Chapitre 7

Un poignard siffla dans l’air et atteignit la cible située à l’autre bout de la pièce.

" Strike ! " cria le jeune homme aux cheveux en bataille qui avait lancé l’arme. Il s’effondra ensuite dans le premier fauteuil qu’il trouva. Il y avait longtemps que ce petit jeu ne l’amusait plus ; et si le lancer de couteaux était l’un de ses sports favoris (ça et le base-ball), il préférait s’exercer sur une cible vivante plutôt que sur un morceau de carton ridicule accroché au mur.

Son ami ne le regardait même pas, trop occupé à lire les rapports de ces derniers jours. Sorata essayait désespérément d’attirer son attention, en vain. Subaru n’était pas homme à se laisser distraire par le premier clown venu.

" Tu sais que tu n’es pas drôle, pour le gourou d’une secte ? " sortit Sorata avec un bâillement d’ennui. Il ne supportait plus d’être enfermé entre ces quatre murs.

" Je ne suis pas un gourou. " répondit machinalement Subaru.

" Techniquement, un type qui dirige une secte, même fantôme, est un gourou. Et comme c’est toi qui décide de tout ici, tu es donc notre gourou. " se moqua le jeune rebelle. Subaru ne réagit pas.

" Humph… tu sais que tu es aussi chiant que barbant ? "

" Oui. "

Pour le coup, il abandonna et quitta la pièce qui leur servait de salle de séjour. Il s’ennuyait vraiment à mourir. Il devait vite trouver de quoi s’occuper s’il ne voulait pas péter un plomb.

" Rhhaahhh, c’est que j’ai la dalle moi ! A table ! " Il se dirigea d’un pas décidé vers la cuisine.

Il y trouva Tashiro occupé à se préparer un sandwich. Dès qu’il le vit, celui-ci chercha à s’enfuir ; mais Sorata bloqua la porte de la cuisine, un sourire féroce sur les lèvres. Tashiro en eut la chair de poule.

" Euh… vous désirez quelque chose, Sorata-sama ? "

Faites qu’il soit de bonne humeur, mon Dieu, faites qu’il ne me demande pas encore de…

" Justement, je m’ennuyais un petit peu. J’étais venu pour casser la croûte, mais je crois que c’est plutôt toi que je vais dévorer, mon enfant. " Tout en disant cela, il se rapprochait d’un Tashiro tout tremblant et lui caressait les cheveux.

" Ca faisait longtemps qu’on s’était pas amusé, tous les deux. Mon mignon petit loup. "

" Hum… c’est que… j’ai à faire… Kai m’attend pour… "

Il n’eut pas le temps de terminer que déjà Sorata lui avait sauté dessus, les renversant sur le sol. Tashiro essayait de se dégager, sans succès. Il n’était pas faible, mais son adversaire possédait une force bien supérieure à celle d’un être humain ordinaire. Par ailleurs, il se laissait faire inconsciemment. Il n’aurait jamais osé se l’avouer de la part d’un " ennemi ", mais le bras droit de Subaru lui plaisait énormément. Ils s’embrassèrent fougueusement sur le carrelage de la cuisine.

Un seau d’eau glacée les empêchèrent de poursuivre. Il avait été lancé par Subaru, qui, intrigué de ce que son ami ne revenait pas, était venu le chercher. Et l’avait trouvé vautré par terre avec leur homme à tout faire.

" Sorata ! Je peux savoir ce que tu fais ? " demanda Subaru, pas vraiment concerné, mais soucieux de garder la pièce propre (au vu de ce que Sorata avait fait pour transformer la salle de bain, la dernière fois).

" Moi ? Euh… rien, Tashi-chan avait une poussière dans l’œil. Pas vrai, mon petit loup ? " Il adressa un clin d’œil complice à sa victime qui rougit.

" Ou… oui. " bredouilla-t-il. " Si vous vous voulez bien m’excuser, je crois que Kai m’a appelé. Au revoir ! " Il s’enfuit du côté de la chambre du jeune Liseur de Rêves.

" Pfuu ! T’es vraiment casse-pieds ! On faisait rien de mal, pourtant ! "

" Ca dépend. N’oublie pas qu’on a encore besoin de lui. Je ne voudrais pas que tu l’épuises trop. " Cela sonnait presque comme de l’ironie. Sorata ne fit qu’en rire.

" Bah, ça m’occupe en attendant. Il est tout à fait charmant, ce petit. "

" Je te rappelle que tu es plus jeune que lui, et de beaucoup. " Sorata haussa les épaules.

" Tiens au fait, comment va Seishiro ? "

" Il s’est enfui hier. "

" Quoi ? Et c’est tout l’effet que ça te fait ? Si jamais il retrouve la mémoire, on est mal ! "

" C’est déjà fait. "

Sorata en resta bouche bée, fixant bêtement les cheveux de Subaru.

" KKKKKOOOOAAAA ? ? ? "

" Ne crie pas si fort. Il ne se souvient pas de tout, seulement de sa véritable identité. Les événements de 1999 semblent lui avoir échappé. "

" Maismaismais… "

" Il est chez Ranmaru, maintenant. "

" Comment tu le sais ? "
" Kai l’a vu dans un de ses rêves. "

" Il peut voir ce genre de choses ? Trop fort ! "

" C’est grâce au pouvoir de Kakyou. "

Sorata se tut. Il ne savait pas ce que Subaru avait en tête en laissant échapper aussi facilement son pire ennemi, mais son air calme ne présageait rien de bon. Il connaissait suffisamment le chef des Suméragi pour savoir quand il avait une idée farfelue, ce qui était justement le cas en ce moment même. Pourquoi fallait-il qu’il se montre aussi mystérieux à chaque fois ?

Mais ce n’était pas son problème, après tout. Il avait juré à Kamui de rester avec Subaru et de le protéger ; il ne faillirait pas à la dernière promesse qu’il avait faite à son meilleur ami. Des images du passé lui revinrent en tête sans qu’il l’ait vraiment demandé.

" Jure-le moi, Sorata. Jure-moi que quoi qu’il arrive, tu resteras avec lui. "

Kamui. Le messager des Dieux.

" Ce n’est pas qu’il ait besoin d’aide, tu vois… mais il aura besoin d’un ami plus que tout autre. "

Kamui. Celui qui détruira le Ciel.

" Je lui ai confié une mission. Je sais qu’il fera tout pour l’accomplir. "

Il tient entre ses mains deux futurs différents.

" Je sais que ce que je lui ai demandé est cruel… mais il est le seul à pouvoir le réaliser. "

Qu’il devienne le Dragon du Ciel, parce qu’il est l’un des Sept Sceaux…

" Pardonne-moi… je n’ai pas le choix… "

Ou qu’il devienne le Dragon de la Terre, parce qu’il est l’un des Sept Emissaires.

" Mon seul souhait… puisses-tu l’accomplir. "

L’avenir est " Un ".

" J’ai confiance en toi… Subaru. "

Il n’y en a toujours qu’un seul.

Un seul avenir…

" Mmm ? Tu disais ? " demanda Subaru en se tournant vers son camarade.

" Rien. Je me demandais seulement quand tu nous laisserais enfin seuls, mon petit loup et moi. " Sorata lui fit un grand sourire, auquel Subaru lui répondit.

" Tu sais bien que j’ai encore besoin de toi. Par ailleurs, tu te comportes encore comme un gamin. "

" Même pas vrai ! "

Cette fois-ci, Subaru éclata carrément de rire. Sorata en fut réellement heureux. Il avait tout de même réussi à le dérider un peu. Depuis quelque temps, il s’inquiétait de la mine sombre de son ami. C’était comme s’il redoutait qu’un événement terrible n’arrivât dans les prochains jours ; mais quoi ?

Le jour où Subaru était revenu avec Seishiro, il s’était immédiatement méfié de lui. Le Sakurazukamori avait été l’un de leurs plus acharnés opposants, lors de la dernière confrontation, et il ne souhaitait pas spécialement vivre sous le même toit que ce monstre. Mais assez rapidement, Subaru s’était installé avec lui dans un appartement situé en plein centre-ville, ignorant totalement les différends qu’ils avaient eus dans le passé.

Il faut dire qu’il avait beaucoup de mal à reconnaître l’ancien assassin ; il avait changé du tout au tout, jusqu’à devenir un homme remplis d’attentions, fou amoureux de son ami. Il ne semblait pas se souvenir d’eux, ni du jour de la " Promesse ". Aux questions qu’il n’avait pas manquées de poser à Subaru, celui-ci avait vaguement fait allusion à un choc émotionnel qui lui avait fait perdre la mémoire.

Un choc émotionnel ? Le Sakurazukamori ? C’était impossible. Il devait sûrement se tromper. Etait-ce vraiment cela ? Lorsqu’il regardait Seishiro, il ne voyait qu’un homme paisible ayant certes perdu l’usage de l’œil droit, mais tellement gentil et aimable que tout ceux qui le rencontraient ne pouvaient s’empêcher de l’aimer. Même Subaru semblait lui avoir pardonné tout le mal qu’il lui avait fait.

Mais nous savions tous les deux que cela ne durerait pas éternellement. Un jour ou l’autre, il aurait fini par retrouver la mémoire. Etait-ce cela qui te faisait si peur ? Qu’il se souvienne de votre ancien pacte ? Qu’il se mette à te trahir, à nouveau ?

Mais je sens bien que ce n’est pas aussi simple que cela. Tu as tes raisons, Subaru. Kamui avait confiance en toi, alors moi aussi, je te ferais confiance et te suivrais. Jusqu’au jour de la " Promesse ". Pour Kamui.

A ses côtés, une ombre sourit sans qu’il en ait conscience, avant de s’envoler dans la nuit dans un nuage de plumes blanches.

 

 

 

 

Chapitre 8

Kai ouvrit les yeux. Il avait encore rêvé de cet étrange garçon aux ailes noires. Kamui.

" Il n’y a qu’un seul avenir. Et cet avenir, Kamui seul peut le réaliser. "

Où avait-il déjà entendu cette phrase ? Kamui…

Il sentit une chose froide sur sa main. Une goutte de pluie. Il pleuvait dans son rêve.

De la pluie…

Il écarquilla les yeux, étouffant un cri d’horreur qui se perdit dans sa gorge. La pluie s’était teinte en rouge. Du sang. Il en fut bientôt recouvert des pieds à la tête.

Comment…

Il essaya de s’enfuir, mais se trouva enfermé dans une sphère en verre dont il pouvait voir qu’elle représentait la Terre. Celle-ci se remplissait peu à peu de sang. Il voulut la briser de l’intérieur, mais ne put que se débattre inutilement tandis que le niveau augmentait dangereusement. Il suffoquait. Il pouvait déjà sentir le goût du sang dans la bouche. Un goût aussi amer que cet endroit.

Aidez-moi…

Il était sur le point de perdre connaissance. La sphère était entièrement inondée.

Enjoji-san…

Tout d’un coup, la sphère se brisa en mille morceaux, laissant échapper son contenu. La Terre se brisa.

Kai toussa plusieurs fois pour reprendre son souffle. Le sang s’était répandu par terre, formant une petite mare dans laquelle il pataugeait. La pluie s’était arrêtée.

La flaque de sang se rassembla devant lui, comme mue par une force mystérieuse, et s’assembla en volutes dans l’air pour former une épée imposante, sur laquelle était gravée des signes géométriques.

Cette épée… je la connais.

Le " Shinken "… l’Epée Divine.

Une main, sortie de nulle part, saisit l’arme. Il ne put discerner précisément son propriétaire, qui se cachait dans l’ombre ; mais il s’aperçut qu’à ses côtés, se tenait Enjoji.

Celui-ci avait le regard vide. Il se dirigea tel un automate vers le premier protagoniste.

Non ! N’y allez pas !

Il ne l’écouta pas. Kai était pétrifié.

Arrêtez ! Il va vous…

Encore quelques mètres. Plus que trois pas, et…

Enjoji-san !

Enjoji sembla enfin sortir de sa torpeur. Trop tard. Il n’eut même pas le temps de hurler, ni de comprendre ce qu’il se passait. L’autre homme brandit l’Epée Divine, qui s’abattit sur son corps. De nouveau, l’espace fut recouvert de sang.

NNNNNNNOOOOOOONNNNNN ! ! ! ! ! ! ! ! !

 

" Kai, ça va ? Kai, répond-moi ! " Il se réveilla pour trouver un homme aux longs cheveux noirs penché au-dessus de lui, l’air complètement paniqué. Ah oui. Tashiro, son serviteur.

Il se leva à moitié, s’appuyant de ses coudes sur les oreillers. La chambre était, comme toujours, plongée dans une semi-obscurité inquiétante.

" Tashiro. Quelle heure est-il ? "

" Il est déjà 22 heures. Ca fait quatre heures que vous êtes " parti ". Vous devriez reprendre des forces. Justement, je vous ai préparé des sandwiches. "

Kai lui sourit. Depuis qu’il était ici, on lui avait assigné Tashiro en tant que serviteur, et il devait admettre que celui-ci s’occupait de lui à merveille, anticipant le moindre de ses désirs à la perfection. Depuis qu’il était ici… quand était-il arrivé ? Il ne s’en souvenait plus très bien. Il avait l’impression de vivre dans cet hôtel depuis toujours, avec pour uniques habitants Tashiro, Subaru et ce drôle de garçon aux cheveux dressés qui l’accompagnait parfois.

Pourtant, les rêves qu’il faisait l’avait persuadé qu’ils n’étaient pas seuls au monde. A l’extérieur, il y avait d’autres êtres comme lui, des créatures de chair et de sang, pas seulement des fantômes ou des esprits rôdeurs. Des êtres humains. Comme cet homme qui apparaissait sans cesse dans ces rêves. Enjoji.

 

Il frissonna à la seule évocation de ce nom. Pendant longtemps, cet homme avait été l’unique personne qu’il voyait régulièrement dans ses rêves. Mais il ne faisait pas que le voir, il pouvait aussi lui parler, en quelque sorte. Lorsqu’il était triste ou effrayé par l’une de ses prédictions, il se tournait inévitablement vers lui ; sa simple présence lui apportait réconfort et affection. Il ne savait pas vraiment ce qu’il représentait pour lui ; était-ce un ami, un parent proche? Il avait essayé de le demander à Tashiro ; mais celui-ci s’était contenté de le regarder longuement avant de lui dire qu’il n’était pas de son ressort de répondre à ce genre de question. Qu’à cela ne tienne. Il irait voir Subaru.

Il avait quand même longuement hésité avant de se décider. Subaru était le maître des lieux ; Tashiro lui avait raconté qu’ici, chez les Dragons du Ciel, il décidait de tout. Cette distinction le rendait plus impressionnant encore ; et Kai avait craint, au vu des rencontres précédentes qu’il avait déjà eues avec lui, qu’il n’eût mal prit sa demande et ne se fâchât.

Les rares personnes en costume solennel qu’il avait rencontré dans le couloir menant à son bureau n’avaient pas l’air très à l’aise non plus. Lorsqu’il était arrivé parmi eux, seulement habillé d’un léger peignoir de coton (la seule tenue qu’il possédait, et qui était bien suffisante puisqu’il passait son temps à dormir), ceux-ci l’avaient toisé longuement. Il avait entendu l’un d’entre eux murmurer quelque chose à l’oreille d’un homme assez âgé qui ne manquait pas de prestance. Il avait juste pu percevoir dans la conversation le titre de " M. le Président ".

Finalement, il avait été reçu à peine quelques minutes après être arrivé. Il avait vu les autres rouler de gros yeux, se demandant quel genre d’homme pouvait se permettre de se présenter devant le chef de l’illustre famille Suméragi habillé d’un simple peignoir, et se faire recevoir en si peu de temps alors qu’un haut dignitaire de l’Etat avait dû poireauter pendant des heures pour un résultat incertain.

Subaru était installé à la table de son bureau, comme toujours plongé dans ses paperasses. Il avait fait signe à Kai de s’asseoir sur un siège luxueux en face de lui. Celui-ci lui avait obéi, intimidé. Il n’avait pas osé commencer la conversation.

Finalement, Subaru avait levé les yeux de ses dossiers et l’avait regardé. L’expression de son visage, un mélange d’exaspération et d’ennui, avait fait grande impression sur Kai qui avait retenu son souffle, comme hébété.

" Je peux vous poser une question ? " avait-il demandé tout à trac. Il avait reçu pour toute réponse un hochement de tête affirmatif de Subaru.

" Voilà. Je… comme vous le savez, cela fait un bout de temps que je vous révèle l’avenir à travers mes rêves. " Pas de réponse.

" Eh bien, je… vous voyez, il y a cet homme que je vois sans cesse dans ces même rêves… je crois qu’il s’appelle Enjoji… et je me disais que peut-être… "

" Ce n’était pas seulement un rêve et que cet Enjoji existait en réalité. "

Kai avait rougi jusqu’à la pointe des cheveux. Subaru avait-il deviné les sentiments qu’il avait finis par développer envers cet homme mystérieux ? Il ne lui avait pourtant fait aucun reproche. Au contraire, son visage s’était illuminé d’un étrange sourire rempli de sollicitude.

" Je comprend. Tu aimerais le rencontrer, n’est-ce pas ? "

" Mais… ce n’était qu’un rêve… "

" Pas exactement. N’oublie pas que tu es un Liseur de Rêves. En tant que tel, tes visions sont basées sur la réalité. "

Kai n’en avait pas cru ses oreilles. Se pouvait-il que cet homme qu’il avait appris à aimer était… réel ? Un être de chair et de sang, et pas seulement le fruit de son imagination ?

" Mais comment… "

" Si tu veux, je peux faire en sorte que tu le rencontres. "

 

Kai était nerveux. Cela faisait maintenant deux jours qu’il était arrivé dans le commissariat où travaillait Enjoji. Il avait prêté l’oreille à tous les ragots qui circulaient sut lui.

D’après les autres policiers, Kei Enjoji était un type bizarre, à mi-chemin de l’imbécile et du fou. Cela l’avait quelque peu décontenancé ; il en avait q1uasiment fait une icône pour découvrir… l’idiot du village ! Avait-il eu raison d’accepter la proposition de Subaru ?

Puis, il était tombé par hasard sur les rapports d’enquêtes de Enjoji. Ce qu’il lut le surprit. Apparemment, tout crétin qu’il était dans la vie, l’inspecteur Enjoji n’en était pas moins un enquêteur efficace sur le terrain. Il avait résolu avec brio une affaire délicate de suicide, et ce n’était ni la première, ni la dernière fois qu’il se montrait aussi méticuleux dans son travail.

L’enquête semblait simple au premier abord : on avait découvert un matin le ministre des Finances, M. Suichirô Matsumoto, pendu sur le rebord de la fenêtre de sa chambre. A ses pieds, se trouvait une lettre d’adieu destinée à sa famille ainsi que les aveux complets de sa culpabilité. M. Matsumoto avait précédemment essuyé un scandale retentissant au sujet d’une affaire de corruption dans laquelle il aurait été intimement mêlé. En effet, on avait réuni des preuves accablantes selon lesquelles il aurait été en relation directe avec la famille Sagano, un groupe de yakusas notoires dont le champ d’action s’étendrait sur tout le Kansai et même au-delà. Enjoji avait brillamment réussi à démontrer que ce soi-disant suicide était en réalité un homicide déguisé servant à discréditer l’image du gouvernement. L’assassinat de M. Matsumoto ne serait pas, comme on pouvait l’imaginer, le fait du clan Sagano, mais aurait été orchestré par une secte nouvellement apparue, les Dragons du Ciel. Ce nom le fit sursauter. Il en faisait lui-même partie ! Qu’est-ce que cela signifiait ?

Il essaya vainement d’obtenir un complément d’informations. Etrangement, le dossier avait été rapidement classé par le commissaire chargé de l’enquête, M. Masanori Araki. A peine mentionnait-on le nom des Dragons. Quant à Enjoji, on l’avait gentiment écarté de l’affaire. Que devait-il en penser ?

Il était encore confus de cette découverte quand il entendit pester non loin de lui. Il se dirigea vers la source du bruit… et aperçut Enjoji en train de chercher un chiffon pour essuyer une flaque de café répandue par terre. Il décida de profiter de l’aubaine pour enfin faire connaissance. Qui sait ? Peut-être arriverait-il à capter son attention ?

 

 

Chapitre 9

Seishiro reposa rapidement le combiné. Ce qu’il avait entendu était bien suffisant ; il raccrocha sans réfléchir au nez et à la barbe de son interlocuteur.

" Quelque chose ne va pas ? " demanda Ranmaru, inquiet de la mine déconfite de son ami.

" Non, rien… je crois que je vais y aller. Merci encore de m’avoir hébergé cette nuit, Ranmaru. Au revoir. " Il s’éloigna du jeune homme blond. Ranmaru avait déjà beaucoup fait pour lui, il ne voulait surtout pas s’imposer avec ses problèmes. Mais il ne put sortir.

Ranmaru avait bien vu que quelque chose contrariait Seishiro ; il ne savait pas ce que son petit ami lui avait dit, mais apparemment cela l’avait grandement affecté. Il le retint par le bras, aidé par Masa.

" Qu’est-ce qui s’est passé ? "

" RIEN DU TOUT ! LAISSE-MOI ! " Il s’effondra, les yeux embués de larmes. Trahi. Il avait été trahi par l’être qu’il aimait le plus. Que devait-il faire, à présent ? Il ne pouvait plus vivre sans Subaru. Il était seul. Désespéré.

" Seishiro. " murmura Masa. " Je peux vous appeler comme ça ? Seishiro ? "

Il ne répondit pas. Ranmaru le prit dans ses bras et le borda comme un enfant.

" Seishiro, " continua Masa, " je sais que c’est dur, mais il faut vous ressaisir. Que vous a dit exactement Subaru au téléphone ? "

Il lui fallut plusieurs minutes pour répondre. Lorsqu’enfin il se calma, il se retira doucement des bras de Ranmaru et fixa rêveusement le sol.

" Il ne m’a rien dit. C’est un autre homme qui m’a répondu. "

Chacun garda le silence. Masa se décida à rompre ce climat de tension.

" Seishiro, il faut que nous parlions de Subaru. C’est très important. Je crois qu’il est temps pour vous de savoir quel genre d’homme il est en réalité. "

 

 

 

" Je serais toujours là pour toi. "

Enjoji se réveilla en sursaut dans son lit. Son corps était recouvert de sueur.

" Je t’aime, Enjoji. "

Il reprit peu à peu son souffle. Son pouls battait encore à tout rompre.

" Kei. "

Arrête ça, imbécile. Ce n’est pas la peine de te torturer avec des souvenirs inutiles. Ranmaru ne pourra plus jamais être à toi, alors à quoi bon se remémorer le passé ?

Il se recroquevilla sur lui-même.

Parce que ça fait mal… Marrant. Je n’aurais pas cru que je pouvais être à ce point masochiste.

Ranmaru… cela faisait longtemps, n’est-ce pas ? Tous les deux réunis… Pourquoi ? Pourquoi es-tu revenu ? Pourquoi ne me laisses-tu pas en paix ? Ranmaru… j’ai essayé de te fuir, mais tu t’es accroché… Est-ce le destin ? Sommes-nous destinés à rester ensemble, quoi qu’il advienne ? Mon premier, mon seul amour… j’ai mal… je croyais pourtant avoir oublié cette douleur…

Il se leva et mis un pantalon, puis se dirigea vers son frigo, qu’il ouvrit. Il en sortit une bouteille de bière, la décapsula, s’installa devant la télévision. L’alluma. Ne la regarda pas. Ne but pas sa bière.

Il était perdu dans ses pensées.

Un an et demi. Je suis parti déjà depuis tout ce temps. Comme ça passe vite. Je pensais qu’ils m’auraient oublié. Je pensais que tu trouverais quelqu’un d’autre. Quelqu’un de mieux, pas un fils de yakusa. Ranmaru. A cause de moi, tu as abandonné la pratique du kendo. Tu as bravé la colère de ton grand-père et les interdits de la société. Tu es venu vivre avec moi.

Mais ce n’était pas suffisant ! Il a fallu que tu viennes m’aider, quand ces hommes m’ont enlevé ! Il a fallu que tu te battes contre eux ! Ranmaru, pourquoi ? Ma faute… c’était de ma faute…

Cette journée tragique… tu te souviens ? Tu as été blessé en t’attaquant à leur chef. Il t’a tiré dessus, et tu es resté des mois dans le coma. A la limite de la mort, encore une fois à cause de moi.

Ranmaru… je ne veux plus que ça t’arrive. Je ne veux pas que tu sois blessé, je ne veux pas que tu meures. C’est mon lot quotidien. Je le sais maintenant ; j’ai été stupide d’essayer de fuir.

Ce n’est pas ton monde, alors pourquoi t’obstiner ? Tu n’as rien à faire dans ce commissariat. Et cet idiot de Masa ! Qu’est-ce qu’il fait en commissaire ? Il devrait être à la tête du clan Sagano ! Et Kai qui ne se souvient de rien, qui est amoureux de moi ! Qu’est-ce qui se passe, bon sang ?

" Deux destins se croisent. "

Comment ? Il avait cru entendre une voix… une voix étonnamment familière…

" Je suis né pour toi…pour te protéger… "

Encore ? D’où cela venait-il ? C’était comme si quelqu’un lui parlait dans la tête !

" Je suis ton… ton… "

" CA SUFFIT ! " Il se leva brusquement. C’était une mauvaise blague, ou quoi ? Qui pouvait lui dire toutes ces choses ?

Je deviens dingue ! J’entends des voix, à présent !

C’est alors que son esprit fut submergé par des images étranges.

Une… une épée…

Il ne reconnaissait pas les lieux. Son appartement, son salon avaient disparus. Il se trouvait dans un vaste espace dont il ne pouvait discerner la fin. Le seul objet qui semblait rompre cette monotonie était une épée magnifique, née d’une mare de sang.

Il vit une ombre apparaître aux côtés de l’arme et la saisir. Il n’arrivait pas à détacher ses yeux de cette vision. On ne pouvait distinguer le visage de l’homme qui agrippait l’épée ; pourtant, sa silhouette parut étonnamment familière à Enjoji.

Il s’avança vers lui, comme hypnotisé par la lueur pâle qui s’en dégageait. Il lui semblait entendre un murmure de voix à sa droite ; mais il n’y prit pas garde, seulement obnubilé par l’appel silencieux que lui adressait l’inconnu.

Il prit tout d’un coup conscience du danger. Quelqu’un avait hurlé son nom au dernier moment ; se retournant, il put voir qu’il s’agissait de Kai. Celui-ci était désespéré.

Il ressentit la douleur. Son corps avait été tranché par la lame aiguisée ; sa tête, auparavant sur ses épaules, avait roulé tout à côté de son frère qui hurlait à présent de terreur avant de disparaître dans une explosion d’éclats de verre qui étaient autant de kaléidoscopes qui renvoyaient son image ravagée.

Son sang recouvrait l’espace. Pourtant, étrangement, il pouvait toujours voir. Sa tête avait été détachée de son corps, mais il arrivait encore à observer les environs. Il trouvait le moyen de s’en amuser. Il devait être mort, et sa tête décapitée matait les pieds de son assassin ! C’était vraiment à hurler de rire.

Ses pieds… l’inconnu s’approchait de lui. Il ficha l’épée en terre et se pencha pour prendre dans ses bras la pauvre tête. Un sourire ironique flottait sur ses lèvres.

Ces lèvres… Enjoji leva les yeux, qu’il posa sur ceux de son bourreau. Et poussa un cri.

Devant lui, se tenait l’être en qui il avait toute confiance, l’homme qu’il aimait.

Devant lui, se tenait Ranmaru Saméjima.

 

Il se réveilla en sursaut. Le premier mouvement qu’il fit fut de contrôler si sa tête était toujours à sa place. Il était de nouveau entier. Il regarda autour de lui. Il était revenu dans son appartement. Sa bière attendait encore qu’il daigne y poser les lèvres ; le présentateur du journal télévisé sortait encore les mêmes banalités depuis tout-à-l’heure. Il était en sécurité.

Il soupira d’aise. Quel affreux cauchemar ! Cela n’avait aucun sens ; il y avait un instant, il était là, sirotant sa bière (ou du moins, faisant semblant), et l’instant d’après, il se retrouvait dans une espèce de monde bizarre où Kai s’inquiétait pour lui et Ranmaru l’assassinait.

Il frissonna à cette dernière pensée. Le regard de son ami avait été si froid ! La douleur de le voir ainsi indifférent avait été plus forte que la douleur physique ; mais il ne pouvait pas la renier. Quoi qu’il lui soit advenu, cela avait eu l’air trop réel pour n’être que le fruit de son imagination.

Il se décida à se rasseoir et à boire sa bière. La nuit serait très longue, il n’en doutait pas.

 

 

 

" NON ! JE NE VOUS CROIS PAS ! "

Seishiro repoussa violemment Masa qui fut projeté de l’autre côté de la pièce.

" Seishiro, calme-toi ! Masa ne t’a pas menti ! " essaya Ranmaru.

" C’EST FAUX ! SUBARU N’EST PAS COMME CA ! "

Masa se releva péniblement, soutenu par Ranmaru. Ils s’aperçurent qu’entre-temps, Seishiro était déjà parti. Il avait prit la porte et filé.

" Qu’est-ce qu’on va faire, maintenant ? Il était le seul susceptible de nous aider. " dit Masa d’une voix amère.

" Peu importe. Nous saurons bien nous débrouiller sans lui. Et ne va pas me dire que Subaru pose un problème. "

" Mais… "

Ranmaru ne l’écoutait plus. Il se dirigea vers un coin de la pièce et activa un mécanisme dans le mur. Celui-ci s’ébranla, puis s’ouvrit sur une petite cavité sculptée à même le béton. A l’intérieur, se trouvait une épée qu’il sortit, sous le regard désolé de Masa.

" L’épée Divine mérite bien son nom. " murmura doucement Ranmaru en la manipulant avec précaution.

" Elle est aussi belle que dans mes souvenirs. "

Masa ne pouvait plus supporter la tristesse qu’il lisait dans la voix de son ami. Cette malédiction n’avait donc pas de fin ? Il le prit dans ses bras.

" Ce que je vais faire est blasphématoire… "

De qui répétait-il les mots ?

" Je voudrais tellement que mon souhait se réalise… "

Un air de mélancolie.

" Je sais ce qu’il m’en coûtera. "

Masa. Si vous saviez…

" Pourtant, je n’ai pas peur. "

Resteriez-vous mon ami ? Seriez-vous encore aussi gentil avec moi ?

" Je veux être avec toi. "

J’ai tout sacrifié. Pour ce vœu.

" Peu importe ce qu’il adviendra. "

Pour ce souhait qui n’est même pas le mien.

" Je… "

Je…

 

 

 

Interlude 1 : L’histoire de Kai.

La douleur. Elle faisait maintenant partie de son être.

Comment pourrait-il l'ignorer, à l'avenir ?

 

Kai poussa un cri étouffé. L'homme avait tiré sur Ranmaru. La balle l'atteignit dans la poitrine, le stoppant net dans son élan et faisait basculer le jeune kendoka qui s'écroula, vaincu.

Il pouvait entendre dans un délire la voix de son frère qui hurlait le nom de son ami. Lui-même se débattait inutilement entre les bras de son agresseur, tentant désespérément de lui échapper. Le yakusa l'entraîna au-dehors et le jeta sans ménagement à l'arrière d'une voiture après l'avoir assommé. Puis ce fut le noir total.

Il démarra en trombe. Quelle aubaine ! Il avait pu échapper à ses ennemis et filait maintenant vers son repaire. Il serait en sécurité, là.

Sa voiture filait sur la route, évitant avec précision les barrages de police qu'il savait installés dans toute la ville depuis l'attentat. Kai gémit à côté de lui. Il ne lui adressa même pas un regard. Le jeune homme pourrait encore lui être utile au cas où cet idiot de Araki lancerait à ses trousses ses hommes de main ; le danger passé, il saurait bien se débarrasser de lui.

Il faisait presque noir. Déjà, les lampadaires s'étaient allumés, éclairant la route d'une lueur languissante. Il mit en marche ses phares. Le brouillard commençait à se lever.

" Bizarre. Ce n'est pourtant pas la saison. " murmura-t-il dans un souffle. Il s'arrêta net.

Juste en face de la voiture se tenait toute une nuée d'oiseaux blancs. Des mouettes.

Des mouettes étaient stationnées sur la route et semblaient attendre quelque chose. Elles étaient des milliers ; leurs corps formaient une couverture neigeuse sur le chemin d'asphalte. Les rues, d'habitude pleines de monde, étaient ce soir étrangement vides. Irréelles, comme plongées dans du liquide amniotique.

Il vit une ombre se détacher du sol, jaillir de l'océan d'oiseau pour aboutir à une forme vaguement humaine. Un homme en costume aussi immaculé que les créatures silencieuses sur lesquelles il se tenait, le fixait à travers les mèches décolorées qui retombaient sur son front. Sourit.

Il se rapprocha de la voiture, se mouvant sans effort sur le chemin de plumes vivantes.

L'atmosphère était plongée dans un silence terrifiant. Les gratte-ciel, tels des tombeaux hautains se dressant à l'horizon, semblaient approuver l'aspect intemporel du décor ; ils étaient les uniques témoins du drame qui se jouait.

Il hurla, rompant le silence sacré des lieux. Il s'aperçut qu'il n'était plus dans la voiture. Celle-ci avait inexplicablement disparu en l'espace d'un instant, le laissant seul et sans défense sur l'océan qui se mit à onduler à un rythme régulier. Son cri se perdit dans l'ultime vague qui l'engloutit entièrement.

Seuls restèrent le fantôme ainsi apparu et le corps inerte de Kai.

Kakyou sourit au jeune homme inconscient. Bientôt, celui-ci serait au centre d'un conflit dont il ignorait même l'existence. Avait-il vraiment le droit de lui imposer cette fatalité ? Il semblait si jeune et si frêle pour porter un si lourd fardeau…

Pourtant, il savait qu'il n'avait pas le choix. Dans très peu de temps, il n'existerait plus. Seules ses capacités de Yumemi, de Liseur de Rêves, lui avaient permis de survivre au-delà de la mort ; il lui fallait à tout prix trouver un successeur pour préserver intacte leur race.

Hinoto et Kanoé, les deux autres Liseuses de Rêves, avaient depuis longtemps disparu, emportées par la bataille qui avait opposé leur clans respectifs ; resté seul, il avait pour devoir de perpétuer la malédiction amorcée avec sa bien-aimée. Après cela, et seulement après, il pourrait espérer la rejoindre. Elle, et cette jeune fille qu’il avait croisée au hasard d’un rêve, et qui aurait pu devenir elle-même une puissante Yumemi. Kotori. Quel joli nom pour un être si tourmenté. Elle lui avait demandé son aide ; elle lui avait demandé un refuge qu’il lui avait accordé. Comment aurait-il pu refuser ? Il ne connaissait d’elle que les larmes ; peut-être l’aurait-il rencontré plus tôt, aurait-il pu connaître son sourire. Si triste. Elle ressemblait à son unique amour. Si seulement le destin n’avait pas été si cruel avec elle…

Mais il n’était plus temps de se lamenter. Il devait commencer la cérémonie. Ce jeune homme serait le prochain Liseur de Rêves de ce monde.

Une ombre tapie derrière lui se rapprocha doucement. Subaru sourit à Kakyou.

" Ainsi, c’est lui que tu as choisi comme successeur ? Il m’a l’air bien jeune. "

" Moins que toi quand tu as affronté le Sakurazukamori la première fois. "

" Es-tu sûr qu’il en sera capable ? "

" Oui. Son pouvoir est presqu’aussi grand que le mien. Seulement, il n’en a pas conscience. "

" Comment peux-tu le savoir ? "

" Il le tient de sa mère. Elle aussi, était une Liseuse de Rêves. Mais elle a abandonné son pouvoir pour se marier et mener une vie ordinaire. "

" Tu sembles bien la connaître. "

Kakyou jeta un regard triste à Kai.

" Sa mère… C’était ma fille. "

Subaru fut surpris par sa réponse. Kakyou aurait donc eu un enfant ?

" C’était une aventure de jeunesse. " répondit-il à l’interrogation silencieuse du chef des Suméragi.

" Lorsqu’elle est née, tout le monde pensait qu’elle mourrait jeune. Elle était si faible, constamment malade. Et effectivement, elle est morte assez tôt. Mais elle a eu le temps de donner naissance à un fils. "

" Je vois. Et lorsqu’il a fallu que tu désignes quelqu’un pour te remplacer, tu as pensé à lui. Quel bon grand-père tu fais ! "

Kakyou ne releva pas la moquerie de Subaru. Il se concentra sur son petit-fils. La cérémonie de succession allait pouvoir commencer.

Il hésita cependant. Ne commettait-il pas une erreur en laissant Kai aux mains de son ancien ennemi ? Il connaissait la mission que lui avait assignée Kamui avant de mourir ; mais était-ce suffisant pour lui accorder son aide et sa confiance ? A cause de lui, son petit-fils, son unique descendant, allait être sous la coupe de cet homme. Subaru Suméragi. Ses intentions étaient-elles aussi pures qu’il le faisait croire ? Ou alors…

Il chassa ces pensées désagréables de sa tête. Il devait être totalement détendu pour le bien de la cérémonie. Pour l’accomplissement de la tâche qui lui était réservé. A quoi bon essayer de le protéger ? Il faisait partie d’un ensemble cohérent qui assurerait l’avenir. Si tel était sa destinée de devenir Liseur de Rêves, et bien qu’il en soit ainsi. Qui était-il, après tout, pour décider de la voie à suivre ? Un observateur, certes doué, mais un simple témoin. Rien d’autre.

" Il n’y a qu’un seul avenir. " dit-il à voix haute à l’intention de Kai. C’était le seul indice qu’il pouvait se permettre de lui donner en présence de Subaru.

" Et cet avenir, Kamui seul peut le réaliser. "

Il espérait que, même inconscient, il pourrait se souvenir de ses dernières paroles.

Il l’embrassa tendrement sur le front au moment où des ailes diaphanes se mirent à éclore dans son dos et l’entraînèrent vers le ciel dans un tourbillon de plumes blanches.

Prend soin de toi, mon enfant. Je ne pourrais pas toujours être à tes côtés ; mais je veillerais sur toi d’une manière ou d’une autre.

Kai soupira dans son sommeil, entendant à demi la bénédiction silencieuse du fantôme. Celui-ci prit de l’altitude tandis que Subaru le regardait s’éloigner, l’âme remplie de regrets et de souvenirs.

Là où il allait, l’attendaient les trois jeunes femmes qui avaient marqué sa vie. Sa bien-aimée, sa fille et une amie, toutes trois liées par leur destinée de Yumemi, toutes trois chères à son cœur.

 

 

Chapitre 10

Il courait maintenant depuis des heures dans la nuit, se frayant un chemin à travers la foule, bousculant sans vergogne les passants. Ceux-ci réagissaient souvent assez violemment, mais il n’en avait cure et s’éloignait à chaque fois rapidement avant qu’ils n’aient eu le temps de réagir.

Les mots de Masa se répercutaient dans sa tête. Comment avait-il pu l’écouter ? C’était impossible ! Comment croire ce qu’il lui avait révélé sur l’homme qu’il aimait ? Subaru était loin d’être le parfait salaud que lui avait décrit le commissaire !

Il fut contraint de s’arrêter à un moment, le corps en nage, le souffle court d’avoir tant couru. L’atmosphère se faisait glaciale ; il pouvait sentir un vent froid lui parcourir l’échine, mordant sa peau à vif comme autant de démons qui le poursuivaient.

Il n’en pouvait plus. Sa résistance physique, mais aussi mentale avaient été mises à bout en l’espace de trois jours à peine. Il avait besoin de repos. Mais où aller ? Il n’osait retourner chez Subaru ; quant à Ranmaru, il ne lui faisait plus confiance, à présent. Il était de nouveau seul. Quelle importance, après tout ? Il avait mérité ce qui lui arrivait.

Arrête, imbécile ! Tu n’as pas cessé de geindre depuis le retour de ta mémoire. Tu es le Sakurazukamori, non ? Depuis quand le gardien du mont des cerisiers s’inquiète-t-il de ce que pensent les autres ?

Mais c’est faux…j’ai changé. Je ne suis plus l’être sans âme qui tuait sans pitié. J’ai un cœur, maintenant. N’est-ce pas ? Pourquoi ? Pourquoi ne pourrais-je pas avoir une vie ordinaire ? Qui se souvient de moi, après tout ? Les Dragons ? Mais ils sont morts !

Cette pensée créa comme un malaise en lui. Les Dragons ? Ah oui.

Les Dragons de la Terre. Les sept Emissaires. Ses anciens alliés, tous morts au combat.

Tous ? Vraiment ?

Les Dragons du Ciel. Les sept Sceaux. Leurs ennemis mortels, leur malédiction. Etrange qu’il ne souvienne pas plus d’eux. Sa mémoire n’était donc pas entièrement revenue ? Il fallait le croire. Mais dans ce cas, pourquoi ne se souvenait-il plus des neuf ans qui avaient précédé sa défaite ? Et, détail important, comment avait-il fait pour perdre son œil droit ?

Il se rappelait vaguement d’une douleur causée par un objet contendant ; probablement une lame aiguisée. Mais qui ? Une de ses anciennes victimes ? Ou bien… Subaru. Etrangement, son image revenait sans cesse lorsqu’il essayait de se remémorer les événements du passé. Mais ce n’était pas le Subaru qu’il connaissait, un homme de vingt-cinq ans aux cheveux châtains clairs mi-longs (il le soupçonnait de les teinter), à l’allure grave et solennelle. Non, le Subaru qu’il voyait était plus jeune, probablement seize ou dix-sept ans, les cheveux courts d’un noir de jais, adoptant un look décalé tenant presque du défilé de mode. Il avait des yeux en amande magnifiques, remplis d’innocence et de confiance.

Les yeux de son Subaru étaient du même vert profond qui vous arrachait un cri de surprise la première fois qu’on y plongeait le regard, tant ils étaient fascinants. Toutefois, si l’on y regardait de plus près, on pouvait lire à la place de l’innocence une intelligence cynique, un point de vue critique sur les gens qu’il ne manquait pas d’arborer en leur présence, mais de manière si intimiste qu’ils prenaient cela pour une marque de respect. Et en lieu de confiance, il n’y avait bien souvent que le mépris ou la pitié.

Certes, il l’avait remarqué depuis longtemps ; mais il s’en moquait, prenant ce comportement pour une preuve de sagesse, voire de détachement vis-à-vis de personnes qu’il ne respectait pas non plus spécialement. En outre, son bien-aimé savait apprécier à leur juste valeur ceux qui en valaient la peine. Tous ne bénéficiaient pas de son attention ; et Seishiro avait appris à connaître les gens qu’ils rencontraient en se fiant uniquement au jugement de Subaru.

Mais ce n’était pas son seul trait marquant. En effet, techniquement, on pouvait dire que Subaru était un homme qui avait " réussi ". Il ne connaissait pas le montant exact de sa fortune, et d’ailleurs il ne s’en souciait guère ; mais il fallait être entièrement aveugle (Dieu merci, il n’était que borgne) pour ne pas remarquer que Subaru était largement à l’aise. Il savait juste qu’il était à la tête d’une organisation non-gouvernementale, une sorte d’association à but non-lucratif réunissant quelques spécialistes qui spéculaient sur le devenir de la ville ; mais de là à la considérer comme une secte fanatique ! Et la rendre responsable de l’attentat manqué d’il y avait trois jours ! Lui-même tenait un discours semblable au leur sur Tokyo, il n’y avait pas de quoi les blâmer. Pourquoi s’obstiner à décrier une vérité qui crevait les yeux, même aux plus optimistes ?

Cette ville entière était une plaie suintante au regard de Dieu, laissant pourrir ses habitants dans leur misère et leurs péchés. Tous ne suivaient pas la règle ; mais force était d’avouer que le dicton commun était " Chacun pour soi ". Dieu avait un jour dit à Abraham, avant de détruire les cités de Sodome et Gomorrhe, " Trouve-moi dix justes dans cette ville, et je l’épargnerais. " Mais y avait-il seulement dix justes dans Tokyo ?

" Babylone. " dit-il à voix haute sans s’en rendre compte.

" Cette ville est semblable à Babylone la décadente, fille débauchée de Dieu. Babylone, la pécheresse. "

" Babylone, que Dieu a détruite de ses mains en punition de l’orgueil démesuré des hommes. "

Il se tourna en direction de la voix. Il ne put distinguer immédiatement la silhouette abritée par l’ombre d’un bâtiment ; mais sitôt que son interlocuteur fut apparu en pleine lumière, il le reconnut aisément.

" Sorata ? " demanda-t-il en direction du jeune homme. Il le connaissait de vue ; c’était un collègue de travail de Subaru. Son bras droit pour être plus précis. Il ne l’appréciait que modérément ; le jeune homme était trop désinvolte et inconscient à son goût. Ce qu’il n’osait pas s’avouer, c’est qu’il était en fait horriblement jaloux de lui. Sorata avait la possibilité de croiser tous les jours Subaru à son travail ; il pouvait voir que tous deux étaient très proches, presque comme des frères. Il s’était souvent demandé s’ils avaient déjà eu une liaison avant qu’il n’apparaisse dans la vie de Subaru ; et cette simple pensée suffisait à le faire rejeter inconsciemment son ami.

" Qu’est-ce que tu me veux ? " lui demanda-t-il d’une voix rogue.

" Est-ce une façon d’accueillir quelqu’un qui vous a cherché partout depuis des heures ? "

" Tu me cherchais ? " s’étonna Seishiro.

" Non pas que cela me fasse particulièrement plaisir ; mais Subaru était tellement inquiet pour toi que je n’ai pas pu rester sans rien faire. " Il remarque l’image concernée de Seishiro.

En fait, Subaru n’en a rien à foutre de ta misérable personne. Mais pas moi. Je n’ai pas confiance en toi : je ne t’aime pas. Mais ça, tu l’as sans doute probablement deviné, n’est-ce pas ? Pauvre type. Comme si tu avais la moindre chance avec lui. Mais je vais quand même te laisser croire le contraire ; on verra bien comment tu réagiras. Ca pourrait même être drôle.

" Tu sais bien que je ne pas supporter de le voir pleurer. "

Bingo ! Il avait réussi à attirer son attention, au vu de la mine coupable qu’il arborait maintenant.

" Il… pleure ? " Le ton était hésitant ; il pouvait percer une pointe d’amertume derrière ses mots.

" Il voudrait que tu reviennes vers lui. "

Seishiro hésitait. Pouvait-il le croire ? Il se décida malgré tout à le suivre.

" C’est bon. Je vais rentrer. "

" Sage décision. " souffla Sorata, satisfait de la tournure des événements.

" Tu verras, tu n’auras pas à le regretter. "

Ils marchaient côte à côte, sans parler. Seishiro se sentait mal à l’aise. Il ne reconnaissait pas le chemin que lui faisait prendre Sorata. Finalement, ils s’arrêtèrent au détour d’une ruelle sombre, en dehors des zones fréquentées de la ville.

" Où sommes-nous ? Ce n’est pas ici que nous trouverons Subaru. " Il avait bien peur de connaître la réponse. Sorata l’avait-il entraîné dans un piège ?

" Nous ne sommes pas ici pour Subaru, mais pour toi. N’est-ce pas, Sakurazukamori ? "

" Comment… " Il n’en croyait pas ses oreilles. Comment Sorata pouvait-il savoir sa véritable identité ? Même lui ne s’en souvenait que depuis trois jours !

" Comment ? " dit Sorata sur un ton laconique. " Tu veux savoir comment j’ai fait pour te reconnaître ? C’est bien simple. On n’oublie pas aussi facilement le visage de l’homme qui a anéanti votre vie. Surtout pas lorsqu’il s’agit d’un Dragon de la Terre. "

Seishiro recula, effrayé. Ainsi, non seulement Sorata connaissait son passé, mais aussi l’existence des événements qui ont failli détruire la ville il y a un an ! Une pensée furtive lui traversa l’esprit.

" Sorata… tu es… "

" Je vais enfin pouvoir te faire payer tout ce que tu nous as fait. " Il eut un sourire cruel. Il attendait ce moment depuis si longtemps ! Il s’était promis de venger ses amis disparus. La mort de Seishiro n’arrangerait peut-être pas les choses, mais au moins il se sentirait mieux.

Il étendit la main. Au grand étonnement de Seishiro, Sorata fit sortir de sa paume ouverte une sorte de cube translucide qui s’étira jusqu’à atteindre plusieurs kilomètres de diamètre. Les rues, auparavant sombres et moites, se mirent à s’éclairer doucement. Une lumière sourde filtrait à travers le décor, révélant les moindres recoins d’une cité devenue soudainement étrangère aux deux hommes. Un silence de mort régnait, seulement interrompu par le bruit mat des pas de Seishiro sur le sol.

" Un kekkai. " murmura-t-il, le souffle coupé. " Alors j’avais raison. Tu es un Dragon du Ciel. "

Sorata ne répondit pas. Il joignit les mains en signe de prière et en fit jaillir des décharges d’énergie qu’il combina entre elles. Se concentrant, il s’élança ainsi sur Seishiro avec l’intention évidente de l’attaquer.

Celui-ci ne broncha pas et l’attendit, résigné. Il se savait coupable. Si sa mort pouvait contenter son ancien ennemi, il se sentait prêt à se sacrifier. Pour quelle raison resterait-il dans un monde qui manifestement ne voulait plus de lui ? L’avait-il jamais voulu, d’ailleurs ? Sa vie avait été dédiée à la mort. De son vivant, il avait été craint, rejeté, haï. La mort peut-être le soulagerait de cette douleur…

Au dernier moment, une forme sombre s’interposa entre lui et son agresseur. Un homme apparemment de l’âge de Masa se tenait là et bloquait l’attaque de Sorata ; il possédait une barbe noire et des cheveux mi-longs de la même teinte retenus par un élastique très serré.

Il plaqua Sorata au sol, l’immobilisant en une fraction de secondes. Puis, se tournant vers Seishiro qui n’avait toujours pas bougé, il lui adressa un sourire froid. Pendant ce temps, Sorata s’était relevé, fou de rage d’avoir été ainsi interrompu et vaincu par un inconnu.

Il se rendit soudain compte que quelque chose n’allait pas. L’autre homme se trouvait lui aussi à l’intérieur du kekkai. Comment était-ce possible ? Aucun être humain ordinaire ne pouvait… sauf les Dragons… mais ils étaient morts… n’est-ce pas ? Il ne restait que Subaru, Seishiro et lui-même. Alors ?

" Bonjour. " dit-il à Seishiro. " Je m’appelle Jack. J’ai reçu pour mission de vous protéger. "

 

Chapitre 11

Le bruit de la sonnette obligea Ranmaru et Masa à se séparer. Ce dernier alla ouvrir.

Keisuke entra comme une trombe dans la pièce. Saluant brièvement Ranmaru, il se saisit du bras de son chef et l’entraîna à l’extérieur. Au bout de quelques minutes, Masa rentra pour s’excuser auprès de Ranmaru.

" Qu’est-ce qui se passe ? " demanda-t-il, intrigué.

" Rien de grave. Subaru souhaite juste me voir. "

" Je t’accompagne ! C’est peut-être dangereux. "

" Raison de plus pour que tu restes ici. On ne sait jamais, tu es trop précieux pour que je laisse quoi que ce soit t’arriver. "

" Pas question. Et puis tu sais parfaitement bien que Subaru ne me fera jamais de mal. De nous deux, c’est toi qui risques le plus d’être blessé. "

Masa ne répondit pas. Voyant qu’il n’arriverait pas à convaincre son ami, il acquiesça doucement.

Le trajet ne leur prit que dix minutes. Ils étaient tous deux anxieux de connaître le résultat de cette convocation inattendue. Subaru se trouvait dans son bureau et les attendait calmement. Il ne se leva même pas pour les accueillir.

Ils prirent chacun un siège en face de lui, observant la réaction du jeune chef des Suméragi.

" L’heure est venue. " dit-il enfin solennellement. " Il me faut tenir la promesse que j’ai faite. "

Son visage était indéchiffrable, sa voix calme et posée. C’était comme s’il avait préparé ce discours longtemps à l’avance, pesant ses moindres mots avant de les soumettre aux deux hommes. Il se tourna vers Ranmaru.

" Je ne pensais pas que tu viendrais aussi, Ranmaru. J’avais juste envoyé chercher Masa. "

" Je… je sais. " bafouilla-t-il. " Mais je ne pouvais pas le laisser seul… je… "

Subaru esquissa un sourire.

" Serais-ce à cause de moi ? Je suis peiné de voir que tu me fais si peu confiance. "

" Il n’y est pour rien. " intervint Masa. " Arrête ça et dis-nous plutôt ce que tu nous veux. "

" Je l’ai déjà dit. "

" Quoi ? Mais… tu l’as déjà tenue, non ? Les deux étoiles jumelles sont… "

" Ce n’était que le début. Une sorte de prélude, si vous voulez. "

" Espèce de… " s’indigna Masa. " Ne me dis pas que tout ce que tu nous as fait faire était pour des prunes ? Tu te sers encore de nous ! "

Subaru lui adressa à peine un regard.

" Peu importe ce que vous en pensez. Tout ceci était nécessaire pour l’aboutissement de mon plan. "

" Quel plan ? " s’emporta Masa, renversant sa chaise et tapant sur la table qui oscilla sensiblement.

" Tu enlèves Kai et en fais un médium à ta botte, tu transformes Ranmaru en vulgaire marionnette par je-ne-sais quel sortilège interdit et tu m’obliges à cacher tes magouilles aux yeux du monde, et tout ça pour quoi ? Une soit-disant promesse que tu as faite il y a plus d’un an ! Mais pour qui te prends-tu ? "

" Masa… calme-toi, je t’en prie… " dit Ranmaru, mal à l’aise. Il réussit à modérer la colère de son ami qui consentit à se rasseoir.

" Et ? " demanda Ranmaru après un moment de silence. " Que comptes-tu faire, à présent ? "

" Je l’ignore. "

" Mais… " hasarda le jeune homme.

" C’est toi qui as toutes les réponses, Ranmaru. Ou plutôt devrais-je dire… Kamui. "

 

 

 

La bouteille de bière se renversa sur le sol avec tout son contenu, laissant une trace sombre sur le tapis du salon et faisant pester son propriétaire.

" Saleté ! J’ai même pas eu le temps d’en boire un peu ! Espèce de… "

" Allons allons, ce n’est pas grave… " murmura le deuxième personnage. " Ce n’est que de la bière. "

" Mais fais chier ! Depuis tout-à-l’heure j’essaie de la boire, cette putain de… "

" Hum hum ! Enjoji ? "

" Ouais, bon… "

" Je disais donc avant que vous ne m’interrompiez, " continua-t-il, " que le boss s’est rendu auprès de Suméragi il y a une heure. Que comptez-vous faire ? "

" Où est Ran-chan ? " coupa-t-il.

" Avec eux. "

Il réfléchit un instant. Si tout ce que Keisuke venait de lui rapporter était vrai, Ranmaru était donc de mèche avec Subaru Suméragi et Masanori Araki. Dommage.

" Peu importe. Rien n’est changé. "

" Mais la Promesse… "

" Et alors ? Ne me dis pas que tu as peur d’un gamin qui sait juste faire quelques tours de passe-passe et d’un vieillard ? "

" Quand même… " hasarda Keisuke. " Enjoji-san, vous ne devriez pas les sous-estimer. "

Il n’eut pas le temps de finir que déjà il fut agrippé par le cou et soulevé de terre comme un vulgaire fétu de paille. Enjoji s’adressa à lui d’une voix glaciale.

" Mais je ne les sous-estime pas du tout. "

Il laissa lourdement retomber Keisuke sur le sol, lequel resta allongé, recroquevillé par la douleur. Puis celui-ci disparut de sa vue, happé par le rêve qui prenait fin.

" Jack sera bientôt de retour, et avec lui le dernier élément manquant. Très bientôt, nous nous reverrons, Kamui. " murmura avec satisfaction Enjoji.

Non…

" Qui est là ? "

Ne faites pas ça… Enjoji-san…

" Tiens tiens… Intéressant. On dirait l’aura d’un Liseur de Rêves. Pourtant, je crois me souvenir d’avoir tué le dernier de mes propres mains. "

Il se dirigea vers un coin de la pièce et étendit le bras, déchirant l’air. Un pan d’illusion fut arraché et rejeté au loin, découvrant un espace infini, semblable à un océan survolé par d’innombrables mouettes.

" Cela ressemble au rêve de Kakyou. Où te caches-tu ? "

Enjoji-san.

Kai se tenait devant lui, perplexe.

Pourquoi, Enjoji-san ?

" Enjoji ? Ah, tu parles de cet homme ? "

Vous… vous n’êtes pas Enjoji !

" Tu as raison. Je suis Kamui. "

Impossible ! Subaru m’a dit que Kamui était de notre côté !

" Vraiment ? Alors ce gringalet a fini par retrouver la trace de mon double ? Pas mal. Il est peut-être moins idiot que je croyais, après tout. "

Qui êtes-vous ?

" Mais je te l’ai dit. Je suis Kamui. Et toi, tu n’as plus rien à faire ici. "

Il y eut un soubresaut.

" Quelque chose ne va pas ? " demanda avec inquiétude Tashiro.

Kai semblait ne pas l’entendre. Son regard se perdait sur le mur d’en face, comme retenu par une fresque insolite qui serait apparue soudainement. Tashiro connaissait cet état de béatitude chez son ami et maître ; il était souvent le signe d’une vision funeste de l’avenir.

" Kai ? " réessaya-t-il.

" Ca y est. " eut-il comme seule réponse.

" Quoi ? "

" Le jour de la Promesse. Les deux Kamui… les deux Kamui seront très bientôt réunis. "

 

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