Chapitre 8

 

 

Ce fut un léger frappement à la porte qui tira Taishaku du sommeil agité dans lequel il était tombé après avoir réfléchi pendant une bonne partie de la nuit à tout ce qui lui était arrivé au cours des dernières heures. Se sentant affaibli et quasiment malade, le soleil déjà haut brûlant ses yeux fatigués, il se leva de ce lit qui la veille encore lui promettait de doux rêves pour finalement se traîner jusqu’à l’entrée.

-Qui est là, demanda-t-il faiblement à travers le lourd panneau.

-C’est moi Bishamon ! Ouvre-moi s’il te plaît.

Bishamon.... Quitte à être dérangé, pensa Taishaku, autant que ce soit par quelqu’un qui me soit sympathique. Si ça avait été cette vipère de Vayue...

Il tira alors la porte et Bishamon entra.

-Mais.. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu n’es pas prêt. Nous devons bientôt repartir !

Taishaku ne répondit pas et retourna s’asseoir sur le bord du lit.

 

-Oulah, reprit Bishamon, ça n’a pas l’air d’aller très fort. Tu as vraiment une sale tête ce matin.

-Merci Bishamon, murmura-t-il, mais je viens de me réveiller.

-La nuit à été dure ?

-Epouvantable....

-J’ai pourtant croisé Vayue ce matin et il avait l’air en pleine forme. Se pourrait-il que tu perdes ton endurance ? ? ? ?

-Je n’ai pas passé la nuit avec Vayue...

Bishamon prit un air déconcerté pendant quelques instants avant de continuer, d’une voix hésitante.

-Mais....Je croyais pourtant...

-Tu as mal cru...

-Mais.. vous avez disparu hier au même moment et ne vous voyant revenir avec Zocho nous avons pensé...

-ET BIEN VOUS AVEZ MAL PENSE ! s’énerva soudainement Taishaku.

Non mais comment... comment son meilleur ami avait pu imaginer un seul instant qu’il avait pu passer la nuit avec un type comme Vayue ? Un type qui avait gâché la moindre chance qu’il avait d’aborder Ashura-ô ? Oh... Ashura...

Malgré la nuit écoulée, la simple évocation du dieu de la guerre lui envoyait encore des pointes de douleur dans tout le corps. Troublé, perturbé, Taishaku enfouit sa tête dans ses mains, en poussant un terrible soupir. Mais qu’allait-il bien pouvoir faire ?

La seule solution qu’il avait pu trouver pendant ses longues heures de méditation lui semblait bien pitoyable. C’était la fuite. En effet, dans quelques heures, il allait repartir sur le front, non pas pour combattre, les démons devant s’être calmé pour quelques temps, mais pour surveiller, car malgré cela une attaque surprise n’était pas à exclure. Il allait s’éloigner de l’incroyable beauté d’Ashura-ô et ainsi il pourrait, du moins l’espérait-il, l’oublier. Oui, l’oublier et tout irait pour le mieux. Jamais plus il n’aurait à se sentir faible et désemparé comme il l’était maintenant.

Il entendit un bruit de pas et des bras amicaux se passèrent autour de ses épaules. Enfin, la voix de Bishamon qui chuchotait.

-Tai, parle-moi. Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu n’es pas dans ton état normal depuis hier. Que s’est-il passé avec Vayue ?

Pas dans son état normal... c’est le moins que l’on puisse dire. Pour un peu, il se serait mis à pleurer. Mais, il ne pouvait pas parler d’Ashura-ô et de ce qu’il ressentait à Bishamon... Non, il était beaucoup trop effrayé pour cela.

-Rien, rien, répondit-il doucement en se dégageant de l’étreinte de son ami. Il y a juste eu un... malentendu entre Vayue et moi et j’ai préféré rentrer seul.

-Un malentendu ?

-Oui, rien de bien grave... C’est juste que je n’avais plus envie de passer la nuit avec lui...

Bishamonten le fixa un moment, plutôt sceptique avant de finalement l’attraper par les épaules, le plaquer sur le lit et l’embrasser.

Tai le repoussa d’un mouvement brusque comme il l’avait fait la veille avec Vayue. Mais Bishamon, plutôt que de s’énerver, éclata de rire.

-QU’EST-CE QU’IL T’A PRIS ? ragea Taishaku encore décontenancé par ce geste inattendu. Je croyais que je n’étais pas ton style ! ! ! !

Parvenant finalement à reprendre son calme, Bishamon le fixa avec un grand sourire.

-Tu n’es pas mon style ! Mais je faisais un test.

-Explique-toi !

-Et bien je pense qu’il y a quelque temps encore tu aurais plutôt été ravi de mon initiative.

-Et alors ?

-Mais là, tu me repousses. C’est donc que quelque chose a changé en toi.

-........

Devant l’absence de réponse de Taishaku, le sourire de Bishamonten s’élargit encore d’avantage.

-En fait, j’ai une super théorie, reprit-il. Je pense que tu es tombé amoureux !

Taishakuten n’en croyait pas ses oreilles. Finalement Bishamon le connaissait mieux qu’il ne l’aurait pensé. Etait-il donc transparent à ce point ? C’est vrai qu’il avait vraiment agi de façon inhabituelle depuis sa rencontre avec Ashura mais tout de même... A l’avenir, il devrait faire plus attention. Il était hors de question que quelqu’un d’autre le perce à jour. Et même Bishamon ne devait pas savoir.. jamais.. c’était bien trop dangereux..

-Qu’est ce que tu racontes ! ! ! répliqua-t-il alors. C’est n’importe quoi ! Je n’éprouve pas ce genre de sentiments....

Bishamon se redressa et planta son regard dans le sien.

-Ne me mens pas Taishaku... Je m’en suis tout de suite aperçu... Dès que tu l’as rencontré...

Taishaku paniqua. Si Bishamonten l’avait remarqué dès cet instant alors il ne devait pas être le seul.

-...Dès que vos yeux se sont croisé j’ai su que vous étiez fait l’un pour l’autre...

Mais que vais-je faire ? se demanda Taishaku.

-...Mais dès qu’il a commencé à devenir trop pressant tu as pris peur...

Hein ? ? ? ?

-...après tout je ne peux pas t’en vouloir, tu n’as pas l’habitude d’éprouver quelque chose pour les gens....

Qu’est-ce qu’il raconte ? ? ? ?

-... et alors tu l’as repoussé...

? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ?

-Mais ne t’inquiète pas. Si tu veux j’irai lui parler et je lui dirai que tu es désolé. Vayue est un homme intelligent et il comprendra.

VAYUE ! ! ! ! Cet imbécile de Bishamonten le croyait amoureux de Vayue ! ! ! ! ! Taishaku en aurait presque pleuré de soulagement. Il valait mieux qu’il croit cela plutôt qu’il sache la vérité... En tout cas, il n’allait certainement pas le contredire... mais pas non plus l’encourager dans cette direction sinon Vayue allait de nouveau lui tomber dessus.

-Je te remercie Bishamon mais ce n’est pas la peine. Je suis un grand garçon maintenant et je me débrouillerai pour régler mes affaires moi-même.

-Comme tu veux ! En tout cas si tu as besoin d’aide tu sais où me trouver...

-Je sais que je peux compter sur toi... Merci pour tout.

Bishamonten se leva et se dirigea vers la sortie mais avant de quitter définitivement la pièce il se retourna et ajouta :

-Tu ferais mieux de te dépêcher. On va bientôt nous donner nos nouvelles affectations. Et après.. c’est repartit pour joyeusement crapahuter dans les montagnes couvertes de démons sanguinaires.

-Je vais faire aussi vite que possible.

Après le départ de son ami, Taishakuten se lava, se changea, et prépara ses maigres affaires avec entrain. Il préférait mille fois affronter des démons sanguinaires que les tourments de son cœur.

 

*******************

 

Taishakuten finissait juste de seller son cheval quand Bishamonten arriva. Tous deux s’étaient déjà aperçus rapidement au moment de la remise des nouvelles assignations mais ils n’avaient pas eu le temps de discuter. Tai avait d’ailleurs aussi croisé le regard venimeux de Vayue mais l’avait royalement ignoré. Malheureusement, contrairement à son habitude, Ashura-ô n’était pas venu. Beaucoup avaient été surpris de cette absence mais il leur fut dit que le Dieu de la guerre avait trop de travail à préparer les nouveaux plans de défense pour pouvoir venir souhaiter bonne chance aux combattants. Taishakuten avait été déçu. Malgré tous les soucis que ça avait pu lui créer, il aurait aimé apercevoir une dernière fois cet homme magnifique qu’il allait désormais tenter d’oublier.

-Alors Tai, tu te sens mieux ? l’interrogea son ami.

-Oui, beaucoup, merci pour tout. Alors, où t’envoie-t-on ?

Bishamonten fit une légère grimace avant de répondre :

-Au nord, comme d’habitude. J’en ai marre ! On m’envoie toujours dans les coins les plus pourris, boueux et froids !

-Peut-être parce que tu commences à bien connaître la région. C’est plus pratique pour un stratège.

-Mouaif....

-Et puis ne te plains pas ! Sais-tu où on m’envoie ?

-Non, où ?

-A l’est... Sous les ordres de Jikokuten ! ! ! !

Bishamonten éclata de rire, puis s’exclama :

-Oh mon pauvre ! ! Tu vas souffrir ! ! ! J’ai bien l’impression qu’il te déteste.

-C’est aussi l’impression que ça me fait... Je n’aurai peut être pas dû l’insulter hier.

Tous deux se regardèrent avant d’être de nouveau secoués de ricanements.

-Non, allez, arrête Bishamon ! C’est pas drôle ! Je sens que ce type va vraiment me mener la vie dure.

Et quelque part au fond de lui-même, Taishaku l’espérait. Au moins la souffrance l’empêcherait de trop penser à Ashura...

-Et sais-tu, reprit Bishamon, où Vayue a été envoyé ?

-Non, murmura Tai qui d’ailleurs s’en fichait éperdument et espérait juste que le dieu du vent se trouve aussi loin que possible de lui.

-Il se retrouve à l’ouest, au milieu des forêts et des lacs. C’est dégoûtant ! Certains ont vraiment trop de chance. Mais il sera aussi très éloigné de toi...

 

Tai ne répondit pas et se contenta d’accrocher sa dernière sacoche sur le dos de son cheval. Presque tous ses hommes s’étaient maintenant réunis autour de lui et attendaient ses ordres. Il se tourna vers Bishamon et lui tendit la main.

-C’est l’heure de se quitter mon ami. Le départ est imminent. Tu ferais mieux toi aussi de réunir tes troupes.

-Tu as sans doute raison, soupira Bishamon. Mais j’aurai quand même souhaité profiter quelques jours de plus des douceurs de Zenmi-jou.

-Et qu’est-ce que ça t’aurait apporté de plus sinon de désespérer tant et encore sur ta princesse ?

-Oui... Mieux vaut que je rejoigne les champs de bataille... J’y suis plus à ma place.

-Et puis nous y reviendrons à Zenmi-jou...

Un long silence s’en suivit. Ce fut Bishamon qui le brisa.

-En plus certains ont beaucoup plus à perdre que nous.

Les deux hommes tournèrent leur regard vers Komokuten qui serrait dans ses bras la jeune chanteuse qu’il avait rencontré la veille.

-C’est le grand amour apparemment, constata Tai.

-Oui, je n’avais jamais vu Komoku ainsi. Quel homme chanceux... Il a trouvé quelqu’un qui lui convient...

-Nous aussi un jour... nous aussi...

-Bon tu ferais mieux d’y aller Tai, tes hommes attendent les ordres.

Et il s’éloigna un peu.

-Allez Bishamon, au revoir et à bientôt, lui cria Taishaku. Et surtout ne te fais pas tuer !

-Ne t’inquiète pas pour moi ! Et prend bien soin de toi.

-Tu n’as pas de soucis à te faire. Je vais très bien.

-A bientôt. Et ne laisse pas Jikokuten te martyriser ! ! Pense que moi je serai dans la neige jusqu’au cou !

-Oh arrête de te plaindre ! Après tout personne ne t’a forcé à t’engager.

Bishamon lui accorda un grand sourire et un dernier signe de la main avant de finalement disparaître au milieu des soldats et des chevaux.

Taishaku grimpa ensuite sur sa propre monture et à l’intention de ses hommes :

-SOLDATS ! A MON COMMANDEMENT, EN AVANT, MARCHE !

Et la longue colonne s’ébranla vers la sortie du palais impérial.

 

******************

 

Ils chevauchaient depuis maintenant un bon moment. Zenmi-jou n’allait pas tarder à disparaître de leur vue. Avant que cela n’arrive, Taishaku se retourna vers l’édifice de marbre blanc et pensa à Ashura-ô pour ce qui était, se promit-il, la dernière fois. Il aurait quand même aimé le voir juste encore un peu....

 

 

******************

 

Ashura-ô soupira quand il vit, depuis l’un des balcons de Zenmi-jou, s’éloigner Taishakuten et ses troupes, mais il ne savait si c’était de soulagement ou de dépit.

Il avait passé une nuit des plus horribles. Son sommeil avait été peuplé de visions et de rêves étranges, tous impliquant le nouveau Raijin. Certains avaient été des aperçus de combats contre ce qu’il savait être son propre fils ou contre des gens qu’il ne connaissait pas. D’autres avaient été plus... torrides.

 

Ces derniers étaient ceux qui le troublaient le plus et qu’il cherchait à oublier en se focalisant entièrement sur le problème de son enfant et sur le rôle que Taishakuten pouvait avoir à y jouer... Mais il ne trouvait pas. Il ne comprenait pas en quoi le dieu de la foudre pouvait être impliqué... Et soudainement s’imposaient à son esprit la sensation des mains de Taishakuten caressant son corps, la douceur de ses lèvres sur sa peau, le goût...

STOP ! s’imposa Ashura.

Même si ces pensées étaient des plus agréables, si exquises même qu’elles en étaient effrayantes, Ashura ne voulait en aucun cas les accepter. Il avait peur... peur de ce qu’elles impliquaient et peur de ce qu’il ressentait...

Je deviens fou, se dit-il une nouvelle fois. Je ferai mieux d’oublier toute cette histoire de Taishakuten et de me concentrer sur un plan plausible...

Furieux, il retourna s’asseoir à l’intérieur. Furieux contre lui-même, incapable de se concentrer cinq minutes, furieux contre Taishakuten, qui lui créait de nouveaux problèmes, comme s’il n’en avait déjà pas assez comme ça, furieux contre Kuyo, qui n’avait franchement pas besoin de lui faire une telle prédiction, furieux contre son fils, qui ne pouvait pas naître normal comme tout le monde et même furieux contre Tentai, qui était toujours sur son dos et qui lui avait d’ailleurs reproché son absence à l’affectation des troupes ce matin...

Mais ce matin... alors qu’il venait de s’éveiller... encore fébrile des rêves de la nuit... alors que chaque détail était toujours clair pour lui... alors que chaque sensation brûlait encore sa peau... il aurait été incapable de faire face à ces hommes. Et encore moins si Taishakuten était l’un d’entre eux. Ces yeux de glace, qu’il avait vu enflammés par le désir, posés sur lui, il n’aurait pu le supporter. Il se demanda alors si le Raijin le désirait vraiment. Après tout il n’avait montré aucun signe qu’il en soit ainsi, perdu qu’il était dans les bras de Vayue (pensée au combien douloureuse). Ou si ces rêves n’était que le reflet de son propre besoin... son propre besoin...

 

Ashura coupa net cette idée et lâcha un juron. Voilà, encore une fois, sans qu’il ne le veuille, ses pensées s’étaient tournées vers Taishakuten.

Ca suffit maintenant, se dit-il. Je n’ai aucune envie de Taishakuten. Ce n’est... que le stress... oui, le stress et la fatigue... et le manque de femmes aussi. Ces derniers temps je n’ai guère eu l’occasion de me divertir et ça joue sur mes nerfs... Mais je vais y remédier... très bientôt... De toute façon, à présent, Taishakuten est parti...

 

Avant qu’il n’ait eu le temps d’analyser cette douleur sourde dans sa poitrine, Tentai entra dans la pièce et lui adressa un grand sourire.

-Alors Ashura, vous vous sentez mieux ? Vous êtes encore tout pâle, que se passe-t-il ?

-Rien Seigneur, je vous assure que tout va bien... Je me sens en pleine forme.

-En êtes vous sûr ? Que vous tombiez malade serait une catastrophe pour nous, vous le savez ?

-Oui Seigneur, je le sais. Mais je vous assure que rien de tel n’arrivera.

-Bien, puisque vous me l’assurez... Passons à autre chose, enchaîna Tentai en prenant place à une table. Pouvez-vous m’expliquer ces derniers plans de défense que vous avez mis au point ?

-Bien sûr Seigneur, répondit Ashura en s’asseyant aux côtés de l’empereur. Alors au nord....

Ses explications étaient claires et concises, à l’inverse de son esprit qui sans cesse le ramenait vers Taishakuten et ces terribles rêves.

 

Chapitre 9