Chapitre 9

 

 

Plusieurs semaines s’était écoulées depuis son départ de Zenmi-jou et malgré cela Taishakuten ne parvenait toujours pas à oublier Ashura-ô. Pourtant, on ne pouvait pas dire qu’il n’avait pas de quoi s’occuper l’esprit. Entre les démons qui avaient repris leurs attaques de plus belle, bien plus tôt qu’on aurait pu le prévoir, et Jikokuten, qui lui avait mené la vie dure pendant un bon moment, il aurait dû oublier le dieu de la guerre. Mais l’image de celui-ci était toujours présente, même aux moments les plus intenses.

A présent, il chevauchait, en compagnie de ses hommes à travers les marécages bordant l’extrême limite de la frontière est. C’était vraiment le coin le plus désagréable de toute la région, peuplé de moustiques et de bêtes sauvages, mais surtout offrant de nombreuses possibilités d’abris aux démons. Il était sûr que Jikokuten l’avait envoyé ici par vengeance. Le dieu gardien de l’Est l’avait vraiment pris en grippe et n’avait cessé de chercher à l’humilier et de lui donner les pires corvées. C’est ainsi que lorsqu’il avait fallu attribuer les périmètres à explorer, Jikokuten s’était réservé les grandes plaines alors qu’il avait envoyé Taishakuten au milieu des marais et des sables mouvants. Mais au moins comme ça, pensait Taishakuten, il était débarrassé de ce type...

L’objectif des deux équipes était de traverser leur zone en tuant le maximum de démons puis de se rejoindre une fois au bout. En gros, ils étaient partis pour une chasse aux démons chacun sur son territoire. Mais sur ce terrain aux multiples ombres et recoins, Taishakuten se sentait d’avantage la proie que le chasseur. Déjà plusieurs de ses compagnons avaient disparu sans laisser de traces excepté un hurlement d’horreur dans le lointain et les autres étaient à bout de nerfs. Lui-même se sentait prêt à tout laisser tomber et à laisser les démons l’emporter... Mais non ! Cela n’était pas dans son caractère ! Jamais il ne s’avouerait vaincu ! Et puis, plus vite ils en auraient terminé avec ces maudits démons, plus vite il retournerait à Zenmi-jou auprès d’Ashu...

NON ! se coupa-t-il. Je me suis juré de l’oublier ! Je ne peux pas me permettre de tels écarts !

Soudain, ses pensées furent interrompues par un appel.

-Général ! Général !

Taishakuten se retourna pour voir Rahma accourir vers lui. Le jeune homme semblait paniqué. Il arrêta alors sa monture et attendit que son subordonné le rejoigne.

-Que se passe-t-il Rahma ?

-C’est Jin général, haleta le soldat. Il a été enlevé par les démons. Nous étions côte à côte quand tout à coup une ombre est passée près de nous et l’instant d’après, Jin n’était plus là !

Taishakuten repensa à ce soldat, Jin, qui était sous ses ordres depuis fort longtemps et qui avait été à deux ou trois reprises son amant. Il avait été enlevé mais cela ne signifiait pas qu’il soit mort... pas encore du moins.

-BON, cria Taishakuten, écoutez-moi tous ! Vous allez continuer sans moi ! Je vous rejoindrai plus tard. Rahma, tu viens avec moi !

-Bien général, répondit Rahma.

-Mais général, objecta une voix, on ne peut pas vous laisser comme ça. Vous pourriez avoir besoin d’aide...

-Soldat, on ne discute pas mes ordres ! Maintenant obéissez.

-OUI GENERAL, répondirent tous les hommes à l’unisson.

Taishakuten élança sa monture vers la direction que lui indiquait Rahma. Les deux hommes eurent vite fait de rattraper un groupe d’étranges démons, ressemblant à des ombres humaines, s’affairant autour de quelque chose. A l’arrivée des deux cavaliers, ils se retournèrent et Taishakuten eu juste le temps de voir le visage intact de Jin contrastant de façon saisissante avec son corps déchiqueté.

Merde ! pensa Taishaku. Nous arrivons trop tard.

Il entendit un gémissement de dégoût et de dépit provenant de Rahma mais avant qu’il n’ait eu le temps de s’enquérir de l’état du jeune homme, les démons-ombres se jetèrent sur eux. Taishakuten dégaina et commença à trancher et taillader. Rahma, à ses côtés, ne lui était d’aucune aide, trop obnubilé apparemment par la vision du corps de Jin. Taishaku dût donc en plus s’occuper de sauver la vie de son soldat.

Les démons étaient rapides et souples mais peu puissants et Taishakuten n’eut aucune difficulté à les éliminer. Quand enfin tous se furent éteint, Rahma s’approcha du cadavre de l’autre soldat et lui caressa les cheveux.

Hum, se dit Taishaku, il devait y avoir quelque chose entre ses deux là.

Le Raijin s’approcha à son tour, prêt à consoler son subordonné quand il l’entendit murmurer.

-Ca aurait pu être moi... ça aurait pu être moi...

Et soudainement, il se releva et se tourna vers Taishaku en hurlant.

-Nous étions côte à côte ! ! C’est moi que ces démons auraient pu enlever ! C’est mon corps qui aurait pu se retrouver dans cet état ! Je veux pas crever comme ça ! Faites nous sortir de là ! Je veux pas finir comme lui !

Ca y est, il craque, se dit Taishaku. D’un certain côté, je le comprends...

Ils avaient déjà eu affaire à de terribles démons mais pas dans les mêmes conditions. Avant, ils avaient connu leurs adversaires, ils avaient su d’où ils pouvaient provenir, mais là, le danger était partout, tapis dans la moindre ombre. Ils pouvaient surgir à n’importe quel moment et sous n’importe quelle forme, que ce soit celle d’un démon, celle de sables mouvants, qui avaient déjà englouti quelques hommes et montures ou celle d’animaux ou de baies toxiques..

Taishakuten se posta près du jeune homme et lui posa une main sur l’épaule.

-C’est bon, calme-toi, chuchota-t-il. On va s’en tirer tu vas voir (rien que pour faire chier ce chien de Jikokuten qui nous a envoyé là dedans sans remords...ajouta-t-il mentalement). Je te promets que tu ne finiras pas comme ça.

-C’est promis ? sanglota Rahma.

-Oui, c’est promis. On sortira vivant de cet enfer. Maintenant rejoignons les autres.

 

********************

 

Lorsqu’ils rattrapèrent leurs compagnons ceux-ci avaient commencé à installer le campement dans une grande clairière apparemment sûre. Les hommes furent soulagés de les voir ainsi revenir en vie mais un grand dépit s’abattit sur eux à l’annonce de la mort de Jin. Il y avait déjà eu trop de morts et beaucoup en avaient assez. De toutes parts des cris de protestations s’élevèrent vers le Raijin.

-Allons messieurs, un peu de calme ! Maintenant que nous sommes là, nous n’avons d’autre alternative que de continuer à avancer. Tenez bon encore quelques jours et nous serons tirés d’affaire. A ce moment là, nous irons trouver le général Jikokuten et nous lui demanderons des comptes !

Les hommes semblèrent s’apaiser quelque peu. Après tout, c’est vrai que pour le moment ils n’avaient pas vraiment le choix, alors autant conserver leurs forces pour la survie. Sans compter que la nuit commençait à tomber et que des attaques de démons étaient à craindre.

-Maintenant, si vous le voulez bien, reprit Taishaku, vous allez organiser les tours de garde pour cette nuit. Vous êtes assez grands pour vous débrouiller tout seul mais si on a vraiment besoin de moi je suis dans ma tente. Je souhaite tout de même qu’on me laisse une heure ou deux pour dormir car je suis réellement épuisé.

Les soldats acquiescèrent et Taishakuten rejoignit sa tente, réellement vidé par toute cette horrible expédition mais aussi fatigué par son obsession pour Ashura ô. Il n’en pouvait plus. Le sommeil ne lui donnait aucun repos car ses rêves étaient plein du visage et du corps sensuel du dieu de la guerre. Il avait tellement besoin de le revoir...

 

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Rahma avait terminé son tour de garde depuis maintenant plus d’une heure mais n’était pas allé se coucher par peur des cauchemars qui, il en était certain, viendraient le hanter.

Jamais il n’avait senti la mort de façon aussi proche qu’aujourd’hui. Quelques centimètres de plus et c’était lui que les démons dévoraient. En tant que soldat, la mort faisait partie intégrante de son quotidien... mais la mort des autres, pas la sienne. En fait, maintenant, il se rendait compte de sa vulnérabilité. Et il avait peur. Il n’avait aucune envie de mourir.

Il frissonna et se rapprocha de l’un des grands feux, allumés quelques heures auparavant. Un de ses compagnons lui tendit une tasse pleine d’un bouillon chaud qu’il but avec délice.

-Alors Rahma, tu te sens mieux maintenant ?

-Un peu, merci. Mais j’avoue que j’ai connu des moments plus agréables....

-Comme nous tous ici ! Même le général est à bout. Je ne lui avais jamais vu l’air aussi extenué...

-Toute cette opération doit être aussi dure pour lui que pour nous. Mais il garde le moral.

-Tu en es sûr ?

-Oui. Tout à l’heure, il m’a promis qu’on sortirait vivant de là, et je lui fais confiance.

-J’espère que tu as raison...

Tous deux fixèrent le feu en silence pendant de longues minutes. Puis Rahma reprit :

 

-Concernant le général...

-Oui ?

-Non, rien, il secoua la tête.

-Vas-y, continue...

-Et bien... Enfin, j’aimerais bien lui parler un peu. Je veux dire... Je ne me sens pas très bien... plutôt mal même... Et tout à l’heure, il a su trouver les mots pour me calmer... J’avais vraiment craqué... J’aimerai le remercier...

-Et bien vas-y. Il doit être dans sa tente. Et il doit être réveillé maintenant. Ca n’a jamais été un gros dormeur.

-Justement... J’ai peur de le déranger...

Le jeune homme regarda Rahma d’un air sceptique.

-Tu ne le dérangeras pas. Au contraire, discuter avec quelqu’un ne pourra que lui faire le plus grand bien.

-Mais... et s’il n’est pas seul...

Le soldat éclata de rire.

-Oh ça ! ! ! Aucun risque ! Depuis qu’il a obtenu le titre de Raijin, il se refait une virginité ! Je ne crois pas que quelqu’un ait passé la nuit avec lui depuis cet instant !

Rahma se sentit soulagé. Affronter Taishakuten pour le remercier, il pouvait encore le faire, mais affronter Taishakuten dérangé en pleine action, il doutait que ce soit dans ses capacités.

Décidément, pensa-t-il, la gloire et les honneurs, ça vous change un homme.

Il se remémora l’amant violent qu’il avait eu pour une nuit, les bleus et les griffures qu’il lui avait laissé et secoua la tête en riant. Il avait du mal à imaginer le même homme en saint ! ! !

Enfin, se dit-il, au moins comme ça je ne risque pas de me retrouver abîmé !

 

C’était déjà un soulagement car il avait vraiment trouvé sa nuit avec Taishakuten traumatisante. Les morsures et autres machins dans le genre, c’était vraiment pas son truc !

-Bon, ben c’est parti pour la grande séance de remerciement.

Il se leva et se dirigea vers la tente du Raijin.

 

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Rahma avait doucement gratté à la porte de la tente, assez fort pour être entendu par quelqu’un de réveillé mais pas suffisamment pour réveiller un dormeur. La voix de Taishakuten, exceptionnellement tendue, l’avait autorisé à entrer.

Il poussa doucement le battant de tissu et pénétra. Il fut surpris de trouver le général assis sur son lit, entièrement dans le noir à l’exception de la faible lueur des feux, filtrée à travers les parois. En fait, on ne pouvait distinguer de lui qu’une simple silhouette mais Rahma ressentit la tension qui se dégageait du corps du Raijin.

-Général ? appela-t-il doucement. Je ne vous dérange pas ? J’étais venu pour...

-Approche-toi, murmura Taishakuten.

Rahma s’exécuta et vint jusqu’au bord du lit.

-Je voulais vous remercier de...

-Allonge-toi.

-Mais général...

-S’il te plaît...

La voix de Taishakuten n’était plus qu’un souffle mais il en émanait une telle souffrance et un tel désespoir que Rahma lui obéit.

Qu’est-ce qui, se demanda-t-il, peut bien mettre un tel homme dans un état pareil ?

Il fut surpris de trouver le lit si... moite.

 

Taishakuten s’allongea à ses côtés et se serra contre lui.

Zut, pensa Rahma, et maintenant qu’est ce que je fais ?

Le corps du Raijin était couvert de sueur et il s’en dégageait une odeur... presque bestiale. Rahma s’aperçut sans surprise qu’il était complètement nu. Mais ce qui l’étonnait vraiment, c’était les tremblements de passion, de désir et même de besoin qu’il émettait.

Et ben voilà ! se dit-il. Monsieur Taishakuten se prive de sexe pendant des semaines histoire de bien se faire voir par Tentai et quand finalement il craque, il faut que ce soit sur moi que ça tombe !

Taishakuten se mit à caresser ses cheveux, ses mains vibrant d’excitation.

-J’ai envie de toi, lui murmura-t-il à l’oreille.

Et Rahma resta interdit devant l’intonation de vérité que le Raijin avait mis dans cette simple phrase. Mais avant qu’il ait pu y réfléchir d’avantage, la bouche de Taishakuten prit la sienne.

Rahma se crispa par réflexe, s’attendant à ce que les dents de Taishakuten lui mordent les lèvres, comme il n’avait pas hésité à le faire quelques semaines auparavant. Au lieu de ça, ce fut un baiser très doux, presque timide, que lui donna le Raijin.

Rahma se détendit un peu et passa les bras autour des épaules musclées de Taishakuten. Il se mit à caresser le dos humide et le général poussa un soupir de plaisir avant de finalement approfondir leur baiser en glissant sa langue dans la bouche de son subordonné.

Ils restèrent ainsi simplement à s’embrasser pendant de longues minutes, Rahma sentant peu à peu la tension s’évacuer du corps de son amant. Enfin, leurs lèvres se détachèrent et celles de Taishakuten suivirent la joue de Rahma jusqu’à son cou qu’il se mit à lécher avec passion alors que ses mains détachaient un à un les vêtements du jeune soldat. Lorsque ce dernier fut entièrement nu, Taishakuten se mit à embrasser tout son corps, depuis le front jusqu’aux orteils, en passant par les bras, la poitrine et le sexe.

Rahma n’avait jamais connu un tel plaisir. Au début, il s’était bien demandé ce qui avait pu ainsi transformer un homme si violent en ce torrent de douceur et de passion. Mais toutes ces pensées s’étaient envolées au moment où la bouche de Taishakuten avait atteint son entrejambe gonflée par l’excitation.

Puis, le Raijin remonta et l’embrassa de nouveau avant de chuchoter à son oreille :

-J’ai envie de toi. Laisse moi te pénétrer.

Pantelant de désir, Rahma écarta les cuisses. Il se sentait en feu, un feu que seul Taishakuten pouvait apaiser. Il passa les jambes autour de la taille du Raijin pour mieux s’ouvrir à lui.

-Prends-moi, je t’en supplie. Vas-y.

Taishakuten positionna son sexe brûlant contre l’anus de Rahma mais avant d’y pénétrer il se pencha vers son amant et murmura :

-Je t’aime.

Ce fut comme si on venait de le gifler. Rahma ouvrit brusquement ses yeux qu’il avait fermé depuis quelques minutes déjà. Taishakuten venait de lui dire... qu’il l’aimait... mais comment...

Avant qu’il ait eu le temps d’y réfléchir d’avantage, Taishakuten s’enfonça en lui et de nouveau toute autre pensée que le plaisir fut bannie de son esprit.

Le Raijin allait et venait en lui à un rythme de plus en plus soutenu. Bientôt, les soupirs des deux amants se transformèrent quasiment en cris tant la jouissance qui s’annonçait était grande.

Taishakuten serrait fort le corps de Rahma entre ses mains comme s’il avait peur de le perdre et des mots tout d’abord intelligibles lui échappèrent.

-Je...hum...je.. oh... je t’aime....

Au milieu de son propre plaisir, Rahma percevait les paroles de son amant. C’était bien cela... Taishakuten lui disait qu’il l’aimait. Il resserra son étreinte autour du corps magnifique.

Enfin, Rahma n’en put plus et l’orgasme le submergea. Il sentit sa propre semence s’étaler contre son ventre et une lumière aveuglante le coupa du monde. Il entendit tout de même les derniers mots de son amant alors que lui aussi parvenait à l’orgasme et se déversait en lui.

-Je t’aime..oh Ashura... Sais-tu à quel point je t’aime...

Ashura ? pensa amèrement Rahma. Alors je... Ce n’était pas à moi que tu... J’aurai dû le savoir.

Mais peu importait désormais. Le Raijin venait de lui offrir un moment incroyable et pour l’instant c’était toujours lui qui était dans ses bras et pas.... Ashura.

Se blottissant très fort contre Taishakuten, Rahma s’endormit.

 

*****************

 

Lorsque Rahma s’éveilla, il fut surpris de voir le soleil déjà levé et d’être toujours dans le lit du Raijin dont l’un des bras musclés était passé autour de sa taille.

Il ne put retenir un soupir. Certes, cette nuit Taishakuten lui avait fait l’amour comme jamais personne auparavant. Mais ce n’était pas lui qui avait occupé l’esprit du Raijin durant toute la durée de l’acte, c’était Ashura ô. Les derniers mots qu’avait prononcé Taishakuten au moment de l’orgasme le prouvaient.

Ashura ô... Voilà donc pourquoi Taishakuten avait connu cette longue période de chasteté. Mais le dieu de la guerre était-il vraiment son amant ou juste un fantasme ? Rahma penchait plutôt pour la seconde solution. Ce qu’avait dit Taishakuten, son ‘Sais-tu à quel point je t’aime...’ et tout le désespoir et le doute qu’il avait senti dans cette simple phrase étaient là pour le confirmer...

Ainsi donc, le grand et cruel Taishakuten était tombé amoureux de l’impassible Ashura-ô. Rahma eut presque envie d’en rire. Quel couple ! Mais ce pauvre Taishakuten ne pouvait plus mal tomber . Ashura n’avait pas, du moins à sa connaissance, ce genre de penchant.

Je comprends à présent cette détresse dans sa voix, se dit-il. Il n’a aucune chance et il le sait pertinemment.

Rahma se sentit triste pour le Raijin. Lui, si fière habituellement, lui avait semblé si fragile la nuit dernière. Et si tendre...

Ma présence doit plus le gêner qu’autre chose. S’il s’est imaginé avec un autre, il doit être déçu à présent. Je ferais mieux de m’éclipser.

En effet, il avait sentit Taishakuten s’éveiller derrière lui mais ce dernier n’avait pas fait un mouvement, ni prononcé un mot.

Doucement, Rahma se dégagea de l’étreinte de son amant, récupéra ses vêtements, se vêtit, puis, sans même accorder un regard à son supérieur, trop gêné d’avoir découvert son secret, il quitta la tente.

 

********************

 

Taishakuten l’avait toujours su, bien sûr, que l’homme dans son lit cette nuit là n’était pas Ashura-ô. Mais il s’était pourtant plu à y croire pendant quelques instants et cela l’avait soulagé... du moins un peu. Aussi ne fut-il pas surpris le matin lorsqu’il ouvrit les yeux de voir à la place d’une masse de cheveux noirs des boucles rousses.

Ce qui le dérangeait d’avantage, c’était que désormais l’homme couché près de lui connaissait tout de ses sentiments et en cela il se sentait menacé. Mais il n’avait pu se retenir de parler. Il avait besoin d’exprimer cet amour qui le dévorait...

Soudainement, le jeune soldat sortit du lit, se rhabilla et s’en alla.

Sa précipitation confirmait les suspicions de Taishaku. Rahma avait compris de quoi il retournait et avait préféré s’éclipser avant que sa présence ne devienne une trop grande gêne.

Discret apparemment, pensa Taishakuten.

Mais cela ne suffisait pas à le rassurer. Tôt ou tard Rahma irait rapporter à ses amis les mots du Raijin et qui sait, ce genre de rumeurs se répand vite. Un jour peut être, parviendrait elle jusqu’aux oreilles d’Ashura, qui se gausserait de lui, comme il le méritait d’ailleurs en imbécile qu’il était d’avoir ainsi étaler ses sentiments. Et ça... Ashura riant de lui et de sa faiblesse, il ne pourrait le supporter.

Rahma devait donc disparaître.

 

**********************

 

Les troupes avaient repris leur route à travers les marécages. L’ambiance était on ne peut plus sombre et chacun restait cloîtré dans son silence. Taishakuten avait bien croisé le regard de Rahma à un moment, mais le jeune homme avait rapidement détourné la tête.

Enfin, ce qui paraissait être l’orée de la jungle s’ouvrit à eux. Partout des exclamations d’espoir s’élevèrent et la cadence s’accéléra. Mais lorsqu’ils parvinrent à la bordure des arbres, ils s’aperçurent qu’il ne s’agissait en fait que d’une immense clairière, couverte de sables mouvants et d’informes démons.

Rapidement, les hommes sortirent leurs épées et se précipitèrent à la charge. Les plus imprudents furent happés par les sables mouvant et disparurent en poussant d’horribles hurlements d’angoisses. Mais leurs compagnons étaient bien trop occupés à livrer bataille pour pouvoir leur venir en aide.

Les démons surgissaient de toute part. Ils paraissaient innombrables. Taishakuten avait beau en tuer cinq d’un coup, dix l’attaquaient tout de suite après. Du coin de l’œil, il aperçut Rahma qui apparemment combattait avec vaillance. Lorsque le jeune homme s’écarta de ses compagnons, s’élançant à la poursuite d’un adversaire dont les griffes avaient fait un nombre impressionnant de victimes, Taishakuten le suivit.

Enfin, il rejoignit le jeune homme sous une alcôve de feuillage. Celui-ci était encore essoufflé de sa course et son épée était rougit par le sang du démon qu’il venait de finalement tuer. En entendant le bruit des pas du Raijin, il se retourna et sembla surpris de le trouver là. Puis se reprenant, il lui adressa un grand sourire.

-J’ai finalement réussit à l’avoir, cette saleté de démon !

Sans un mot Taishakuten continua à s’approcher de lui, et Rahma prit peur, sans en fait trop savoir pourquoi.

-Général... Quelque chose ne va p....

La dernière chose qu’il vit fut l’éclat de la lame de Taishaku puis sa tête tomba à ses pieds avant d’être finalement rejointe par le reste de son corps.

Froidement, Taishakuten observa le corps de son amant de la nuit passée.

-Désolé Rahma. Je t’avais promis que tu sortirais vivant de cet enfer... J’ai menti. Mais il est une chose bien plus importante que toutes les promesses que j’ai pu faire, et cette chose, tu n’étais pas autorisé à la connaître.

Abandonnant là le cadavre encore chaud, il retourna sur les champs de bataille où le peu d’homme encore en vie finissait d’exterminer les derniers démons.

 

 

*********************

 

La fin de la jungle, la vraie cette fois, s’ouvrit à eux et la poignée d’hommes qu’il restait poussa un soupir d’extrême soulagement. Devant eux, à perte de vue, s’étendaient les grandes plaines de l’Est et ils pouvaient même apercevoir à l’horizon, les troupes de Jikokuten.

Taishakuten ordonna d’accélérer l’allure. Avec un peu de chance, ils pourraient atteindre le campement avant la tombée de la nuit et enfin se rassasier, se laver et dormir autant qu’ils en avaient besoin.

Ce salaud de Jikokuten va m’entendre, pensait Taishaku. J’imagine qu’il ne s’attend pas à ce que nous revenions vivant... Il me le paiera un jour...

En effet, lorsqu’ils rejoignirent les premières tentes, au moment où le soleil commençait à disparaître à l’horizon, Jikokuten se précipita vers eux l’air abasourdi, mais avant que nul autre que Taishakuten ne puisse s’en apercevoir, cette expression était passée pour être remplacé par un grand sourire simulé.

-Raijin Taishakuten ! Quelle joie de vous revoir. Je suppose que la lutte à été difficile à voir votre mine épuisée et le peu d’hommes qu’il vous reste.

Taishakuten descendit de son cheval, calmement d’abord puis, une fois qu’il eut posé pied à terre, il se rua sur le général de l’Est en hurlant.

-ESPECE DE SALAUD ! TU VOULAIS QU’ON Y PASSE TOUS C’EST CA !

Les coups commencèrent à pleuvoir des deux côtés

-LACHE MOI, PAUVRE CONNARD, répliqua Jikokuten en ripostant également avec ses poings.

-SALAUD ! SALAUD !

Enfin des soldats se risquèrent entre les deux hommes et les séparèrent, non sans mal.

Les deux officiers se fixèrent d’un regard meurtrier pendant encore quelques secondes avant de finalement reprendre le contrôle de leur personne. Taishakuten avait une lèvre fendue d’où s’écoulait un flot de sang et un énorme bleu commençait à recouvrir la joue droite de Jikokuten. Leur respiration haletante couvrait les murmures et les commentaires des soldats, surpris de voir leurs supérieurs, ordinairement si impassibles, s’insulter et se battre comme des gamins des rues.

Ce fut Jikokuten qui rompit le silence.

-Je passerai sur cet incident Taishakuten, mais c’est bien parce que je mets votre réaction sur le compte de la fatigue. Je suppose que vous avez vécu des moments difficiles et donc je ne vous tiendrai pas rigueur de votre comportement. Cependant, sachez bien que c’est la dernière fois que vous profitez de ma clémence. Encore un acte comme celui-ci et Tentai en serra immédiatement informé. Maintenant allez vous reposer. Le Seigneur Ashura-ô sera ici dans quelques jours, voire quelques heures et il serait déplorable qu’il vous trouve, vous et vos hommes, dans un tel état.

Sur ce, il leur tourna le dos et repartit vers ses quartiers (en l’occurrence une tente un peu plus grande que les autres....).

Taishakuten resta abasourdi pendant quelques instants. Ashura... Ashura allait venir. Enfin il allait avoir l’occasion de revoir ce visage aux traits si gracieux et ce corps aux courbes si parfaites.

Mais l’euphorie fut bien vite remplacée par la panique. Ashura allait venir et lui il devait avoir une allure épouvantable ! Il était sale et il puait ! Et en plus il sentait des cernes énormes sous ses yeux de glaces rougis par la fatigue ! Sans compter que cette lèvre éclatée allait gonfler et lui faire une bouche de canard !

Ahlala, se dit Taishakuten. Voilà que je recommence à réagir comme une adolescente avant son premier rendez-vous. Je dois me calmer et penser rationnellement. Alors tout d’abord que faire pour avoir une meilleure tête.

La réponse s’imposa à lui, énorme et sans appel : dormir ! Il devait dormir et tout le reste viendrait après. Il se traîna vers la tente qu’on lui avait attribuée et se laissa tomber sur le lit sans même prendre la peine de retirer son amure. Le sommeil le prit immédiatement.

 

****************

 

Seul, dans sa chambre d’Ashura-jou, Ashura-ô riait aux éclats. Oui, il riait de sa propre bêtise, alors que la solution avait été là, toute simple devant ses yeux et qu’il ne la découvrait que maintenant.

 

Son obsession du Raijin, son fils, ses visions et ses rêves, tout cela s’emboîtait merveilleusement bien pour former un plan qui, il en était sûr, changerait le cours du destin.

Il secoua la tête en essuyant les quelques larmes qui avaient perlé au bord de ses paupières. Et dire que pendant un instant il s’était demandé s’il n’était pas tombé amoureux de Taishakuten ! Lui ! Ashura ô ! Le puissant Dieu de la Guerre ! Tombé amoureux d’un autre homme ! Voilà qui était risible après coup !

En fait, il avait été attiré par la force du Raijin. Une force qui transformerait la course des étoiles et qui empêcherait son fils de devenir le dieu destructeur. Oui, Taishakuten allait devenir son outil, celui qui par sa puissance accomplirait sa volonté.

Ashura s’approcha de son bureau et consulta les feuilles d’affectation des troupes. Bien, Taishakuten avait été envoyé à l’Est sous les ordres de Jikokuten. Il devait se rendre là-bas par n’importe quel prétexte (Tentai ne devrait pas être bien difficile à convaincre s’il lui parlait de plan de consolidation des défenses et autres pompeux arguments guerriers) et constater par lui-même que le Raijin était bien aussi puissant qu’on le racontait, car son plan ne pouvait souffrir d’aucune faille. Une fois ce détail réglé, il allait pouvoir mettre en place la plus terrible des stratégies qu’il eut jamais conçues.

 

Enfin, il se sentait revivre. Ce qu’il s’apprêtait à faire défiait toutes les règles de la morale. Il allait manipuler, trahir, faire tuer et pourtant, il se sentait incroyablement soulagé.

Enfin, toutes les pièces du puzzle semblaient s’emboîter sauf... mais il préféra éviter de repenser aux rêves érotiques de Taishaku qu’il avait toutes les nuits et aux incroyables sensations de plaisir et de bien être qu’ils lui apportaient. Ils n’étaient que la manifestation de son stress, rien de plus. Ils n’avaient aucun fondement logique. Et d’ailleurs, pensait-il, ils ne devraient pas tarder à disparaître, surtout après son mariage. Car le mariage était également une phase de son plan démoniaque...

De nouveau Ashura éclata de rire. Oh oui, il tenait là un bon moyen d’offrir à son fils une vie normale ! !

Et c’est le cœur plus léger qu’il commença à rassembler ses affaires pour son départ vers l’Est.

Chapitre 10