, s’inclinaient sur son passage. Lui se contentait de les saluer poliment. Son esprit était toujours troublé et bouillonnait, échafaudant mille plans quand tout à coup il fut interrompu par un puissant :

-ASHURA ! ! ! ! !

Et une forme turquoise couronnée de roux se jeta à son cou.

-Ryu ! ! ! s’exclama-t-il, crois-tu que ce sont des façons de se comporter pour une reine ?

-Je suis tellement heureuse de te revoir depuis le temps ? Ca va, tu es en forme ? Tu es tout pâle ! Tu es malade ? Fais bien attention, un Dieu comme toi ne peut pas se permettre d’être malade.

-Je t’assure que je vais très bien, répondit-il penaud. Je suis juste un peu fatigué, les plans de batailles et les préparatifs de la fête m’ont épuisé....

-Quelle petite nature du fait, s’exclama-t-elle, regarde moi, des mois à batailler et j’ai toujours la forme ! !

-Que veux-tu que je te dise. Tu es d’une constitution exceptionnelle et je n’ai pas cette chance.

-Allons, arrête de jouer les petites filles fragiles. Parle-moi de la fête ! A part un discours barbant, à quoi va-t-on avoir le droit ?

-Et bien il y aura la remise des récompenses aux meilleurs soldats...

-J’ai quelque chose dis-moi ? ? ? ?

-Tu es déjà le dieu gardien de l’ouest ! ! Que demandes-tu de plus ? ? ?

-Hum... mais dans ce cas là, qui va avoir quoi ? ? ?

-Oh, plusieurs petits soldats vont obtenir le titre de chef de guerre, de capitaine etc. mais le point le plus marquant de la cérémonie sera sans doute le couronnement de Taishakuten en tant que Dieu de la Foudre....

Ryu-ô se rembrunit soudainement.

-Alors ce que j’ai entendu ne sont pas que des ragots... Mais Ashura, pourquoi lui ? Tu sais ce qu’on raconte sur ce type ?

-Oui, je le sais. J’ai essayé de dissuader Tentai, de le persuader d’attendre qu’on ait vu à quoi il ressemblait avant de lui décerner ce titre mais il n’a rien voulu savoir...

-Moi je l’ai rencontré et je peux te dire que ce ne sont pas que des rumeurs. Il est aussi arrogant et ambitieux qu’on le raconte. D’ailleurs si tu veux le voir avant le début de la cérémonie, tu peux aller au bar des officiers. Je crois qu’il y était. En tous cas, j’ai entendu deux soldats parler de ‘l’air prétentieux et méprisant de ce type quand il est entré’. Une telle description, ca ne peut être que lui...

-Je crois que je ferai mieux d’aller jeter un coup d’œil alors... Histoire de me préparer à le rencontrer.. Je te retrouve à la cérémonie ?

-Pas de problème j’y serai.

 

Puis, alors qu’elle commençait à s’éloigner d’un pas vif.

-Ryu ?

-Oui ?

-Je suis heureux que tu sois rentrée vivante.

Elle lui décocha son plus beau sourire.

-Merci.

Et elle s’éloigna définitivement. Ashura se sentait mieux. Chaque rencontre avec la petite reine des contrées de l’ouest lui faisait cet effet. Il la considérait réellement comme une amie et sa vivacité et sa bonne humeur avaient sur lui l’effet d’un baume apaisant. Sans plus attendre, il se dirigea vers le bar des officiers. Il avait hâte de voir à quoi ressemblait le si terrible Taishakuten.

 

****************

 

Le bar des officiers était ainsi fait qu’on pouvait en regarder l’intérieur sans se faire remarquer. En effet, les fenêtres qui laissaient passer le jour se trouvait en hauteur et était longées de l’extérieur par une petite passerelle. C’est là que se positionna Ashura. S’assurant que nul ne l’observait, il jeta un coup d’œil par la fenêtre la plus proche... Dieu que de monde, pensa-t-il. Il aurait dû demander à Ryu de lui faire une description physique de Taishakuten. Comment allait-il le reconnaître à présent ? Sans compter qu’il n’était pas sûr que l’homme dont avait entendu parler la reine soit bien le futur Raijin. Il y avait tellement de types arrogants à Zenmi-jou....

C’est alors que son regard attrapa un visage et quel visage...

Ashura se détourna vite de la fenêtre et se plaqua dos au mur, comme un enfant surpris en plein délit d’espionnage. Pourtant l’inconnu ne l’avait pas vu alors pourquoi une telle réaction ? Pourquoi son cœur battait-il de la sorte ?

Après avoir reprit son souffle, il osa de nouveau passer la tête par la fenêtre et porter son regard vers l’homme qui l’avait troublé de la sorte. Son cœur fit un nouveau bond dans sa poitrine... Comme il était beau, ce visage, cette chevelure, ce corps qui malgré la lourde armure d’argent semblait sculptural... Il coupa net ses pensées.

Mais qu’est-ce que je raconte, pensa-t-il, affolé. Ce type a certainement un charisme évident mais ce n’est pas une raison pour en faire toute une histoire.

C’est alors que l’homme sourit...

Et le cœur d’Ashura s’emballa à nouveau.

Comme il aurait aimé que ce sourire si sensuel lui soit destiné...

Il s’arracha de nouveau à sa contemplation et s’assit par terre pour reprendre ses esprits. Il se mit alors à rire. Le deuxième dieu du ciel assit par terre en costume de cérémonie, parce qu’un soldat de bas étage avait accroché sa vue... C’était pitoyable... Il devait vite trouver une solution à cette histoire de prédiction, sinon il allait bien vite y perdre sa santé mentale. Lentement, il reprit son calme, se leva et s’apprêta à rejoindre Tentai pour le discours au peuple.

Tant pis pour Taishakuten, pensa-t-il. J’aurai bien assez tôt l’occasion de voir à quoi il ressemble...

Mais il ne put quitter la passerelle sans regarder pour une dernière fois le soldat à l’armure d’argent. Il remarqua alors que l’homme à ses côtés, qu’il reconnut être Fu-Ten Vayue, le Dieu du vent, lui avait posé une mais sur la cuisse, sans que le bel inconnu ne semble s’en offenser. Ashura ressentit comme un pincement au niveau de son cœur, que n’importe qui aurait reconnu être le signe de la jalousie. Mais lui l’ignora.

 

*******************

 

-Ah, vous voila Ashura. Nous n’attendions plus que vous pour commencer.

-Excusez-moi de ce retard, Majesté, mais j’ai eu un léger contretemps.

-Ce n’est pas grave, si nous nous dépêchons, nous pourrons respecter nos horaires.

-Ashura, tu es sur que ca va, lui chuchota Ryu à l’oreille, d’une voix inquiète. Tu es tout blanc.

-Oui, répondit-il d’une voix fébrile. Ca va aller.

Ils se trouvaient à présent tous dans la grande salle attenante au balcon donnant sur la grande place où s’était assemblé le peuple, impatient d’apercevoir son empereur.

On entendait ses clameurs s’élever sous le soleil de ce début d’après midi. Enfin, Tentai leur apparut suivi de sa fille, la belle Kisshoten et du Dieu de la guerre, son conseiller, Ashura-ô. Derrière eux se trouvaient les quatre généraux du ciel.

La foule scanda le nom de Tentai pendant plusieurs minutes, celui-ci souriant, saluant son bon peuple avec gratitude. T’acclameraient-ils autant s’ils savaient ce que tu as fait à ton fils, pensa Ashura-ô. Et toi, lui répliqua la petite voix dans sa tête, t’acclameraient-ils autant s’ils savaient ce que tu t’apprêtes à faire à ton futur fils. Tais-toi, lui ordonna Ashura, je n’ai rien fais... pas encore...

Lorsque le calme fut revenu, Tentai prit la parole et déversa les platitudes écrites le matin même par Ashura-ô. Ce dernier, peu intéressé par son propre discours ne put s’empêcher de repenser au jeune soldat entr’aperçu... et à la main de Vayue posée sur sa cuisse... Dieux, mais que m’arrive-t-il ? Pourquoi suis-je aussi troublé par le nouveau giton de Vayue ? 

 

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Enfin l’heure de la cérémonie officielle arriva. Le petit groupe des plus hauts Dieux se rendit à l’entrée de la salle du trône. Les quatre généraux étaient les premiers à entrer. Ashura, au milieu de ses pensées tourmentées entendit une voix puissante annoncer :

-LES QUATRE GENERAUX DU CIEL.

Bruit de la foule qui s’agenouille devant ceux qui lui sont supérieurs.

Il se plaça aux côtés de Kisshoten et la voix annonça :

-LA PRINCESSE KISSHOTEN ET LE DIEU DE LA GUERRE ASHURA-Ô.

Tous deux entrèrent dans la salle et s’avancèrent d’un pas lent et digne, parfaitement maîtrisé vers leurs places respectives autour du trône de Tentai. Ashura dut faire des efforts surhumains pour ne pas laisser son regard glisser vers la foule à la recherche du soldat blond. Une fois arrivé à sa place, il dut faire face aux invités mais heureusement pour lui, ceux-ci étaient trop nombreux pour qu’il ait une chance d’y apercevoir celui dont il ne voulait surtout pas, pour son propre équilibre, croiser le regard.

Enfin la voix annonça :

-TENTAI, L’EMPEREUR DU CIEL.

Et ce fut au tour de Tentai de faire son entrée dans un silence quasi religieux. Ou un silence de mort, pensa Ashura. La mort qui deviendra la maîtresse de ces lieux, dans quelques siècles, quand son fils sera devenu adulte.

Lorsque Tentai eut entièrement traversé la longue salle et se fut assis sur son trône, il sortit son discours et commença à en réciter les premiers mots.

La cérémonie allait pouvoir débuter.

Chapitre 5