Side Story 2 : La jeunesse de Mathieu

 

-Mathieu ! Où vas-tu encore ?

La voix tonitruante de son père le stoppa net alors qu’il s’apprêtait à franchir la porte d’entrée. Très doucement il se retourna et, tentant de prendre son air d’ange le plus mielleux qui pourtant ne marchait plus sur son père depuis longtemps, répondit :

-Je vais faire un tour dehors. J’ai envie de peindre la baie.

Son père grommela quelque chose comme quoi il avait besoin d’un assistant dans ses travaux de l’après-midi. Mathieu haussa les épaules.

-Demande à Petit Paul, le fils du boulanger. Il a très envie de devenir chaudronnier !

Et il s’enfuit dehors, ayant tout de même le temps d’entendre son père hurler que Paul n’était pas son fils et qu’il n’en avait rien à faire et que de toute façon Mathieu reprendrait l’affaire familiale que ça lui plaise ou non à cette espèce de fainéant qui ne pensait qu’à dessiner… Bref, la même rengaine que tous les jours.

Quand il fut loin de la maison, Mathieu se retourna et tira la langue. A quatorze ans il avait tout de même d’autres rêves que devenir chaudronnier, n’en déplaise à ses parents. La peinture, voilà ce qu’il aimait. Peindre la nature parfois, mais souvent ce n’était qu’une excuse auprès de son père, pour ne pas que celui-ci découvre son véritable plaisir, peindre des gens. Et plus particulièrement des garçons, et moins ils étaient vêtus plus cela lui plaisait. Depuis que ses hormones avaient commencé à se manifester quelques mois auparavant, Mathieu se sentait… Différent. Il était loin d’être stupide et s’était vite rendu compte que sa libido n’était pas une mince affaire et plus particulièrement lorsqu’il était en compagnie de jeunes hommes qui auparavant n’étaient pour lui que de simples camarades de jeu. A quoi bon contrarier sa nature s’était-il alors demandé ? Il avait toujours eu un esprit indépendant que son allure frêle ne laissait pas présager. Il s’était découvert, puis accepté, et maintenant il ne demandait qu’à s’épanouir, ce qu’il réussissait par ailleurs fort bien. Il avait rapidement su combiner sa vocation de peintre de nus et son visage d’ange pour séduire les quelques amis qui acceptaient de poser pour lui. Parfois, il n’utilisait même plus l’excuse de la peinture pour les déshabiller…

Il prit le chemin des falaises en riant. Et son père qui voulait le marier à la greluche du maire ! Plutôt mourir ! Ou épouser le frère, qui était l’un de ses " modèles " favoris.

Ce fut d’ailleurs au détour du chemin qu’il le croisa. Celui-ci courrait et Mathieu s’éclata le nez contre son torse. A dix-neuf ans celui-ci avait déjà atteint sa taille adulte, ce qui était loin d’être le cas de Mathieu qui était en outre petit pour son âge. Les lunettes de ce dernier tombèrent au sol.

-Oh, salut David, commença Mathieu en frottant son nez endolori.

-Mathieu ! Je suis désolé ! Je ne t’avais pas vu et…

Rapidement il se baissa, ramassa les lunettes et les remit sur le nez du jeune garçon avant de lui voler très tendrement un baiser.

-David ! s’exclama Mathieu faussement choqué.

Mais l’autre se contenta de lui sourire. D’autres bruits de pas se firent entendre et Denis, fils de l’instituteur et meilleur ami de David, déboula. Bien que moins séduisant que son ami, il était lui aussi à l’occasion l’un des complices de jeu de Mathieu.

-Oh David ! Tu es trop rapide ! Je n’arriverai jamais à te battre.

Puis il remarqua la présence de Mathieu.

-Mathieu ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Mathieu lui sourit avant de répondre :

-J’allais aux falaises peindre un peu.

-Depuis quand les falaises t’intéressent-elles ? l’interrogea David, d’un air plein de sous-entendus.

-C’est vrai, renchérit Denis. Ca ne te dirait pas de peindre des choses plus… à ton goût ?

Mathieu retint un éclat de rire. Si cela n’était pas une invitation… Décidément, ces deux là étaient encore plus obsédés que lui ! Enfin non, tout de même pas, il ne fallait rien exagérer non plus. A la place il prit un air innocent et demanda candidement : 

 

-Et qu’avez-vous à me proposer ?

-Viens avec nous à la grange du père Michel, nous te montrerons là-bas.

Le père Michel était maintenant mort depuis des années mais sa vieille grange au sol encore couvert de paille était toujours debout et servait aux enfants du village en de nombreuses occasions pour leurs divers jeux.

David poussa la porte grinçante et tous trois entrèrent. A l’intérieur la lumière, filtrée par quelques trous dans les murs, avait une teinte orangée assez étrange et l’odeur de foin fouettait les narines. Après avoir soigneusement vérifié que personne ne traînait dans le coin, ils bloquèrent la porte avec une lourde poutre abandonnée là, puis les aînés baissèrent leur pantalon d’un geste sur. Mathieu posa son matériel de dessin et ses lunettes un peu à l’écart puis s’agenouilla entre ses deux amis…

 

******************

Mathieu se trouvait maintenant entièrement nu, blotti dans les bras musclés de David, lui-même tout aussi peu habillé. Denis les avait quittés quelques minutes auparavant. Il avait promis à son père de l’aider à décorer la classe pour l’anniversaire d’un des élèves le lendemain.

-David ? demanda soudainement Mathieu brisant l’étrange silence qui régnait entre eux deux quelques minutes auparavant.

-Hum ? s’enquit paresseusement l’interpellé.

-Est-ce que tu couches avec Denis ?

La question surprit le fils du maire qui se redressa d’un bond pour fixer Mathieu droit dans les yeux.

-Bien sûr que non ! Ne dis pas de bêtises ! C’est juste mon meilleur ami. Il n’y a que quand tu es là que… enfin… tu comprends quoi ! Sinon, jamais ! Et je n’en ai aucune envie d’ailleurs.

Mathieu ne put retenir un sourire. Il était rassuré. Il n’aimait pas être un parmi d’autres, même si lui agissait de la sorte. Mais David prit le sourire pour lui et l’embrassa tendrement, laissant ses mains explorer une fois de plus le corps pale. Mathieu soupira d’aise. David était toujours si doux et délicat avec lui. Pas comme Hugo par exemple, le fils du boucher, qui le traitait avec à peine plus de considération que son père pour les bœufs. Mais d’un certain côté, Mathieu devait bien admettre qu’il aimait aussi ça ! David avait été son tout premier, d’une longue série ajouta-t-il mentalement en riant, et figurait encore dans sa liste de préférés. Il est vrai que sa chevelure noire et ses yeux d’un vert profond jouaient en sa faveur mais il y avait autre chose… Son attitude à son égard, cette tendresse qu’il lui donnait, les heures qu’ils passaient à juste s’embrasser sans pousser plus loin le jeu… Mathieu avait longuement réfléchi à sa liaison avec David et en avait conclu qu’il existait un lien les unissant. Du côté de David, il ne savait pas trop ; du sien…sûrement pas de l’amour mais au moins une sorte d’affection. Ce qui pourtant ne le culpabilisait pas le moins du monde quand il allait s’amuser avec les autres garçons du village… voire même avec quelques hommes dont pour rien au monde il n’aurait dévoilé l’identité par peur du scandale que cela aurait pu provoquer, surtout auprès des épouses des intéressés !

Il rompit le baiser et, caressant toujours le dos de son ami de sa main blanche, lui annonça qu’il n’allait pas tarder à y aller.

-Déjà ? protesta David en adoptant une moue boudeuse.

-Ca fait des heures que nous sommes là dedans !

David blottit sa tête entre le cou et l’épaule de Mathieu et le serra contre lui.

-Je sais mais le temps passe si vite quand je suis avec toi.

Mathieu le repoussa doucement.

-Allez, laisse-moi, pervers ! Je dois y aller ! Il faut au moins que je fasse quelques croquis des falaises pour mon père, sinon il va vraiment se demander ce que j’ai bien pu faire pendant toutes ces heures !

-Tu lui diras que tu étais à faire des cochonneries avec le fils du maire et que c’est lui que tu préfères à la sœur !

 

Mathieu éclata de rire.

-Je fais ça, il me tue et toi aussi par la même occasion !

David l’embrassa encore une fois.

-Je sais. Tiens, si tu vas aux falaises, tu verras peut être le nouveau curé.

Contrairement à de nombreux autres villages, l’église ne se trouvait pas au cœur de la bourgade mais à quelques lieues de là, entourée par des bois et perchée sur une falaise, son clocher dominant la mer de toute sa hauteur. Pendant des décennies le père André avait soigneusement tenu les rennes de la petite communauté mais il était mort à peine un mois auparavant. Depuis le village attendait l’arrivée d’un successeur.

-Je ne savais pas qu’il était arrivé ! commenta Mathieu, ce qui n’était guère étonnant, son père n’étant pas très pieu.

-Il n’est arrivé qu’hier. En fait presque personne n’est au courant mais il devrait passer demain au village pour faire la connaissance des habitants. Moi je le sais parce qu’évidemment mon père en a été le premier informé.

-Et il ressemble à quoi ?

 

David soupira.

 

-Je ne sais pas moi ! Je ne l’ai pas plus vu que toi. De toute façon si tu le croises tu le reconnaîtras. Les hommes qui se baladent en robe ne sont pas monnaie courante par ici !

Mathieu éclata de rire comme à son habitude. Puis il embrassa une dernière fois David avant de se lever et de s’habiller, non sans s’être débarrassé avant des fétus de paille qui le recouvrait.

-Mathieu ? l’interrompit David alors qu’il ouvrait la porte grinçante.

-Oui ?

-Quand est-ce que je te revoie ?

-Qui sait… Le village n’est pas très grand !

Et il sortit en lui décochant son sourire le plus pervers.

 

********************

Bien que les paysages ne soient pas son domaine de prédilection, une fois un dessin commencé, il ne parvenait plus à s’en détacher. Pendant des heures il avait peint, attendant son moment préféré pour jouer des couleurs, le couché du soleil sur la mer. C’était un moment tellement furtif qu’il ne prit que quelques secondes pour poser les couleurs de base, tentant de capter l’essence même du moment. Puis, à la lumière déclinante, il arrangea le tout, si bien qu’il ne remarqua pas les nuages s’amoncelant au-dessus de lui. Il faut dire qu’une fois n’étant pas coutume, le vent venait des terres et Mathieu n’eut même pas l’idée de relever la tête. Il se dit juste que le jour avait vraiment baissé plus rapidement que prévu. Ce ne fut seulement que lorsqu’un coup de tonnerre le fit sursauter et que les premières grosses gouttes s’éclatèrent sur ses lunettes qu’il réalisa ce qui était en train de se passer.

Rapidement il ramassa ses maigres affaires et s’élança en direction du village. Mais dans l’obscurité et sous l’orage, il n’était pas aisé de s’orienter à travers les bois le séparant de chez lui. Alors il rebroussa chemin et se réfugia dans l’église toute proche.

Il referma la lourde porte de bois en poussant un soupir de soulagement. Il n’avait passé que quelques minutes dehors mais il était trempé. Il posa son matériel près du bénitier et s’avança au milieu des cierges nouvellement allumés. Cela lui faisait plaisir de voir l’église revivre. La dernière fois qu’il était venu, la semaine précédente, tout était sombre et poussiéreux. Le nouveau maître des lieux s’était apparemment mis immédiatement à la besogne. Pas que Mathieu fut très religieux, bien au contraire, mais il aimait l’église, ses vitraux, ses statues, son architecture…

Il retira sa chemise trempée, l’essora du mieux qu’il put puis escalada un banc de bois pour l’accrocher à sécher au-dessus d’une rangée de cierges. Il fut alors interrompu par une voix que la hauteur du plafond fit raisonner.

-Mais que faites-vous là ?

Surpris, Mathieu se déconcentra. Son pied glissa et il s’étala au sol. Immédiatement un bruit de pas précipités et la voix, cette fois beaucoup plus douce, se firent entendre.

-Oh je suis désolé, je ne voulais pas vous faire peur. Vous ne vous êtes pas fait mal au moins, j’espère ? Bonté divine quel idiot je fais parfois !

Mathieu se redressa difficilement. Il s’était un peu écorché le coude mais sinon pas de gros dégâts comparés à la chute qu’il avait faite.

-Ca va aller, répondit-il en relevant le regard pour découvrir le nouveau prêtre.

Il ne put empêcher une expression de surprise de traverser son visage. C’était vraiment un jeune curé qu’on leur avait assigné ! Mathieu lui donnait à peine dix ans de plus que lui ! Ses cheveux blonds et courts avaient soigneusement été peignés en arrière et son visage conservait encore un air presque juvénile. Ses yeux d’un bleu intense semblaient contenir toute la compassion du monde. En découvrant Mathieu, le prêtre marqua lui aussi un léger temps d’arrêt. Puis il s’approcha rapidement de lui et s’agenouilla à ses côtés, vérifiant l’état de son coude.

-Je suis désolé. Je ne voulais vraiment pas vous faire peur. J’ai juste été étonné de trouver quelqu’un dans l’église à une heure aussi tardive.

-J’ai été surpris par l’orage alors je suis venu me réfugier ici.

Le jeune curé lui sourit.

-Vous avez bien fait. La maison de Dieu est toujours ouverte à ses fidèles. Votre coude saigne un peu. Venez avec moi, je vais vous nettoyer cela.

Mathieu hocha la tête.

Soudainement, une lueur vive attira leur regard. La chemise de Mathieu était tombée sur les cierges et l’une des parties sèches, la manche protégée par le carton à dessins, avait pris feu. Le prêtre poussa un léger cri de panique et promptement, attrapa la chemise, qu’il jeta à terre et éteignit les flammes du mieux qu’il put en la piétinant. Une fois le feu mort, il poussa un soupir de soulagement mais réalisa l’état déplorable dans lequel devait être le vêtement de ce pauvre jeune homme.

-Je suis désolé. Je crois que votre chemise n’est vraiment plus portable. Je vous donnerai l’une des miennes pour rentrer chez vous.

-C’est très gentil, protesta Mathieu, mais…

-Allons, tout est de ma faute et cela me fait plaisir. A présent venez, nous allons soigner votre coude.

Comprenant qu’il ne servait à rien de contredire le prêtre, Mathieu le suivit jusqu’à sa petite chambre chichement aménagée et dans laquelle régnait une odeur de renfermé. Tous deux s’assirent sur le lit après que le jeune homme ait sorti de son armoire une petite bouteille d’alcool et un morceau de chiffon. Consciencieusement, le prêtre humidifia le chiffon d’alcool et le posa sur la blessure de Mathieu qui grimaça de douleur.

-Allons, vous n’allez pas pleurer pour quelques picotements voyons !

-Quelques picotements ? Ca fait affreusement mal.

Le prêtre sourit.

-Je suis vraiment désolé.

-Ce n’est pas grave ! Je n’avais qu’à pas faire des acrobaties pareilles.

-Et moi je n’aurai pas dû paniquer comme ça en entendant du bruit mais comme je suis nouveau ici et que je suis d’un naturel nerveux…

Mathieu éclata de rire.

-Il n’y a pas de raison. Vous verrez, les gens d’ici sont très accueillants ! Ils seront ravis d’apprendre qu’un nouveau prêtre vient d’arriver.

-Je l’espère bien. C’est très gentil d’essayer de me rassurer… Quel est votre nom au fait ?

-Mathieu ! Mathieu Tournier, je suis le fils du chaudronnier du village !

-Eh bien Mathieu je suis ravi de faire votre connaissance. Moi je suis le père Patrick.

Le peintre pouffa.

-Qu’y a-t-il de drôle ? s’inquiéta soudainement le père Patrick.

-Rien ! C’est juste que je trouve ça étrange d’appeler quelqu’un d’aussi jeune que vous mon père !

-Je sais mais je n’y peux rien. Telle est la coutume. Mais dis-moi Mathieu…Au fait, tu me permets de te tutoyer ou pas ?

-Oui bien sûr.

-Alors que faisais-tu dehors aussi tard ?

Mathieu observa quelques secondes le bandage que venait de terminer Patrick avant de répondre. Le silence entre eux deux était presque pesant.

-Je peignais ! J’adore peindre ! Vous voulez voir ce que je fais ?

Le visage du prêtre parut vraiment s’éclairer soudainement. Il sourit à Mathieu et conclut qu’il serait ravi d’observer ses œuvres.

-J’ai oublié mon carton à dessin à l’entrée de l’église. Je reviens immédiatement.

Sortant de la chambre presque en courant, Mathieu se précipita jusqu’au bénitier où il avait laissé ses affaires. Eh bien, quelle différence entre ce nouveau prêtre en l’antique père André ! Jamais il ne se serait douté qu’un homme d’église puisse être aussi jeune et… séduisant !

Voyons Mathieu, tenta-t-il de se raisonner, ce type est un curé, tu ne vas quand même pas… Justement, coupa en lui sa véritable personnalité, cela rendait le pari plus intéressant encore !

Ayant vérifié que le carton ne contenait aucun dessin compromettant, Mathieu retourna dans la chambre de Patrick qui n’avait pas bougé d’un pouce.

-Voilà, je vous ai ramené ce que j’avais fait aujourd’hui.

-Je te remercie. Alors voyons voir ça…

Lorsque le prêtre posa les yeux sur les dessins que lui présentait Mathieu, il ne sut plus quoi dire, puis reprenant un peu ses esprits il parvint à articuler quelques paroles.

-C’est vraiment toi qui as fait cela ?

Mathieu hocha vigoureusement la tête.

-Oui bien sûr ! Je veux devenir peintre mais mon père y est formellement opposé, il veut que je devienne chaudronnier.

-Ce serait du gâchis, tu as vraiment du talent.

Mathieu ne put retenir un sourire.

-C’est ce que la plupart des gens me disent, mais mon père est butté ! Et vous savez, je sais aussi peindre les portraits ! Si vous le voulez, je peux peindre le vôtre.

Patrick le regarda, quelque peu surpris, puis rangea les dessins dans le carton.

-C’est très gentil mais je n’y tiens pas spécialement, je n’aime pas mon image…

C’est dommage, se retint de dire Mathieu, mais il ne voulait pas y aller trop directement. Après tout c’était un prêtre qu’il avait face à lui.

-… Mais si tu veux me faire plaisir, tu pourras toujours peindre des œuvres à la gloire de notre seigneur.

-J’y penserai, répondit Mathieu, pourtant pas trop enthousiasmé par une telle idée.

Pendant le reste de la soirée, ils discutèrent. Mathieu expliqua notamment au jeune curé les mœurs du village, pour que celui-ci ne débarque pas dans un monde complètement différent de ce qu'il connaissait. Mathieu lui proposa d’ailleurs de lui faire visiter les environs s’il voulait ne pas se perdre dans les nombreuses forets. Puis ils dînèrent rapidement et finalement, l’orage ne s’étant pas calmé, Patrick proposa à son nouvel ami de passer la nuit sur place, proposition qu’évidemment Mathieu ne déclina pas. Après maintes explications, Patrick voulant laisser son lit à son invité, il fut convenu que le curé dormirait dans le lit et Mathieu à terre mais que ce dernier hériterait de l’unique couverture du prêtre.

Finalement tous deux s’endormirent mais le sommeil ne vint que très difficilement.

 

*********************

Le lendemain matin, après un petit déjeuner frugal, Patrick prêta une de ses chemises à Mathieu, toujours torse nu, et tous deux se rendirent côte à côte au village dans un silence lourd.

Finalement Mathieu rentra chez lui où son père, furieux et inquiet, lui demanda où il avait encore passé la nuit tandis, que Patrick faisait la connaissance de ses nouveaux paroissiens.

 

*********************

Quelques jours passèrent pendant lesquels Mathieu se demanda s’il était vraiment juste de sa part de vouloir s’en prendre à un homme d’église. C’était vraiment un pari risqué qu’il avait fait là. Mais l’excitation qu’il ressentait à l’idée de commettre un tel pêché… Jamais l’appel de la soutane ne fut aussi fort pour lui. Il avait certes été se défouler en compagnie de David mais cela n’avait pas suffit. En définitive, n’y tenant plus, il se rendit un matin jusqu’à la petite église en haut des falaises. Il y trouva Patrick qui, rassuré par le succès de sa messe de la veille, remettait un semblant d’ordre dans la maison de Dieu.

-Mathieu ! s’exclama-t-il en voyant entrer le jeune homme.

-Bonjour père Patrick, le salua celui-ci en lui décochant son sourire le plus doux. Je suis venu vous rapporter votre chemise.

-Merci Mathieu, c’est vraiment très gentil.

-Merci à vous de vous être occupé de moi ce soir là.

-Ton coude va mieux ?

-Oui aucun problème… Grâce à vous.

Le prêtre eut un sourire gêné.

-Tu… Tu veux boire quelque chose ?

Mathieu secoua la tête et rendit la chemise au curé qui la posa négligemment sur l’un des bancs de bois.

-Père Patrick.

-Oui ?

-Je vous avais promis de vous faire visiter la région, ça vous intéresse toujours ?

Patrick prit un air surpris. Apparemment il s’était attendu à ce que la promesse de Mathieu ne soit que du vent mais il s’était trompé. Il eut un sourire très doux avant de répondre qu’il serait vraiment ravi de cela. Alors le prêtre se changea, la soutane n’étant pas la tenue la plus adéquate pour une balade en foret et tous deux partirent à travers les bois environnants.

Pendant plusieurs jours, ils arpentèrent ensemble les bois et les champs, Mathieu montrant à Patrick ses endroits favoris et parfois, pendant plusieurs heures, Patrick regardait patiemment Mathieu peindre des paysages, mais jamais il n’accepta qu’il le dessine. Cependant, même si les premiers jours ils conversaient sans discontinuer, au fur et à mesure que le temps passait, les silences se faisaient plus nombreux et plus pesants. Il faut dire que Mathieu prenait de plus en plus ses aises avec le jeune prêtre, se collant à lui ou le touchant légèrement dès qu’une occasion se présentait. Et ce qui le satisfaisait le plus dans tout cela, c’était que Patrick ne fuyait pas ses contacts et n’y était apparemment pas insensible, même si ceux-ci le crispaient. Un soir après une promenade, il autorisa même Mathieu à masser ses épaules douloureuses.

Finalement, un jour, Mathieu guida Patrick jusqu’à ce qu’il appelait son endroit favori. Il s’agissait d’un minuscule lac à l’eau très claire enfoncé au fin fond d’un bois touffu. Même si l’eau y était régulièrement froide, les enfants aimaient beaucoup venir s’y baigner et Mathieu n’y faisait pas exception. Tandis que Patrick s’était assis dans un coin, pensant visiblement que son ami l’avait traîné jusque là pour admirer la beauté du paysage, ce dernier se déshabilla rapidement et d’un pas nonchalant, entra dans l’eau. Le jeune prêtre en fut comme pétrifié. Mathieu eut beau l’appeler pour qu’il vienne le rejoindre, il ne broncha pas. Après quelques brasses, Mathieu sortit du lac. Sur la berge, Patrick avait baissé les yeux, comme s’il n’osait pas le regarder.

-Patrick ? appela doucement Mathieu.

-La première fois que je t’ai vu, murmura le prêtre, je me suis demandé si un ange n’était pas tombé du ciel directement dans mon église. Mais en fait tu n’es qu’une créature du diable.

Sans se décontenancer, Mathieu vint s’asseoir à côté du jeune curé, très près de lui.

-Qu’est-ce que tu racontes ? Ai-je l’air d’une créature du diable ?

-C’est justement ce qui te rend si redoutable, continua son ami, le regard toujours tourné vers le bas.

 

Le peintre posa une main sur la cuisse de Patrick.

 

-Patrick, regarde-moi.

Finalement, celui-ci tourna le visage et Mathieu découvrit son regard fou de désir. Sans qu’il ait pu vraiment comprendre comment cela était arrivé, ils s’embrassaient passionnément, les mains tremblantes du prêtre caressant son corps encore mouillé. Avant que son ami, poussé par un dernier sursaut de foi, ne change d’avis, Mathieu laissa glisser l’une de ses mains jusqu’entre ses cuisses, ouvrit son pantalon d’un geste expert et prit son membre déjà raide entre ses doigts. Il ne put retenir un petit cri de surprise. Patrick avait vraiment le sexe le plus énorme qu’il n’avait jamais eu l’occasion de toucher. Souriant de plaisir, il laissa sa main caresser doucement la colonne de chair.

Ce simple contact ramena le jeune prêtre à la réalité et il essaya de repousser Mathieu du peu de force qu’il lui restait après une telle expérience.

-Arrête Mathieu, ça suffit maintenant.

Mathieu eut un sourire de prédateur.

-Ce n’est pas ce que dit ton corps, contra-t-il.

Et il reprit le va et vient d’un geste plus vigoureux cette fois-ci. Le curé gémit de plaisir.

-Mathieu, arrête, je t’en prie.

Mais bien peu décidé à ainsi abandonner alors qu’il était aussi près du but, Mathieu s’agenouilla entre les cuisses du prêtre et le prit dans sa bouche avec toute l’expérience qu’il avait put acquérir en seulement quelques mois…

 

********************


Mathieu, d’un geste précis, s’essuya la bouche des dernières traces blanches qui pouvaient encore s’y trouver. Il avait un peu mal à la mâchoire d’avoir sucé un membre aussi gros. Il n’avait pas vraiment l’habitude d’un tel extrême. Mais Patrick avait joui très rapidement et avait tout de suite après rejeté Mathieu avant de s’enfuir dans les bois.

Le jeune peintre soupira de dépit. Il aurait voulu aller encore plus loin. Mais décidément Patrick ne lui facilitait vraiment pas la tâche. Heureusement, l’expérience d’aujourd’hui lui prouvait qu’il ne laissait pas le jeune homme insensible. Et bientôt il aurait ce qu’il voulait.

 

*********************

Quelques jours plus tard, un soir, à la nuit tombante, il se rendit à l'église. Il n’avait pas revu Patrick depuis "l’incident ". Comme prévu, à cette heure tardive, l’église était déserte, mais l’absence de cierges allumés l’inquiéta quelque peu. A la lueur de la lune, faiblement filtrée par les vitraux, il se rendit jusqu’à la porte de la chambre du prêtre. Il frappa mais comme il s’y attendait il ne reçut aucune réponse. Il tourna la poignée et la petite porte de bois s’ouvrit. Dans la pièce régnait le noir le plus profond. Mais Mathieu repéra la respiration haletante qui provenait de l’emplacement du lit. Il referma la porte, se déshabilla entièrement et se coucha près de la forme tremblante. Il posa la main sur le bras du prêtre et le caressa doucement. Aux vêtements que celui-ci portait encore, il avait dû se coucher rapidement dès qu’il avait entendu Mathieu pénétrer dans l’église.

-Patrick, appela doucement Mathieu.

Le prêtre poussa un léger gémissement.

-Va-t-en Mathieu, s’il te plait. Cesse de me torturer.

-Je ne veux pas de torturer… Au contraire.

Ses caresses se firent plus insistantes. Plus intimes aussi. Et Patrick succomba.

 

****************

Mathieu se frotta les yeux. La lumière vive qui entrait par la petite fenêtre l’avait éveillé. Mais cette fenêtre n’était pas la sienne alors où était-il encore… Puis il se souvint. Il avait fait l’amour avec Patrick une bonne partie de la nuit. Un sourire satisfait s’imposa sur son visage fatigué. Patrick n’était peut être encore qu’un débutant mais avec les gestes expérimentés de Mathieu, tout c’était parfaitement passé.

La porte s’ouvrit et le prêtre, déjà impeccable, entra. Il vint s’asseoir sur le lit et caressa le visage encore ensommeillé de Mathieu d’une main timide. Ce dernier lui sourit et, de façon beaucoup moins réservée, l’attira vers lui et l’embrassa, glissant sa langue dans sa bouche avec délice. Patrick sursauta, peu habitué encore à des gestes aussi intimes mais finalement il laissa Mathieu jouer avec lui, y prenant même beaucoup de plaisir.

-Tu as bien dormi, demanda-t-il alors tendrement quand il parvint à se libérer.

Mathieu s’étira langoureusement.

-Pas beaucoup mais très bien. Et toi ça va ?

Patrick ferma les yeux quelques secondes.

-Ca va, répondit-il au bout du compte.

Mathieu se leva et s’habilla rapidement.

-Tu pars déjà ? l’interrogea Patrick.

-Oui, sinon mes parents vont encore s’inquiéter. Mais je repasse te voir dans pas longtemps.

Le prêtre se contenta de hocher la tête.

 

********************

Mathieu venait de fêter ses quinze ans. Il les avait même fêtés de la meilleure façon qui soit. Tout d’abord avec ses parents, qui lui avaient offert une petite somme d’argent, puis avec David, qui lui avait acheté une petite bague d’argent qu’il tenait absolument à ce que Mathieu garde toujours avec lui, et enfin avec Patrick. Ce dernier lui avait fait l’amour sur l’autel même de l’église où n’importe qui aurait pu les surprendre puis il avait enfin accepté de se laisser dessiner, entièrement nu bien évidemment. Comblé, Mathieu rentrait chez lui, son précieux dessin soigneusement dissimulé dans le carton au milieu de tous les autres.

A son retour, son père le fit s’asseoir face à lui à la table de la cuisine, ce qui n’était jamais bon signe. Mathieu se demanda franchement ce qu’il allait trouver à lui reprocher cette fois-ci !

-Mathieu, commença son père d’une voix sombre. Tu as maintenant quinze ans. Il est largement temps pour toi de te rendre utile. C’est pourquoi j’ai décidé de te prendre à mon service à partir de demain. Terminé la peinture et toutes ces activités de fainéants. De plus, j’ai discuté avec le maire au sujet de ton mariage avec Laurie et nous sommes parvenus à un accord. Donc demain j’irai trouver le père Patrick pour arranger avec lui la cérémonie. Et cela ne souffrira d’aucune objection.

-Jamais, murmura Mathieu.

-Qu’est ce que tu as osé dire ?

-JAMAIS, hurla-t-il cette fois-ci.

La douleur cuisante qui le frappa fut la preuve que son père n’avait pas retenu sa gifle.

-J’ai dit que je ne voulais aucune objection est-ce clair ?

-Et moi j’ai dit jamais !

-Ici tu es dans MA maison Mathieu, alors soit tu te plies à MES règles, soit tu t’en vas et je n’ai plus de fils.

Mathieu se leva brusquement et monta dans sa chambre. Il prit la petite somme d’argent qu’il venait de recevoir et la bague de David ainsi que quelques autres effets personnels, fourra le tout dans un petit sac et redescendit. Il sortit en claquant la porte.

Son père se lança à sa poursuite dans la rue.

-Mathieu ! appela-t-il. Qu’est-ce que tu fais ?

-Tu n’as plus de fils ! répliqua celui-ci.

-Mathieu ne fais pas l’imbécile ! Ce que je fais je le fais pour toi ! Pour ton avenir, pour ton bien.

-Je suis capable de m’occuper de moi tout seul ! Et je ne serai jamais chaudronnier ! Plutôt mourir dans la misère.

-Et ton mariage avec Laurie ? Tu réalises que tu gâches la plus belle chance de ta vie ?

-Je ne veux pas épouser Laurie !

-Pourquoi ? Elle est jeune, riche, assez mignonne et même pas stupide ! Que te faut-il de plus ?

Autour d’eux, les passants commençaient à former un attroupement mais aucun n’osait intervenir dans ces querelles familiales.

-Je ne veux pas épouser Laurie, ni personne d’autre d’ailleurs !

-Tu es vraiment borné !

-Non ! Désolé ! Je préfère les garçons.

La foule autour d’eux devint étrangement silencieusement, tout comme son père, qui le regardait d’un air incrédule.

-Mathieu… Que dis…

-Et si tu ne me crois pas tu n’as qu’à demander à Petit Paul, à Hugo, à François, à Sylvain, à Jean, à Denis, à David et même au père Patrick !

Mathieu savait parfaitement qu’en citant une telle liste il compromettait ses principaux amants mais il avait agit sous le coup de la colère. Un peu honteux et avant que la foule, choquée, ne pense à l’assaillir de questions ou physiquement, il s’enfuit en courant le plus loin possible. Une fois à bonne distance, il se retourna, salua d’un dernier signe de la main son village au loin, ses parents et ses amants qu’il ne reverrait probablement plus, en particulier Patrick, qu'il avait odieusement corrompu et qu’il abandonnait lâchement. Il aurait tout de même aimé lui dire au revoir. Bizarrement, il ne ressentait pas de peine. Même s’il n’était jamais tombé amoureux, il s’était un peu attaché à quelques-uns de ces garçons et de ces hommes qu’il avait fréquentés mais l’exaltation du départ rendait impossible toute tristesse. Après tout des amants, il en trouverait beaucoup d’autres ailleurs !

Le cœur léger, il reprit sa route vers le port le plus proche à quelques kilomètres de là. C’est alors qu’il entendit une voix faible l’appeler. Il se retourna et vit David, essoufflé, à quelques mètres derrière lui. Visiblement, le garçon avait couru pour le rattraper.

-Mathieu ? Tu t’en vas ?

 

Mathieu hocha la tête.

 

-Mais où ?

-Je ne sais pas encore, je verrais au port.

David le prit dans ses bras.

-Laisse-moi venir avec toi Mathieu, je t’en prie. A nous deux on peut faire de grandes choses tu sais.

 

Mathieu se sentit soudainement très mal. Il ne s’était pas attendu à une telle réaction.

-Je suis désolé David mais j’ai décidé de définitivement couper les ponts. Je préfère partir seul.

L’étreinte de David se resserra et Mathieu sentit les larmes de son aîné lui couler dans le cou.

-Mathieu, ne me laisse pas. Je ne veux pas que tu me quittes.

-David…

-Je t’aime Mathieu. Je sais que je n’étais pas le seul pour toi, loin de là, mais moi… Moi… Moi je voulais au moins être avec toi parfois. Mathieu, ne me laisse pas seul.

Mathieu prit le visage ruisselant de larmes de David entre ses mains délicates. Il essuya ses pleurs d’un geste tendre puis l’embrassa longuement. Lorsque enfin leurs lèvres se séparèrent, David se laissa tomber à genoux sur le sol.

-Adieu David, murmura Mathieu.

Et il reprit sa route.

 

**********************


Le port dans lequel il était arrivé n’était pas bien grand mais comparé à son petit village, il lui semblait immense. Rapidement, il repéra un bateau qu’il trouvait tout particulièrement joli, attendit que le capitaine, un homme très sec aux cheveux filasses, en descende pour se rendre dans une taverne proche et le suivit.

Quelques heures plus tard, Mathieu se trouvait à bord, dans le lit de cet homme ayant presque l’âge de son père. Le capitaine caressait son corps en sueur.

-Dans quelques heures nous appareillons, tu veux venir.

-C’est que, murmura doucement Mathieu d’une voix faussement timide, je n’y connais rien en bateau.

-Ne t’inquiète pas, je t’apprendrai…

Et c’est ainsi que Mathieu entreprit son premier voyage sur les océans.

 

*********************

Debout, au bord de la falaise, le père Patrick tenait à la main une bible. Il regardait la mer, cette mer sur laquelle actuellement voguait certainement Mathieu. Il poussa un soupir. Il avait toujours su que cela ne le mènerait pas loin mais il s’était tout de même laissé séduire par ce visage angélique. Et maintenant il ne lui restait plus rien. Bien sûr, comme tous les autres accusés il avait fermement nié les accusations du garçon, il n’était plus à un péché près. Et bien sûr, personne ne l’avait cru. La seule réaction de David, en pleurs après le départ de son ami, avait suffit à le convaincre de la véracité de ses propos. Patrick aussi avait été sur le point de pleurer. Pour diverses raisons… La perte de sa crédibilité de prêtre, la perte de Mathieu, évidemment, mais aussi la découverte de ses nombreux autres amants. Il lâcha un rire amer. Et dire qu’il avait presque cru à l’amour.

Il jeta la bible à la mer. A quoi lui servait-elle à présent ? Il renonçait à son état de prêtre. Il n’était plus capable d’assumer une telle existence. Qu’allait-il faire maintenant ? Il n’en avait pas la moindre idée. Il arracha également la petite croix d’argent qu’il portait au cou et elle suivit la même voie que le livre sacré. Puis, retenant une fois de plus ses larmes, Patrick prit la petite valise qu’il avait posée à ses pieds et s’en alla.

 

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