Chapitre 10

 

 

Lorsque Taishakuten s’éveilla le lendemain, le soleil était déjà haut dans un ciel alors dégagé. Difficilement, il se leva. Tout son corps était perclus de courbatures. Ca lui apprendrait tiens à dormir en armure... Il avait l’impression de n’être plus qu’une boule de souffrance dont le point central était sa lèvre inférieure qui lui paraissait avoir atteint des proportions inimaginables.

Une fois debout, il enleva enfin la lourde cage d’acier et se sentit tout de suite mieux. Il s’étira doucement, de peur d’aviver la douleur et se traîna vers la commode sur laquelle était posé un miroir.

Pas brillant, se dit-il en se scrutant, mais bon, ça pourrait être pire.

En fait les plus gros dégâts étaient dus à la crasse. La poussière de la plaine avait laissée de longues traînées noirâtres sur son visage de marbre et ses cheveux, dont il n’avait nullement eu le temps de s’occuper ces derniers temps, tombaient en mèches grasses autour de ses joues. Mais finalement une bonne nuit de sommeil avait fait disparaître les poches sous ses yeux et sa lèvre, bien que légèrement gonflée et couverte d’une croûte de sang, n’était pas dans un état aussi catastrophique qu’il ne l’avait craint. Elle n’en était d’ailleurs que presque plus... pulpeuse.

-Ma bouche ressemble à celle de l’une de ces pouffiasses de la cour, grommela-t-il.

Et puis il puait la vieille crasse et la sueur mais bon, il n’avait plus qu’à se laver et il serait à peu près présentable.

Il ne faudra pas que j’oublie non plus, pensa-t-il, de rincer un peu mon armure. Mais d’abord, allons manger ! Je meurs de faim.

Et alors que son estomac allait approuver d’un joyeux grognement, une petite voix au fond de son crâne le coupa net.

Mais voyons Taishaku, lui dit-elle. Tu vas aller manger dans un état pareil ? Et si Ashura arrive pendant ce temps et qu’il te voit avec une telle allure ? Que pensera-t-il de toi ?

Par le ciel ! C’est vrai qu’Ashura pouvait arriver d’un moment à l’autre et lui, il ne pensait qu’à se goinfrer ! Bon, pour la nourriture, il verrait plus tard, le plus important c’était de se donner la meilleure allure possible.

Et alors, pensa-t-il amèrement. Qu’est ce que ça va changer ? Tu crois peut être que c’est parce que tes cheveux seront propres ou parce que tu sentiras la rose qu’il va te tomber dans les bras ? Non... sûrement pas mais... au moins il se devait d’essayer, sinon il en mourrait. Ohhh Ashura, prendras-tu un jour conscience de mon existence et de mes sentiments ?

Il passa la tête par l’entrée de sa tente et interpella un soldat qui passait par-là.

-Hep ! Soldat !

-Oui Général, répondit le jeune homme en prenant une pose d’une raideur toute militaire.

-Le Seigneur Ashura ô est-il arrivé ?

-Non Général, pas encore.

-Hummm, bien... Alors pourrait-on m’apporter un baquet d’eau chaude ?

-Oui Général, tout de suite.

Et le soldat s’en alla en trottinant. De loin, Taishakuten lui hurla :

-ET DU SAVON AUSSI !

-OUI GENERAL !

 

Puis il retourna à l’intérieur et attendit ce qu’il venait de réclamer. Il en profita pour sortir de son sac son peigne d’ivoire et entreprit de démêler ses pauvres cheveux, ce qui n’était pas une mince affaire.

Bishamonten a peut être raison, pensa-t-il. Je ferais mieux de les couper... C’est trop de travail inutile pour un soldat... Et puis non ! Sans mes cheveux, je ne serais plus le même homme. Et puis qui sait, Ashura aime peut être les hommes avec de très longs cheveux...

Il lâcha un sourire amer à cette dernière pensée.

Il était enfin venu à bout de sa lourde tâche quand un léger grattement se fit entendre à l’entrée de sa tente. Sûrement ce qu’il avait demandé.

-Entrez, permit-il.

Deux soldats pénétrèrent en portant un énorme baquet de bois rempli d’eau fumante. Ils le déposèrent au sol et l’un d’eux sortit de sa poche un morceau de savonnette qu’il tendit au Raijin.

-Voilà Général. Y’a-t-il autre chose que nous puissions faire pour vous ?

Taishakuten pensa bien un moment à leur demander de rester pour l’aider à se laver mais abandonna rapidement cette idée. Pour le moment, il avait surtout besoin de solitude.

-Je vous remercie messieurs mais ce sera tout. Non, un instant... pourriez-vous faire nettoyer mon armure ?

-Bien sur général, ça sera fait, répondit l’un des soldats en s’emparant de la lourde armure d’argent.

-Je vous remercie.

Les deux hommes saluèrent et partirent. Taishaku se leva de son siège, retira les minces vêtements qu’il portait habituellement sous son armure, autrefois blancs et désormais gris et se glissa à l’intérieur du baquet. Immédiatement l’eau chaude détendit ses muscles fatigués. Il resta de longues minutes là, sans bouger, sans penser, simplement à se détendre. Il était sur le point de s’assoupir quand un nouveau grattement à la tente se fit entendre. Il s’agissait de l’un des deux soldats qui lui ramenait son armure de nouveau étincelante.

-Posez ça là, ordonna Tai en désignant l’un des coins de la tente.

Le soldat s’exécuta puis s’en alla. Taishaku se sentait à présent pleinement réveillé. Il attrapa le morceau de savon et le passa dans ses cheveux. Enfin ils allaient reprendre vie, se dit-il joyeusement. Par le ciel ! Ce qu’il pouvait détester avoir les cheveux sales ! Puis, il se mit debout au centre du baquet et commença à passer le savon sur son corps courbatu. Il s’enduisit tout d’abord les bras, puis le torse et arrivé là il ne put empêcher son esprit de fantasmer violemment. Il se plut à imaginer que ces mains qui le touchaient étaient celles d’Ashura... Ashura lui caressant le torse, remontant sur ses épaules, le long de son cou, effleurant son visage, frôlant sa lèvre douloureuse...

Arrête ça ! lui imposa la petite voix dans sa tête. Arrête de rêver ! Le réveil n’en sera que plus douloureux.

Et alors, répliqua-t-il. J’ai bien le droit aussi à un peu de plaisir...

Il descendit ses mains le long de ses puissants pectoraux, jouant au passage avec ses tétons rendus durs par l’émoi et ne put contenir un soupir de satisfaction. Puis il continua son chemin sur son ventre plat et musclé, toujours plus bas jusqu’à ses reins. Il évita masochistement son entrejambe à présent pulsante d’excitation et laissa la savonnette courir sur ses cuisses fermes. Il aimait se torturer ainsi, jouer avec son corps jusqu’au dernier instant, jusqu’à ce que son esprit hurle son besoin et son désir. Enfin, après maintes caresses frémissantes le long de sa chair tendue, ce moment arriva. Il se rallongea dans le baquet, ses jambes tremblantes ne parvenant plus à le supporter et saisit son sexe brûlant. Il laissa sa main aller et venir sur toute sa longueur jusqu’à ce qu’il soit submergé d’une immense lumière blanche et qu’il laisse échapper ces quelques mots :

-Ashura... un peu de plaisir.

 

*****************

 

Lorsqu’il sortit enfin de sa tente, propre et présentable, Taishakuten se dirigea vers la tente faisant office de cantine pour y prendre son petit déjeuner (même si d’après la position du soleil il devait être facilement deux heures de l’après-midi). Il ne s’y trouvait que quelques hommes qui immédiatement se turent lorsqu’il entra. Ils devaient sans nul doute être en train de discourir sur son comportement d’hier à l’encontre de Jikokuten. Il prit quelques aliments indistincts parmi le peu de choix qu’il restait et s’assit seul dans un coin.

Il arrivait presque au bout de son repas quand un homme de l’armée du Général de l’Est s’approcha de lui, un air de dégoût évident posé sur son visage.

-Raijin Taishakuten.

Tai toisa le soldat du regard qui pourtant ne se décontenança pas.

-Oui ?

-Le Seigneur Jikokuten demande à vous voir.

-Dites-lui que j’arrive immédiatement.

Le soldat tourna les talons lorsque Taishaku l’appela de nouveau.

-Dites-moi soldat, que vous ai-je fait pour mériter un tel regard ?

-Vous avez frappé et insulté le Seigneur Jikokuten.

-Il le méritait ! Par sa faute plus de la moitié de mon armée à été décimée !

-Comment osez-vous ? s’emporta le soldat. Le Seigneur Jikokuten défend la morale et la justice alors que vous n’êtes que le reflet de la décadence ! Vous lui devez le respect ! Sachez que toute l’armée du Général de l’Est vous méprise et vous hait Raijin Taishakuten.

-Ca me fait une belle jambe, lâcha Taishaku.

Le soldat ne répondit pas et quitta la tente. Quelques instants plus tard, Taishakuten fit de même et se rendit dans " les quartiers " de Jikokuten.

-On m’a informé que vous vouliez me parler Seigneur Jikokuten.

-Effectivement, répondit le Général de l’Est.

Taishakuten se réjouit de voir que le bleu sur la joue de son supérieur avait pris des proportions incroyables. Le Dieu de l’Est était beaucoup plus défiguré qu’il ne l’était lui-même avec sa lèvre fendue.

-Comme vous le savez, reprit Jikokuten, le Seigneur Ashura ô sera ici dans quelques heures...

Quelques heures... plus que quelques heures à attendre et il le reverrait...

-...et il vient pour vérifier notre efficacité militaire et nous aider à mettre en place de nouvelles stratégies en cas d’attaques impromptues. C’est pourquoi, je vous demanderai de vous contrôler et de faire preuve d’une discipline exemplaire. Vous connaissez l’importance d’Ashura ô au sein de notre gouvernement...

Et vous, vous ne connaissez pas l’importance d’Ashura ô au sein de mon cœur...

-...vous avez donc conscience du comportement à adopter. Voilà, c’est tout ce que j’avais à vous dire. Des questions ?

-Non Seigneur, tout est compris.

-Bien. J’espère que je n’aurais pas à régler d' incidents tels que celui d’hier.

-Non Seigneur.

-Au fait, puisque nous parlons de d’hier, vous comprenez parfaitement que je ne peux pas laisser passer cela sans punition.

-Oui Seigneur.

Hummm, se dit Tai, il semble horriblement vexé par ce que je lui ai fait...

-C’est pourquoi, j’ai décidé de vous exclure des réunions stratégiques. Il vous sera remis un rapport complet, pour que vous puissiez mener vos troupes du mieux possible mais vous ne pourrez pas intervenir dans les débats.

-Mais Seigneur...

-Vous pouvez vous retirer.

Taishakuten n’insista pas mais quitta la tente furieux. L’exclure des réunions ! Le moment où il pouvait être le plus proche d’Ashura et qui sait, l’impressionner par ses compétences stratégiques. Maudit Jikokuten ! Sans le savoir, il avait trouvé la pire des vengeances. Et bien maintenant, il ne lui restait plus qu’à briller sur le champ de bataille...

Il s’assit à l’écart et attendit patiemment l’arrivée d’Ashura ô. Il voulait être le premier à l’accueillir.

 

********************

 

Ashura ô commençait à trouver le temps long. Cela faisait maintenant plusieurs jours qu’accompagné de ses troupes il chevauchait en direction de l’Est et il n’avait qu’une envie, c’était d’arriver. Mais si l’envie d’atteindre le but était grande, son anxiété et son appréhension augmentaient également au fur et à mesure qu’il s’approchait.

Taishakuten... il allait enfin le revoir. Cela faisait plusieurs mois qu’il n’avait pas vu le visage du dieu de la foudre mais son image était gravée dans sa mémoire comme s’il l’avait seulement quitté la veille.

Pas étonnant, se dit-il, dans la mesure où je rêve de lui toutes les nuits. Après tout c’est logique, cet homme est celui grâce à qui mon fils aura une vie à peu près normale.

Mais il y avait autre chose au fond de son cœur. Une excitation qui grandissait à l’évocation de sa nouvelle rencontre avec le Raijin. Un sentiment qu’il rejetait car il l’effrayait. Une sensation à laquelle il ne pouvait s’abandonner.

Le fil de ses pensées fut coupé par l’un de ses soldats qui l’avait rejoint.

-Seigneur Ashura ô, nous sommes en vue du campement de Jikokuten. Doit-on envoyer un éclaireur pour le prévenir de votre arrivée ?

Le cœur d’Ashura s’emballa. Alors ces formes sombres qu’il apercevait au loin étaient les tentes des soldats et dans l’une d’entre elles se trouvait l’homme qui...

-Non, répondit-il. Ce n’est pas la peine. Je suis certain qu’il nous attend de toute façon.

Et le dieu de la guerre ne put réprimer un sourire.

 

********************

 

Taishakuten était assis depuis plusieurs heures sur une caisse d’armement à scruter l’horizon quand enfin les premiers chevaux apparurent. Il ne distinguait pour le moment que de vagues formes sombres mais il ne doutait pas que celui qui menait la colonne était Ashura ô. Il ne pouvait détacher ses yeux du spectacle des troupes s’avançant vers le campement, cherchant le moindre indice permettant de confirmer l’identité du Dieu de la guerre.

Au bout de plusieurs longues minutes, les cavaliers furent assez proche pour qu’il reconnaisse enfin l’homme qu’il aimait. Comme il l’avait soupçonné, c’était bien lui qui guidait les soldats et il était tout simplement sublime ainsi vêtu de son armure et chevauchant dans le soleil déclinant le plus magnifique des pur-sangs. Il semblait si fier, si noble, que le cœur de Taishaku s’emballa.

Puis, leurs regards se croisèrent. Taishaku en oublia de respirer. Il se noyait dans ces yeux d’or, il y renaissait aussi. Ashura pénétra dans le camp sans accorder un seul coup d’œil à tout ce qui l’entourait. Il était ancré dans les yeux de glace du Raijin. Enfin, lorsqu’il s’arrêta, prêt à descendre de sa monture, Taishaku se leva pour aller à sa rencontre. Alors qu’il s’approchait, le Dieu de la guerre lui adressa un timide sourire auquel il ne put s’empêcher de répondre. Il lui tendit une main qu’Ashura s’apprêtait à saisir quand le charme fut brisé par la voix de Jikokuten.

-Seigneur Ashura ô. Soyez le bienvenu.

Comme brusquement tiré d’un rêve, Ashura sursauta, puis semblant oublier la présence du Raijin, il se tourna vers le dieu gardien de l’Est.

-Général Jikokuten, quelle joie de vous revoir.

Mais quelque chose dans son regard semblait proclamer exactement l’inverse.

Jikokuten écarta d’un mouvement du bras Taishakuten et tendit sa propre main à son supérieur.

-Permettez que je vous aide à descendre.

-C'est très gentil de votre part, répondit Ashura d’un ton où perçait l’acidité, mais je suis assez grand pour me débrouiller seul.

Et ceci dit, il descendit de sa monture. Jikokuten lui fit alors geste de passez devant.

-Si vous le voulez bien, allons dans mes quartiers. Vous pourrez vous reposer le temps que l’on monte votre propre tente et nous pourrons discuter au calme de ce qui vous amène parmi nous.

-Avec grand plaisir.

Et tous deux s’éloignèrent, laissant un Taishakuten partagé entre émotion et colère.

 

*******************

Bien sûr, se disait Taishakuten, ça avait été un plaisir sans comparaison que de le revoir, encore plus beau que dans son souvenir, bien sûr il lui avait sourit, bien sûr il avait faillit répondre à son geste de la main alors qu’il avait envoyé Jikokuten balader, et pourtant le Raijin ne se sentait pas tranquille. A présent, Ashura était seul avec Jikokuten qui devait lui raconter toutes les abominations possibles et imaginables sur son compte... Et lui, il se retrouvait là, tout seul comme un imbécile, ne sachant que faire et se sentant complètement impuissant.

Il allait une fois de plus jurer contre Jikokuten quand une voix l’interrompit.

-Raijin Taishakuten.

Il reprit rapidement son habituel masque impassible et se retourna vers l’empêcheur de râler en rond.

-Oui, que voulez-vous ?

-Seigneur, je suis censé installer la tente du Seigneur Ashura ô mais je ne sais pas où la placer. Or, comme le Seigneur Jikokuten a ordonné qu’on ne le dérange pas lors de sa réunion avec Ashura ô, et que vous êtes le plus haut gradé après lui, je me permets de vous demander conseil.

Taishakuten manqua de l’envoyer promener ! Après tout, il était un soldat pas un *§#@&* d’ingénieur, puis, il prit la peine d’y réfléchir deux secondes. Finalement, s’il pouvait rapprocher la tente d’Ashura de la sienne ce n’était pas plus mal.

Et pourquoi faire, se moqua la petite voix au fond de sa tête, pour t’introduire chez lui au beau milieu de la nuit ?

La ferme ! répliqua Tai. Non, il n’irait certainement pas se glisser, tel un héros de roman, dans le lit de sa belle une fois la nuit tombée mais au moins cela... Bon d’accord, cela rien du tout mais c’est juste qu’il avait envie qu’Ashura soit le plus proche possible de lui un point c’est tout ! Zut alors, pourquoi toujours chercher des raisons logiques ! Il était amoureux et l’amour ne connaît aucune logique.

-Et bien, répondit-il en cherchant du regard l’endroit le plus approprié et trouvant une place suffisante à quelques pas de sa proche tente. Là-bas je crois que ça ne serait pas mal.

-Vous pensez vraiment ?

-Ben vous me demandez mon avis, moi je vous le donne !

-Bon, bon d’accord, allons-y pour là bas.

L’homme fit signe à quelques hommes qui commencèrent à déployer l’immense chapiteau qui servirait d’abri au second dieu du ciel.

-Vous avez besoin d’aide ? s’enquit alors Taishaku.

-On a toujours besoin d’aide... Mais n’allez pas déranger vos hommes, ils sont fatigués par les combats. On va se débrouiller seuls.

-Je ne parlais pas de mes hommes, je parlais de moi.

-Mais enfin... bredouilla l’homme en roulant des yeux ronds, Seigneur, cela est indigne de votre rang !

-Allons donc, un peu d’exercice me fera le plus grand bien.

Il sentait là un moyen d’évacuer sa colère et sa frustration et puis au moins, cela lui donnerait l’occasion de mettre au moins une fois les pieds dans la tente d’Ashura ô.

-Si vous insistez alors...

Et tous deux se mirent à la tâche.

 

*******************

Ashura, assis dans un confortable fauteuil à l’intérieur de la tente de Jikokuten, sirotait son thé en écoutant le Dieu de l’Est déblatérer ses exploits de campagne... Enfin non, écouter n’était pas le mot exact. Il l’entendait effectivement mais son esprit était ailleurs. En fait, il ne cessait de revenir sur ce qui s’était passé lorsqu’il était arrivé au campement. Il chevauchait tranquillement, heureux d’être enfin arrivé à destination quand soudainement il avait croisé le regard de Taishakuten qui paraissait l’attendre, magnifique dans le soleil couchant, et là... là... c’est comme si rien d’autre au monde n’avait compté. La guerre, le ciel, son fils... tout cela était annihilé par ces yeux de glace qui pourtant brûlaient tout son être.

Taishakuten, se demanda-t-il, quel sort démoniaque m’as-tu donc jeté pour que je réagisse ainsi ?

Ensuite, il avait stoppé sa monture et le seigneur de la foudre s’était avancé vers lui. Il se souvint avoir été submergé par une vague de bonheur et avoir souri au Raijin qui lui avait répondu, pour son plus grand plaisir. La main de son ange blond s’était alors tendue vers lui et il avait été sur le point de la saisir quand la voix de Jikokuten avait brisé cette folie.

Mon ange blond ! s’exclama Ashura ô. Mais qu’est-ce que je raconte ?

Il se sentait troublé, extrêmement troublé. Sa façon de réagir et ses sentiments qui le torturaient... Pourquoi nier plus longtemps l’évidence même ? Oui, il désirait le Raijin. Il avait tellement envie de lui que chaque fibre de son corps hurlait ce besoin. Mais... Mais il ne devait pas céder. Non, il ne devait pas. Son fils était ce qui comptait pour lui et peu importaient ses propres besoins. Alors pourquoi se faire inutilement du mal pour de telles broutilles ? Il devait se tenir éloigné du Raijin et tout irait pour le mieux.

Alors pourquoi être venu ici ? Pour tester Taishaku bien sûr. Pour voir s’il était assez fort pour changer le destin... Il verrait cela demain et après il devait repartir au plus vite, comme si de rien n’était, afin de ne pas céder à ses propres folies.

-Ashura ô ? s’enquit soudain Jikokuten. Quelque chose ne va pas ? Vous paraissez troublé.

-Non, je vous remercie mais tout va bien. Ce voyage m’a juste un peu fatigué...

Il commençait à en avoir assez de toujours répéter la même excuse mais bon... tant que ça marchait !

-...je me demandais juste pourquoi, puisque nous parlons stratégie, Taishakuten ne s’était pas joint à nous.

-Oh... C’est juste que je l’ai puni.

-Vous l’avez puni ! s’exclama Ashura ô. Mais pourquoi ? Qu’a-t-il donc fait ?

-Il m’a frappé, répondit calmement le Dieu Gardien en portant une main à son visage gonflé.

Ashura avait bien remarqué le bleu sur la joue de son subordonné mais il n’avait pas osé aborder le sujet, présumant qu’il était dû à un démon un peu trop vivace. Mais si c’était Taishakuten qui lui avait fait cela...

-Mais pourquoi donc ? Un tel geste n’est pas dans ses habitudes !

-Hier soir, il est rentré épuisé d’une campagne pendant laquelle il a perdu plus de la moitié de ses hommes et apparemment il m’en tenait pour responsable. Il a simplement un peu craqué. C’est pourquoi j’ai décidé de le punir de la sorte mais de ne pas en parler à Tentai.

Ashura était interloqué. Taishakuten, dont l’armée avait décimé à elle seule les démons des montagnes du Nord, avait perdu la moitié de ses hommes au cours d’une seule campagne.

-J’ai du mal à y croire, murmura-t-il.

-Et déjà, reprit Jikoku, il s’en est fort bien tiré. Habituellement nul ne sort vivant des marais de l’Est.

-LES MARAIS DE L’EST ! s’exclama Ashura en bondissant de son siège et en frappant un grand coup sur la table. Sa tasse tomba et se brisa en dizaines de morceaux.

-VOUS L’AVEZ ENVOYE DANS LES MARAIS DE L’EST ?

-Oui... bredouilla Jikoku, décontenancé par l’excessive réaction du dieu de la guerre.

 

Ashura inspira lentement, tentant de reprendre son calme mais ne parvenant pas à couvrir la pointe d’agressivité dans sa voix.

-Mais vous savez parfaitement que cette région est présentée comme la plus dangereuse de tout le royaume ! Tentai lui-même a considéré que l’on pouvait l’abandonner aux démons ! Alors pourquoi avoir fait cela ?

-Et bien puisque notre objectif est de se débarrasser de tous les démons, cette tâche ne pouvait être complète que si l’on s’occupait également de ceux des marais. J’ai donc jugé bon d’envoyer...

-On ne vous demande pas de juger mais d’obéir, s’emporta une nouvelle fois Ashura.

Il se dirigea vers la sortie.

-Attendez Seigneur, supplia le Dieu de l’Est.

-Je comprends tout à fait qu’il vous ait frappé. Moi-même j’ai cette soudaine envie. C’est pourquoi j’exige la levée immédiate de toutes les peines concernant le Raijin. Vous auriez voulu le tuer que vous ne vous y seriez pas pris autrement. Je ne vous souhaite pas une bonne nuit Jikokuten.

Et Ashura quitta la tente.

Il se retrouva soudainement à l’air frais et prit conscience de la nuit tombée. Il tremblait encore de rage... Ce type avait failli tuer l’homme qui allait l’aider à changer le destin ! Cet homme à qui il tenait tout particulièrement ! Il aurait voulu le frapper à son tour !

Il se mit à marcher entre les tentes où la plupart des soldats s’étaient déjà endormis et se demanda laquelle était celle de Taishakuten. Sans doute une tente d’officier, un peu plus grande que les autres. Il atteignit alors son propre pavillon. Il n’avait pas eu le temps de dîner mais tant pis. De toute façon il n’avait pas faim, la journée, enfin surtout la fin de journée, avait été trop riche en émotion. A présent qu’il avait retrouvé son calme, il se blâmait pour sa réaction excessive.

Fais attention Ashura, se dit-il. Tu as été trop loin. Pour un type qui veut comploter dans le plus grand des secrets, tu as une façon de te comporter fort peu discrète.

Il allait pénétrer à l’intérieur de sa tente quand quelque chose détourna son regard : une tente d’officier, à quelques pas à peine de la sienne. Alors, excepté lui, Jikokuten et Taishakuten, il n’y avait aucun officier important sur place. Or, il se trouvait à l’entrée de sa propre tente, il venait de quitter celle de Jikoku, donc celle-ci ne pouvait être que celle de...

Et alors, qu’est ce que ça pouvait bien faire ? Il n’allait pas aller lui donner un baiser de bonne nuit, ni aller le violer pendant la nuit et encore moins aller le réveiller le lendemain matin telle la belle au bois dormant (Bon, je sais, les dieux du ciel n’ont sûrement pas lu la belle au bois dormant et encore moins vu le film de Disney, mais on s’en fout...).

Il lui sembla voir le battant de la tente bouger un peu, mais cela ne devait être qu’un effet du vent. Lâchant un grand soupir, Ashura entra dans sa tente et se coucha.

 

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Taishakuten était couché depuis plusieurs heures mais semblait incapable de dormir. La pensée du corps d’Ashura, couché à quelques mètres de lui, le maintenait éveillé et pire même, l’excitait.

Il avait passé la fin de son après midi à monter la tente d’Ashura en compagnie des serviteurs de ce dernier, tentant par de petites questions innocentes d’en apprendre plus sur leur patron mais décidément, Ashura était un être mystérieux même pour ses propres employés. Il avait tendu la toile, planté les piquets, installé le lit de camp royal, sur lequel il n’avait pu s’empêcher de s’allonger un peu une fois tous les autres partis. Couché, dans ce lit, en compagnie d’Ashura, quelle pensée merveilleuse, mais il s’était arrêté là, anxieux de souiller les draps royaux s’il poussait trop loin sa fantaisie. Il avait aussi installé les quelques meubles dans lesquelles se trouvaient les effets personnels du Dieu de la Guerre. Il n’avait pu résister au plaisir d’ouvrir tiroirs et placards, de prendre en main brosses et peignes (hummm, Ashura le coiffant...), de caresser les tenues de soie qui couvraient habituellement le corps délicieux... Jamais il n’avait été aussi proche de l’intimité de son bien-aimé. Cependant, il avait dû quitter trop vite ce lieu d’enchantement, les autres travailleurs l’invitant à dîner avec eux.

Après le repas, il était retourné dans sa propre tente. Il aurait aimé flâner encore un peu dans celle d’Ashura mais celui-ci pouvait revenir à n’importe quel moment et il aurait eu bien du mal à expliquer sa présence. Alors, il s’était posté là, à l’entrée de sa tente, surveillant le retour d’Ashura et peut être, à son retour serait-il allé lui parler, sous un prétexte quelconque, et s’il en trouvait le courage. Mais justement, ce courage lui avait manqué. Lorsque Ashura s’était approché, il avait posé les yeux à l’endroit même où il se cachait. Taishaku avait alors été sûr d’être découvert, mais finalement le Dieu de la Guerre avait détourné son regard et avait disparu dans l’obscurité de son pavillon. Trop tard ! Il avait été trop long à réagir. Mais comment faire autrement quand de tels yeux de feu se posaient sur vous ?

Et maintenant, il s’en voulait terriblement. Quand donc viendrait sa prochaine occasion de discuter avec Ashura ? Il n’en avait pas la moindre idée... Mais cette fois ci, il ne manquerait pas sa chance !

Cette décision prise, Taishakuten changea de sens et attendit plus impatiemment encore un sommeil capricieux.

 

*******************

Ashura non plus ne parvenait pas à dormir. Il s’était couché, épuisé par plusieurs jours de voyage, mais la découverte d’un cheveu blond-blanc d’une incroyable longueur sur son oreiller avait suffit à le tenir éveillé.

Il ne faisait aucun doute que ce cheveu appartenait au Raijin, alors que faisait-il ici ?

Peut être un signe du destin ? insinua une petite voix. Mais Ashura l’ignora. Il avait beau être un homme réfléchi, toutes ces histoires de destin commençaient sérieusement à l’énerver (et déjà, je reste polie).

D’accord, tout à l’heure il avait enfin admis son attirance pour Taishakuten et s’en était senti tout de suite soulagé, mais il avait également décidé de ne pas céder à une telle pulsion, ça le détournerait de sa voie, alors qu’on le laisse un peu tranquille !

Certes, il avait bien réussi à s’endormir quelques instants mais ça avait été pour rêver du corps du Raijin contre le sien. Et maintenant, il se sentait encore plus " troublé " que jamais.

Il avait besoin de voir Taishakuten, de lui parler. Il devait trouver une excuse... n’importe quoi... Il irait lui dire que toutes les punitions prises par Jikoku avaient été levées. Le réveiller en plein milieu de la nuit pour lui dire ça n’était pas très cohérent mais bon, il n’avait pas de meilleure idée et il n’en pouvait plus. Après tout, s’il craquait juste une toute petite nuit de rien du tout comme ça, ça ne pouvait pas vraiment être préjudiciable.

Et alors, tu vas lui dire ça, commença la partie négative de son cerveau, et après ? S’il ne répond rien ? Tu t’en vas comme un crétin que tu es ?

Après, se dit Ashura plus décidé que jamais, s’il ne répond rien, je lui saute dessus et je l’embrasse peu importe les conséquences.

L’idée de se jeter sur le Raijin et de l’embrasser sans autre préavis lui envoya des frissons d’excitation dans tout le corps... Il allait le faire... Il en était sûr... Il allait oser.

Il sortit de sous son drap, passa une légère robe de chambre blanche et or et se dirigea vers la sortie. C’est alors qu’il fut interrompu par une voix hurlant :

-ALERTE, ALERTE, LES DEMONS NOUS ATTAQUENT ! ! !

 

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Tai s’était rapidement levé. Il avait revêtu son armure, attrapé son épée et s’était dirigé vers le champ de bataille où tout un troupeau de démons s’avançait, l’air menaçant. Il avait au passage croisé Ashura ô, radieux dans son armure, qui lui avait murmuré ces quelques mots :

-Et maintenant Raijin, c’est le moment de me montrer ce que vous savez faire.

Taishakuten avait hoché la tête et s’était dirigé en courant vers la horde démoniaque.

La grande bataille allait pouvoir commencer.

Tai avait à peine conscience des centaines d’hommes et de démons s’affrontant autour de lui dans des effusions de sang. Seules résonnaient dans son esprit les dernières paroles de Ashura... ‘me montrer ce que vous savez faire’... C’était là son exacte intention. Il allait se battre comme jamais auparavant, dégager une énergie plus puissante que n’importe quelle autre à ce jour et Ashura... Ashura ne verrait plus que lui au monde.

 

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Le dieu de la Guerre avait bien du mal à en même temps contenir les démons qui se jetaient sur lui et à surveiller les actes de Taishakuten. Pourtant, il ne pouvait détacher ses yeux de ce dernier tant la force qui en irradiait était grande. Oui, c’était bien cet homme et nul autre qui pourrait changer le cours des étoiles.

Il était superbe dans le combat, plus magnifique encore que dans n’importe quelle autre situation. Il tuait avec une puissance et une élégance sans égales. Il virevoltait d’ennemis en ennemis avec une grâce incroyable. Il était le maître du champ de bataille.

Certes, à un moment l’ennemi l’avait touché, réouvrant sa blessure à la lèvre mais excepté cela, il menait un combat sans faille. Et Ashura sentit une nouvelle fois son cœur chavirer sous un torrent d’émotions.

 

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A la nuit tombée, tous les démons avaient enfin été vaincus.

Ashura avait eu envie de rentrer immédiatement à Zenmi-jou mais ses hommes étaient trop épuisés par les combats de la journée pour pouvoir reprendre la route dès maintenant.

Il était désormais sûr que Taishaku était l’homme qui l’aiderait à changer le destin et cette perspective le ravissait mais en même temps l’effrayait. Tôt ce matin, juste avant l’attaque des démons, il avait été sur le point de céder aux pulsions que le Raijin lui inspirait. Un moment de folie passagère auquel il avait failli s’abandonner. Une telle chose ne devait plus se produire. S’il voulait que son plan réussisse il ne pouvait se permettre de tels écarts.

Oui, il désirait Taishakuten. Il avait envie de le toucher, de l’embrasser, d’être embrassé mais cela aurait signifié sa perte. Il devait s’éloigner au plus vite de cet homme avant qu’il ne prenne trop d’importance à ses yeux, avant que ses souffrances ne soient encore plus grandes que ce qu’il était nécessaire. Demain matin à l’aube il partirait. Il devait réfléchir et faire le point sur tout ce qui venait de lui arriver. Il devait redevenir l’homme froid et calculateur qu’il avait toujours été. Il devait assurer le futur de son fils et du ciel fusse au prix de son propre bonheur.

Alors qu’il passait à côté de la tente de Jikokuten, celui-ci surgit et l’invita à boire un verre en sa compagnie, proposition qu'Ashura ne pouvait refuser dans la mesure où ça l’aiderait à se détendre un peu et c’est vrai qu’il en avait bien besoin.

Le Dieu Gardien de l’Est lui tendit une coupe de vin.

-Dites-moi, Seigneur Ashura ô, qu’avez vous pensé du combat d’aujourd’hui.

Ashura porta son verre à ses lèvres avant de répondre.

-Et bien j’avoue que votre armée m’a réellement impressionnée car il est vrai qu’au départ la victoire ne paraissait pas acquise.

-Oui, j’admets être assez fier de mes hommes. Ce sont d’excellents soldats.

 

Ashura laissa tomber un silence avant de reprendre.

-Mais la personne qui m’a littéralement effarée c’est le Raijin. Je n’avais jamais eu l’occasion d’admirer un tel combattant. Il est invraisemblable. Je comprends désormais comment il a pu sortir vivant des marais de l’Est.

-C’est vrai que c’est un excellent guerrier. Si seulement il n’était pas aussi prétentieux...

 

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Lorsque Ashura quitta la tente de Jikokuten deux heures plus tard, il se sentait mieux. Plus calme, plus détendu. Il leva les yeux au ciel et regarda les étoiles... ces maudites étoiles... si belles et en même temps si cruelles... comme Taishaku.

Il se mit à errer sans but au milieu des tentes d’où s’élevaient les ronflements des soldats épuisés par une journée entière de combats impitoyables. Ce qu’il devait supporter, c’était trop pour un seul être, même lorsque cet être était le puissant dieu de la guerre Ashura ô. Heureusement que dès demain, dès qu’il serait parti, une partie de cette folie cesserait... par la suite, il devrait s’arranger pour garder le dieu de la foudre à distance. Il n’était pas sûr de pouvoir résister bien longtemps à ses désirs.

Il s’éloigna un peu du campement, profitant du calme reposant de la nuit après une journée remplie de hurlements et de sang. On avait retiré du champ de bataille tous les corps des soldats morts au combat, mais les démons eux était resté sur place et on les laisserait certainement pourrir ici. Après tout pourquoi se soucier de tels monstres ?

Ashura passa la main sur le cadavre froid et dur de l’un de ses adversaires. Etaient-ils donc si différent des hommes ? Avaient-ils des sentiments ? Il ne le savait pas. Combattre un adversaire inconnu, sans se poser de questions, sans chercher à connaître ses véritables motivations, c’était beaucoup plus facile... La facilité, c’était ce que recherchaient les hommes. C’était beaucoup plus facile de laisser naître son fils sans réfléchir à tout ce que ça pourrait entraîner et pour l’enfant et pour le ciel... C’était beaucoup plus facile de rejeter ses sentiments que de les accepter... Et même s’il réfléchissait au meilleur des plans, même s’il réussissait, il n’en restait pas moins un être égoïste à cause de qui des millions de gens risquaient de mourir. Il n’était pas différent, il était peut-être même pire que tous ces démons gisant dans leur propre sang.

Il n’aurait pas dû boire... Ca le rendait mélancolique...

Soudain, au milieu des dépouilles de monstres, il aperçut un corps humain.

Par le ciel, se dit-il, un mort que l’on aurait oublié.

Et alors qu’il se rapprochait, le cadavre releva la tête et s’exclama :

-Ashura ô !

Ashura sursauta et se rapprocha de l’homme. Il voulait voir son visage mais cette voix grave et sensuelle lui avait déjà fait deviner de qui il s’agissait.

-Taishakuten... Que faites-vous ici ?

Le Raijin se redressa sur un coude et lui adressa un timide sourire.

-Je... je méditais. J’avais besoin de réfléchir un peu.

Ashura était pétrifié par la beauté de Taishaku, simplement éclairé par les rayons d’argents de la lune. Mais la petite voix dans sa tête le rappela à l’ordre :

Et bien, pour quelqu’un qui voulait éviter au mieux le Raijin, tu ne sembles pas pressé de t’en aller...

-La ferme, murmura Ashura.

Taishaku releva un élégant sourcil d’un geste d’étonnement.

-Vous disiez Ashura ô ? ? ?

-Excusez-moi. Je me parlais. Si vous avez besoin de réfléchir, je vais vous laisser tranquille.

-Non !

Ashura ressentit comme une pointe de panique dans la voix du Raijin qui reprit d’un ton beaucoup plus calme :

-Restez encore un peu je vous en prie. Nous pourrions discuter.

Ashura hocha la tête et s’assit à côté de Taishakuten. Le silence qui s’installa entre eux devint rapidement pesant. Ashura se sentait oppressé. Le Raijin était là, à quelques centimètres de lui, il n’avait qu’un geste à faire pour poser la tête sur son épaule, il n’avait qu’à bouger la main de quelques millimètres pour prendre celle de Taishaku et pourtant, il restait là sans réagir, simplement à écouter les battements violents de son cœur et la respiration rapide de l’homme près de lui. Enfin, il osa briser le silence.

-Raijin, je tenais à vous dire que je vous ai observé aujourd’hui sur le champ de bataille et que je vous ai trouvé très impressionnant. Je parlerai de vos exploits à Tentai et vous pourrez être sûr qu’il saura vous récompenser.

-Je vous remercie...

La voix de Taishakuten n’était plus qu’un murmure rauque.

-...mais je crois que Jikokuten n’appréciera pas une telle décision.

Ashura ferma les yeux quelques instants et avala sa salive avant de reprendre.

-A cause de la bagarre ?

-Il vous en a parlé ?

-J’en ai eu écho. Mais je ne vous blâme pas. J’aurais fait de même.

Nouveau silence et Ashura continua :

-Et puis vous l’avez beaucoup plus amoché que l’inverse...

Tai porta une main tremblante à sa lèvre réouverte par les combats et qui était encore couverte de sang séché.

-Un démon vous a blessé au même endroit ? interrogea Ashura.

Le Raijin hocha la tête, incapable d’émettre le moindre son. Une goutte de sueur perla sur son front.

-Et ça vous fait mal ? demanda Ashura en caressant du bout des doigts les lèvres du Raijin.

Arrête ça Ashura ! ordonna la petite voix dans sa tête, mais même s’il en avait eu l’intention, il en était incapable.

-Un peu, mais c’est supportable, répondit Taishaku d’une voix frêle.

La sensation de souffle de Taishaku sur ses doigts envoya des frissons de plaisir à travers tout le corps d’Ashura. Il en voulait plus...

-Vous savez, commença-t-il, d’une voix mal assurée, lorsque j’étais enfant et que je me blessais, ma mère avait une méthode infaillible pour stopper la douleur...

Mais qu’est-ce que je raconte ? se dit Ashura... Qu’est ce qu’il me prend ?

-...elle posait ses lèvres sur l’endroit blessé et l’embrassait. Moi, je voulais lui dire que c’était stupide, qu’elle allait me transmettre ses microbes et que je n’en aurais que plus mal. Mais c’est moi qui avais tort car croyez-le ou non ça marchait...

 

Taishaku ne répondit pas mais Ashura sentait une certaine tension qui se dégageait de lui. Enfin, il osa plonger son regard dans celui débordant de désir du Raijin.

-Taishakuten, murmura-t-il, laissez-moi apaiser votre douleur.

Et lentement, il approcha ses lèvres de celle du Raijin. Ce dernier ferma les yeux alors que leurs bouches n’étaient plus qu’à quelques millimètres l’une de l’autre, puis Ashura fit de même. Il sentait le souffle du Raijin, si proche du sien, leurs haleines mêlées dans le même désir évident... plus que quelques nanomètres et il pourrait enfin le goûter. Il sentit la main de Taishakuten caresser la sienne, et leurs doigts s’entrelacèrent. Puis leurs lèvres s’effleurèrent timidement. Ashura allait approfondir le baiser quand un toussotement se fit entendre.

-Humhum, Seigneur Ashura ô ?

Tous deux sursautèrent et se séparèrent rapidement, aucun n’osant croiser le regard de l’autre. Puis Ashura tourna la tête vers l’inopportun.

-Oui, que voulez-vous ?

-Je venais vous prévenir, bredouilla le soldat, que l’un de vos hommes vient de décéder à la suite de ses blessures.

-Oh... murmura Ashura, j’arrive. Si vous voulez bien m’excuser Raijin.

 

Taishaku ne répondit pas. Il ne le regarda même pas. Alors Ashura se leva et s’éloigna en direction du campement ne sachant s’il devait se réjouir ou s’attrister d’avoir été dérangé dans un moment aussi critique pour sa santé mentale.

 

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Taishakuten resta longtemps allongé là, sur le champ de bataille, sans bouger. Par le ciel ! Ashura avait été sur le point de l’embrasser. Il se rappelait avec délice le souffle du Dieu de la guerre sur ses lèvres, la douceur de sa main dans la sienne, sa bouche, disparue trop rapidement avant qu’il n’ait eu le temps d’y goûter... Ahhh s’il recroisait le type qui les avait interrompus, il allait passer au bout de son épée !

Enfin cela signifiait au moins qu’il avait ses chances. Il ne put couvrir un grand sourire tellement inhabituel pour lui.

Ashura, se dit-il, un jour tu m’appartiendras complètement.

Il se leva et quitta le champ de bataille. Il ne put s’empêcher, alors qu’il regagnait sa tente de jeter un coup d’œil dans celle d’Ashura mais elle était vide. Le Dieu de la guerre se trouvait probablement au chevet du mort. Il pensa bien un moment à l’attendre mais y renonça. Ashura trouverait certainement cela trop forcé et peu élégant. Alors, il rejoignit son propre lit où la nuit le berça des rêves les plus agréables.

 

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Lorsqu’il se leva le lendemain matin, il se sentait en pleine forme et de fort bonne humeur. Il se lava, après qu’un subordonné lui eu apporté une cuvette d’eau, se coiffa, s’habilla et sortit de sa tente en chantonnant. Mais la dernière note mourut dans sa gorge quand il s’aperçut que la tente d’Ashura avait disparu.

 

Chapitre 11