Malgré toutes ses bonnes résolutions, jusqu'à la fin de l'année scolaire, Hervé n'eut pas l'occasion de revoir Saylan. Quant à son frère, il ne faisait que le croiser, et Alex était la plupart du temps dans un tel état de stress que toute tentative de discussion sérieuse s'en trouvait découragée. Hervé prit son mal en patience.

Certes, depuis quelques temps, il sentait que sa passion pour Saylan s'atténuait. Il le trouvait toujours attirant, c'était sûr, mais il ne ressentait plus les élans douloureux qui l'avaient tant tourmentés pendant l'hiver. Peut-être était-ce dû au fait qu'il ne l'avait plus vu depuis longtemps, ou bien était-ce tout simplement la disparition logique d'une passion passagère. Hervé ne tenta pas de le découvrir. La seule chose qui comptait était qu'il était parvenu à retrouver une certaine sérénité, et parvenait à retrouver son frère sans honte. Il suivait pourtant d'un œil dur l'évolution de la relation entre Guillaume et Isabelle, qui paraissait partie pour durer. Ce n'était pas très honorable de sa part, mais il était assez jaloux. Et surtout, il se sentait vide. Le grand élan qui l'avait porté vers Saylan une fois atténué, il se retrouva désoeuvré, seul, cherchant désespérément quelqu'un à aimer ou au moins à chérir pour combler sa solitude.

Hervé avait le blues.

Alors il se mit à fréquenter avec assiduité Pierre, qui lui-même devait se sentir quelque peu déprimé par l'éclosion de couples autour de lui. Pierre était un garçon agréable, calme et posé, et qui ne l'attirait pas du tout. Autrement dit, le fréquenter ne lui posait aucun problème, à l'exception de la désagréable impression qu'il avait de suivre les traces de son frère. Tout ce qu'il espérait, avait-il dit un jour à Pierre en blaguant à ce sujet, c'était que cela le mènerait à un autre Saylan. Pierre avait juste rougi.

Avec le début des grandes vacances, il avait revu Saylan deux ou trois fois, et tout c'était bien passé. Saylan avait fait bonne figure, il avait même été plus agréable que de coutume. Hervé se rendait compte, maintenant qu'il ne tremblait plus comme une feuille avant de lui adresser la parole, qu'il s'agissait d'un interlocuteur agréable voire même patient. Il appréciait beaucoup. Mais peut-être Saylan ne ménageait-il Hervé que parce qu'Alex allait partir un mois en Angleterre. Entretenir de bonnes relations avec son frère pouvait toujours être utile.

Finalement mort d'ennui au début du mois de Juin, Hervé débarqua tout à trac chez son frère.

_ Je m'ennuie!!!, rugit-il.

_ Ce serait pas nouveau!, ronronna Saylan dans les bras d'Alex malgré la chaleur qui s'annonçait pesante.

_ C'est pas drôle Saylan… Je m'ennuie vraiment!!!!

_ Qu'est-ce que tu veux qu'on y fasse?, intervint Alex. "Quoique si tu veux faire le ménage ici et les courses, on te laisse faire!!

Hervé lui fit une grimace.

_ Tu n’es pas drôle !

Alex lui rendit sa grimace, faisant rire Saylan qui se colla un peu plus contre lui.

_ Vous me donnez chaud à vous serrer comme ca, marmonna le plus jeune frère qui détourna les yeux.

_ Personne t’oblige à regarder, lâcha Saylan, qui allait continuer sur sa lancée quand le téléphona sonna. " J’y vais !

Saylan se leva, marchant nonchalamment jusqu’à ce qu’il eut passé la porte du salon pour déboucher, loin de leur regard, dans le couloir. Hervé, qui l’observait du coin de l’œil, l’entendit décrocher le téléphone avant de parler avec animation. Il reporta son attention sur son frère qui, profitant du départ de Saylan, s’était un peu étalé sur le canapé, les bras largement écartés sur le dossier. Visiblement, il souffrait déjà de la chaleur ambiante. Ses cheveux noir de jais collaient déjà légèrement sur son cou. Mais il respirait la joie de vivre et le tonus. Un dynamisme d’enfer emballé dans un physique enviable. Pas étonnant que Saylan s’y colle comme un lierre à son arbre.

_ Tu ne crois pas que tu devrais te faire couper un peu les cheveux ?, demanda Hervé. " Tu vas encore prendre des réflexions de papa.

Alexandre écarta une mèche qui lui tombait dans les yeux, avant de se lever pour aller fermer à demi les volets. La pièce se remplit d’une obscurité rafraîchissante, et Hervé en soupira d’aise. Par intermittences, il entendait la voix de Saylan, sans parvenir à suivre le cours de la conversation.

_ Comment ca va à la maison ?, demanda Alex une fois rassis. Cela faisait presque 15 jours qu’il n’avait pas remis les pieds dans la demeure familiale, et Hervé suspectait que ses parents se demandaient ce que leur aîné pouvait bien trafiquer tout seul dans son appartement durant les mois d’été.

_ Les parents sont persuadés que tu as une petite amie et que tu n’oses pas le leur dire, dit-il à son frère. " Je crois qu’ils sont prêts à faire une descente surprise chez toi pour essayer de vous surprendre. Ils risquent d’avoir un choc

Alex fronça les sourcils :

_ Tu ne leur as rien dit, hein ? Je ne me sens pas le courage d’affronter ca maintenant.

_ Muet comme une tombe. Tu peux me croire. Je ne voudrais pas vous attirer des problèmes.

Oh non, sûrement pas !

_ Je crois seulement qu’il faudrait qu’au moins tu passes faire coucou de temps en temps. Ca leur ferait plaisir. Tu arriveras bien à te décrocher de ton chéri quelques jours, non ?

Alex ne répondit pas, laissant son regard dériver vers la porte par laquelle Saylan avait disparu.

_ … Bien sûr !, finit-il par répondre, et il sourit à Hervé, de son sourire franc et chaleureux. " J’ai un peu trop tendance à oublier le temps en ce moment. Et toi, à part ton terrible ennui, ca va ?

Alex se pencha pour lui ébouriffer les cheveux en un geste affectueux :

_ Je peux faire quelque chose pour toi ? Tu veux passer quelques jours ici ? Saylan sera d’accord je suis sûr.

_ Non. Je vous dérangerais. Et puis…

Hervé s’arrêta brusquement et rougit

_ Et puis quoi ?

_ Rien du tout !

Il avait juste pensé qu’il risquait d’être horriblement gêné si, couchant dans le salon, il entendait des bruits suggestifs venant de la chambre… Il ne savait pas comment le dire en termes élégants à son frère, mais il n’en pensait pas moins. Il doutait fortement que les amoureux se gênent pour lui et adoptent la ceinture de chasteté le temps de son séjour. Il valait mieux ne pas tenter le diable… Saylan revint à ce moment là, et s’affala dans un coin du canapé, loin d’Alex.

_ C’était qui ?, demanda ce dernier

_ Christian. Rien d’important. Vous disiez quoi ?

Hervé continua à bramer son ennui toute l'après-midi, jusqu'au moment où Saylan l'informa :

_ On avait prévu d’aller voir Isa et ton copain Guillaume. Tu veux venir?

_ Sûrement pas! Ces deux-là, en train de mariner dans leur bonheur béat, non, je peux pas. Séparément, d'accord, mais pas ensemble!

Saylan lui jeta un regard de travers et Alex s'abstint de tout commentaire. Ils partirent tous les deux, laissant un double des clés à Hervé. Il s'agissait de celui de Saylan en vérité, et Hervé s'amusa à observer la multitude de porte-clés qui y étaient accrochés, la plupart rigolos et multicolores. Ca le surprenait un petit peu venant de lui.

Il se morfondait devant un programme inepte à la télé (qu'attendre d'autre un après-midi d'un jour de semaine?) lorsque le téléphone sonna. Priant tous les dieux qu'il connaissait pour que ce ne soit ni l'oncle ni son cousin ni même Drabant, Hervé décrocha.

Il était en train d'adresser ses dernières prières à Bouddha quand un grand cri en provenance du combiné imprudemment décroché lui vrilla les oreilles :

_ ON AVAIT DIT QUE C'ETAIT MOI QUI LE FAISAIS!!!!!!!!!!!

_ Rhaaaaaaaaaa, tais-toi donc, c'est mon tour!!!!!!!!, éructa une autre voix, masculine celle-là

_ Euh… Allô?, tenta Hervé du plus doucement qu'il peut (avec un peu de chance, on ne l'entendrait pas)

Il y eut une dernière éructation ("J't'avais dit qu''tu lui ferais peur!!"), suivi d'un grand bruit puis d'un silence.

_ Allô?… Y a quelqu'un?, se décida à demander Hervé, persuadé à présent qu'il ne s'agissait pas de la dangereuse famille de Saylan, mais pas franchement rassuré pour autant.

_ Allô?, répondit enfin une voix masculine, calme mais ferme. "Désolé pour le bazar, mais c'est mon frère et ma sœur, ils sont un peu chat et chien parfois…

_ Euh… oui?

_ Est-ce que vous êtes Alexandre? J'espère que l'on ne s'est pas trompé de numéro de téléphone!!

_ Non, je ne suis pas Alexandre, répondit Hervé pas tout à fait soulagé que ces gens connaissent son frère.

_ Alors vous êtes Saylan?????, s'exclama la voix avec un entrain suspect, déclenchant une série de cris enthousiastes en arrière fond.

_ Non, pas du tout, s'empressa de corriger Hervé, "Je ne suis pas Saylan non plus. Je m'appelle Hervé, je suis le frère d'Alexandre. Je suis tout seul pour le moment alors si vous…

_ C'est son frère, marmonna la voix aux excités qui l'entouraient.

_ Le frère à qui, pas à Saylan c'est pas possible?, objecta une voix étouffée qu'Hervé n'identifia pas.

_ Ahum, et vous, vous êtes qui?, risqua-t-il enfin, sentant que son honneur était en jeu.

_ Oh, oui, excusez-nous… ou excuse-nous, plutôt, tu dois avoir le même âge que nous à peut près. Je m'appelle Gabriel, ici il y a mon frère Raphaël, ma sœur Angélique, et celui qui braie comme un âne depuis tout à l'heure, c'est mon autre frère Michel ("KOA?"). On nous ne nous a pas demandé notre avis pour les noms, s'empressa de préciser Gabriel, "On est tous nés comme ça!

_ Et qu'est-ce que je peux faire pour vous?, demanda Hervé, refusant de céder au fou rire qui le gagnait.

_ Eh bien, nous voudrions rencontrer Saylan, parce que… euh… c'est un peu difficile à expliquer comme ça. Mais c'est important. Il faudrait qu'on le voie très vite.

Hervé se méfiait.

_ Et pourquoi vous voulez le voir? Vous n'avez pas l'air de le connaître pourtant!

_ Nous ne l'avons presque jamais rencontré, c'est vrai. Mais nous sommes de la famille! Nous sommes ses cousins.

_ … hein?

_ Ecoutez, si tu venais nous ouvrir, ça arrangerait peut-être les choses?

_ Hein? Vous ouvrir? Mais… et où vous êtes d'ailleurs?

_ Jette donc un petit coup d'œil dans la rue.

Hervé déposa le combiné et alla regarder à la fenêtre de la cuisine. Dans la cabine qui se trouvait en face de l'appartement d'Alex, une bande d'agités lui faisait de grands coucous.

Déprimé par tant de vitalité, il se résolut à aller ouvrir.

Quand, plusieurs heures plus tard, Saylan et Alexandre rentrèrent chez eux, ils eurent la surprise de trouver une petite foule sur les coussins du salon.

_ Qu'est-ce qui se passe ici?, commença par ronchonner Saylan, visiblement fatigué et pas de bon poil.

La foule en question se leva comme un seul homme pour lui sauter au cou.

_ Saylan, mon chéri, enfin c'est toi!

_ Quoi? Mais … (tentative de prise de parole avortée du chéri en question)

_ C'est le bon Hervé, on s'est pas trompé?

_ Dis donc Michel, il est plus grand que toi lui aussi!!

_ Oh, ça SUFFIT hein!!!

_ Regarde comme il est mignon!!

_ C’est sûr qu’on a du mal à croire que tu es sa cousine!

_ MICHEL!!!!

Saylan jeta un regard désespéré à Alex qui se décida à intervenir :

_ Est-ce que quelqu'un pourrait nous expliquer ce qui se passe ici?

_ Je m'en occupe!!, se proposa Hervé "Dès que tout le monde se sera calmé!

Il avait très vite compris que pour fournir une explication claire de ce qui se passait, il allait devoir prendre les choses en main, et surtout, surtout, faire taire la smala. Leurs vociférations lui donnaient déjà mal au crâne.

Tout le monde s'assit au petit bonheur la chance, la seule fille du groupe, une élégante brune très grande aux longs cheveux noirs, venant s'écraser aux pieds de Saylan et lui entourant les genoux de ses bras.

_ Eh! Ca suffit!, intervint Alex avant même Saylan, et la fille le regarda :

_ Sois pas jaloux. Je vais pas le manger.

Cependant, elle le lâcha.

Saylan avait l'air déconcerté, et regardait les visages souriants de toutes leurs dents s'étalant devant lui.

_ Bon, commença Hervé. "Je fais les présentations. Vous avez déjà repéré Saylan, et l'autre, le brun, c'est Alex, mon frère.

Devant la montée de salutations qui s'annonçait du côté de la petite famille, Hervé accéléra.

_ Les deux jumeaux sur le canapé, c'est Gabriel et Raphaël.

_ Non, le contraire! Lui c'est Raphaël, et moi, je suis Gabriel.

_ Ah bon, désolé, marmonna Hervé, pas content de s'être fait couper. "Je vous connais depuis cette après-midi c'est tout. Sinon, la fille qui s'étale comme une limace aux pieds de Saylan, c'est Angélique (ladite Angélique qui leva la tête et fit un sourire charmant, soufflant des baisers autour d'elle et s'attirant une plaisanterie qui la fit enfler de colère), et celui qui vient de se moquer d'elle, c'est Michel.

_ Et?…, se contenta de demander Alex.

_ Et ce sont tes cousins, Saylan!, termina-t-il triomphalement

Saylan se raidit et dit d'une voix froide :

_ Ca ne me fait pas rire.

_ Mais pouuuurquoi?, geignit Angélique en agrippant de plus belle ses genoux. "C'est à cause de cette brute dégénérée de Marc que tu dis ça?

_ Angélique!, la rappela à l'ordre Gabriel (ou peut-être Raphaël)

_ Mais je dis la vérité!!! Je le jure!!!

Saylan se massait les tempes, l'air de se dire qu'il devait forcément faire un cauchemar, et qu'il allait trucider le marchand de rêve pour lui en avoir apporté un aussi stupide.

_ Vous ne voudriez pas tout reprendre depuis le début?

_ D'accord, déclara l'un d'un jumeau, précisant aussitôt, "Moi, je suis Gabriel. "Je reconnais que c'est un peu compliqué à expliquer. Saylan, est-ce que tu te souviens d'avoir rencontré un jour les fils et la fille du frère de ton père?

_ Non.

_ Ah. A vrai dire, reconnut Gabriel d'un air gêné, "Je ne me souviens pas de t'avoir rencontré non plus! Mais il paraît que c'est arrivé. C'est ce que disent ma mère et ma grand mère en tout cas!

Saylan haussa les épaules, l'incitant à continuer.

_ Lorsque ton père a épousé ta mère, ça s'est très mal passé avec notre grand père. Je ne sais pas trop pourquoi, mais il n'a plus jamais voulu revoir son fils, ni sa famille.

_ Je sais ça, confirma Saylan.

_ Pourtant, mon père et sa femme ont continué à fréquenter tes parents, en cachette du grand-père. Moi, Gabriel et Angélique sommes triplés, nous sommes nés en même temps, deux and avant toi. Michel, trois ans après. Nos parents ont continué à se voir jusqu'à… jusqu'à l'accident.

Saylan acquiesça, évitant de croiser le regard de Gabriel.

_ Je ne sais pas si tu étais au courant, mais tes parents n'étaient pas tout seuls dans la voiture lorsque… quand ils sont morts. Il y avait notre père également.

Saylan leva les yeux et regarda son cousin avec incrédulité.

_ Je ne le savais pas…

_ Grand père n'a pas voulu qu'on les enterre le même jour, ni au même endroit d'ailleurs. Il pensait que notre père était mort à cause… à cause d'eux. Il a aussi refusé de te recueillir. C'était un homme très strict, très dur, et personne n'osait rien dire. Notre mère et mamie nous ont dit qu'elles ont essayé de le fléchir, sans résultat.

_ Qu'est-ce que vous faites là alors?

_ L'année dernière, grand-père est mort, reprit Gabriel. "Et c'est là que nous avons commencé à partir à ta recherche. Notre mère surtout… elle t'adorait quand tu étais petit. Toutes d'eux s'en voulaient beaucoup de t'avoir abandonné comme ça dans une famille qu'elles ne connaissaient pas.

_ Vu la famille, valait mieux qu'elles l'ignorent, lança Michel, un petit brun aux cheveux frisés mi longs. Saylan lui jeta un regard noir et il n'en rajouta pas.

_ On a tous commencé à faire des recherches, reprit Gabriel, ignorant l'interruption. "On a commencé par retrouver la trace de ton oncle, qui nous a dirigé vers l'un de tes profs, un monsieur Drabant, qui lui-même nous a envoyé ici, où nous sommes tombés sur Hervé, qui est, si je comprends bien,… ton beau-frère, c'est ça Saylan?

A la grande surprise d'Hervé, Saylan piqua un fard et acquiesça en regardant ses chaussures.

Satisfait de ses déductions, Gabriel se refonça dans le canapé, son histoire terminée. Angélique regardait alternativement Saylan et Alexandre, d'un air dubitatif, l'air de dire "c'est pas vrai", tandis que Michel ricanait dans son fauteuil.

Le silence s'installa, chacun attendant que Saylan se décide à dire quelque chose.

_ Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait?, déclara-t-il finalement, l'air mi-figue mi-raisin.

L'un des jumeaux haussa les épaules et prit la parole, précisant son identité d'emblée.

_ Je ne sais pas. Ah, moi, je suis Raphaël. Maman voulait qu'on te ramène à la maison, mais seulement si tu voulais. On pensait, si tu n'avais rien de prévu, que tu pourrais passer les vacances avec nous. Comme on est presque des étrangers, ce serait peut-être l'idéal pour apprendre à se connaître.

Angélique se détacha des genoux de Saylan, ajustant son tailleur élégant sur ses genoux, et leva son beau visage vers lui :

_ Mais dis, tu n'es pas content de trouver une nouvelle famille?

_ Si… si, répondit Saylan d'un air peu convaincu, tentant vainement de la déloger, doucement d'abord, puis avec une certaine vigueur, mais Angélique s'accrochait fermement.

_ J'en ai vu d'autres!!, brama-t-elle avec une vigueur qui jurait cocassement avec sa mise impeccable. "J'ai trois horribles frères, je n'ai pas peur de toi!!!

Saylan s'arrêta net, et l'un des trois horribles frères se leva (Raphaël ou Gabriel) pour décrocher le crampon humain. Les jumeaux étaient de beaux garçons, très grands puisqu'ils avoisinaient le mètre 90, minces mais harmonieusement musclés, et avec la même chevelure noir de jais que leur sœur. Tous les trois formaient un sacré ensemble, qui devait faire se retourner les têtes sur leur passage. En comparaison, Michel, qui devait être le plus jeune des quatre, avait un physique beaucoup plus discret. Peut-être était-ce également dû au fait qu'il ne dépassait guère les 1m60.

_ Bon, si on allait manger maintenant?, rappela-t-il d'ailleurs fort à propos. "Je meurs de faim!!

_ Vous connaissez de bons restos dans le coin?

_ Tu viens avec nous Saylan, bien sûr!

_ Je…

_ Vous voulez venir aussi?

_ Euh, avança courageusement Hervé, "Alex, on va peut-être laisser Saylan retrouver ses cousins en paix, non?

_ Bon, alors, on décolle! Et au trot! Avant que je ne meure d'inanition!

_ Ohlàlà, quel goinfre celui-là!

_ Saylan,eh ben tu traînes!! Va mettre tes chaussures ! ! Allez, on se bouge!

Trois heures plus tard, au domicile d'Alex.

_ J'ai mal à la tête, annonça Saylan en guise de bonsoir.

_ Ils sont drôlement bruyants, hein?, renchérit Hervé

Saylan s'affala par terre, l'air épuisé. Il venait tout juste de rentrer du restaurant, et paraissait luttert héroïquement contre l’envie de se mettre à pioncer sur-le-champ. Il avait cependant l’air détendu et ne devait pas avoir passé une si mauvaise soirée. Il y avait une lueur amusée dans ses jolis yeux.

_ Je tiendrai jamais deux mois avec eux dans leur trou paumé. Pas possible.

Alex sortit de la kitchenette et lui tendit un grand verre d'eau.

_ Ca s'est bien passé sinon?

_ On peut dire ça… demande moi ça plutôt demain matin, quand j'aurai digéré tout ce qu'ils m'ont raconté. C’est trop moche que tu partes en Angleterre Alex, ils voulaient que tu viennes...

Hervé se leva :

_ Bon, je vais vous laisser alors, hein? Vous me tiendrez au courant! Je suis sûr que Saylan va s’amuser comme un petit fou avec sa nouvelle famille!!

Le jeune homme lui lança un regard noir, et sentant qu’il allait perdre toute contenance s’il ne réagissait pas très vite, Hervé renchérit :

_ Ils habitent où d’ailleurs? La Creuse, non?? Note, tu vas passer des vacances tranquilles, hein... tu seras pas dérangé par le monde! Pense à Alex qui sera tout seul dans le tourbillon de Londres...

Saylan grimaça, et Hervé regretta aussitôt, pensant l’avoir blessé d’une façon ou d’une autre. Mais la grimace de Saylan se changea en sourire malicieux :

_ Alors puisque la Nièvre - la Nièvre, pas la Creuse - te tente autant que ca, Hervé, qu’est-ce que tu dirais de m’accompagner? Après tout, si t’es mon beau-frère comme ils l’ont dit, tu fais partie de la famille, non? T’as qu’à prendre la place d’Alex!

_ Saylan... Je ne crois pas que…, commença à protester Alex, inquiet du tour que prenait la discussion

Hervé était devenu écarlate.

_ Et puisque tu t’ennuyais ce matin ca va te guérir! J’appelle Gabriel tout de suite pour le prévenir!

_ C’est hors de question!, dit Alex d’une voix froide. " D’abord, je vois mal mes parents l’autoriser à partir chez des inconnus, et ensuite, honnêtement, ce n’est pas sa place. N’est-ce pas Hervé?

Celui-ci acquiesça vigoureusement, même si la curiosité le démangeait d’en savoir plus sur cette étrange famille.

_ Je suis sûr qu’on peut s’arranger, trancha Saylan. " Je suis sûr qu’on va s’arranger. Tu verras Hervé, on ira enquiquiner les vaches! Et pas n’importe quelles vaches, des charolaises, s’il-te-plaît! En plus, tu pourras me surveiller, hein? Et aussi empêcher que de vilains messieurs m’approchent de trop près! Histoire que ton grand frère ne soit pas trop jaloux. Comme ça tout le monde y trouve son compte, n’est-ce pas?

Alex ronchonna, mais jeta un regard calculateur sur son frère. L’argument paraissait avoir fait mouche. Hervé se sentit pris au piège. Non pas que passer deux mois en tête-à-tête avec Saylan soit une perspective désagréable, mais l’idée de Saylan et ses cousins s’ennuyant à mort au milieu de vaches, fussent-elles charolaises, était tout simplement terrorisante. Qui savait ce qu’ils pouvaient inventer pour se divertir ?

Sentant qu’il avait fait le plus dur - arracher le consentement d’Alex - Saylan se rejeta en arrière sur le canapé, satisfait.

Hervé déglutit péniblement. Il n’était pas du tout convaincu que Saylan apprécie plus de deux jours sa présence, et c’était bien ça qui l’inquiétait. Ce Saylan, se disait-il, quand il a une occasion de mettre les gens mal à l’aise, il ne la rate jamais, quoique ca puisse lui coûter, et quelles qu’en soient les conséquences.

Les vacances s’annonçaient sportives.

15 jours plus tard, à bord d’un train TER bondé, Saylan et Hervé…

_ C’est coincé. On est mal !

_ Essaie encore, c’est pas possible de rester comme ca!

Essai méritant d’Hervé.

_ Je te dis que j’y arrive pas. C’est coincé. Pfff, épuisant ce truc!

_ Petite nature, va... Si je comprends bien, va falloir appeler quelqu’un?

_ Et pourquoi tu ne le ferais pas toi-même?

_ Ca va être difficile, je crois. A moins que tu me débarrasses de la tonne de truc que tu as bazardée sur moi avant d’essayer d’ouvrir cette saleté de fenêtre...

_ C’est TOI qui veut qu’on l’ouvre!

_ ... Et comme je suis côté couloir, faudrait que je te grimpe dessus, aussi. Bon, allez, laisse tomber!

Saylan passa la main sur son front, essuyant quelques gouttes de sueur. Il avait attaché ses cheveux très serré, et ne portait qu’un short blanc et un T-shirt bleu en tissu léger. Hervé était d’accord : il faisait une chaleur insoutenable dans le wagon. Ca, et les cris des mômes de la colonie de vacances quelques sièges plus loin, et le tableau était complet. Dès qu’il se fut réinstallé correctement, Saylan reversa sur lui toutes ses affaires : deux livres, un lecteur CD et trois CD, une bouteille d’eau, son ticket de train (avec justificatif), une boîte de gâteau et un paquet de chewing gum. Hervé commençait à se demander s’il n’aurait pas dû voir moins large. Saylan s’était contenté d’un baladeur. Terrassé par la chaleur, celui-ci ne tarda pas à s’endormir quelques minutes plus tard, la tête glissant dangereusement jusque sur l’épaule gauche d’Hervé.

L’avantage quand il fait chaud, c’est que piquer un fard passe inaperçu.

Hervé se recala dans son fauteuil tout en tâchant de ne pas prêter attention à la proximité physique de Saylan. Il se considérait comme " guéri ", mais la présence du jeune homme le mettait toujours légèrement mal à l’aise, comme s’il en aurait fallu de peu pour faire basculer bien des choses. Et lorsqu’il était en présence de Saylan, il s’efforçait d’être assez rude, de parler sans prendre de gants, pour mieux s’affirmer face à lui et maîtriser ses sentiments encore mal assurés. Parler haut et fort le rassurait. Ca lui évitait de penser, de réfléchir à ce qu’il disait. Le casque enfoncé sur les oreilles, Hervé tenta de se souvenir de ce que Raphaël leur avait dit avant leur départ. Il avait dit qu’ils les attendraient sur le quai de la gare, toute la smala moins la mère et la grand-mère, qui étaient parties il ne savait où pour quelques jours, et devaient revenir le lendemain. Puis il songea, avac un sourire involontaire, à la façon dont Alex avait convaincu ses parents de le laisser partir. Son frère s’était débrouillé comme un chef. Il savait mentir, celui-là. Pas étonnant qu’il ait réussi à cacher sa relation avec Saylan pendant si longtemps.

La masse sur son épaule remua, et Saylan se réveilla.

_ Né arrivés?, bafouilla-t-il les yeux dans le vague. " Gé d’rmi comb’ d’temps?

_ A peine 20 minutes. Il reste encore deux heures de trajet, fit Hervé en consultant sa montre, et à son grand soulagement Saylan décolla sa tête de son épaule, se remis en position assise à peu près correctement, et se rendormit aussitôt.

Hervé crut qu’il allait mourir de chaleur et d’ennui au cours de l’heure et demie qui suivit. Lorsque Saylan émergea, frais et dispos, Hervé était quant à lui dans un état avoisinant une cocotte minute en fin de parcours.

Un Saylan tout collant de sueur lui passa une main dans les cheveux, une geste très doux et très amical, qui le chamboula des pieds à la tête.

_ Calme toi, on est presque arrivé. Ca ira mieux dès qu’on sera sorti du train, tu verras. Je suis sûr qu’on va passer de bonnes vacances.

Quelques minutes plus tard, le conducteur annonçait enfin leur destination.

Sur le quai de la gare, ils furent accueillis par les jumeaux, Angélique et Michel, chacun sirotant une boisson fraîche (et, dans le cas de Gabriel, avec une paille).

_ Alors mes chéris, vous avez fait bon voyage??, les apostropha Angélique en leur sautant au cou.

Hervé battit précipitamment en retraite tandis que Saylan écartait la jeune fille avec douceur.

_ On meurt de soif!, s’exclama-t-il, et aussitôt, deux canettes firent leur apparition comme par magie. Hervé prit celle que Michel lui tendait, et Saylan accepta celle d’Angélique.

Puis ils quittèrent la gare pour rejoindre la voiture de l’un des jumeaux garée quelques rues plus loin. Hervé se sentait mal à l’aise au milieu de cette petite foule bruyante, alors que Saylan, de façon surprenante, paraissait comme un poisson dans l’eau, souriant et de bonne humeur. Il regrettait d’être venu. .Il n’avait vraiment rien à faire là.

_ Et alors évidemment, tu imagines la tête de Michel lorsque l’autre lui a sorti ca...

Tout le monde autour de la table explosa de rire, à part Michel, qui se contenta de soupirer avec affectation.

La soirée se déroulait à merveille.

L’un des jumeaux les avait conduit jusque chez eux, une grande maison bourgeoise construite dans un petit hameau à l’écart de la ville, entourée d’un vaste jardin dont seul quelques dizaines de mètres carrés semblaient entretenus. C’était une maison de famille, du côté de leur mère, leur expliqua Michel. Elle avait été habitée sans discontinuer depuis sa construction, au milieu du XIXème siècle, mais comme fort peu de travaux avaient été entrepris par les générations précédentes, l’intérieur était un peu décevant. Certes, la maison disposait de tout le confort moderne, mais dans certaines pièces, la couleur des papiers peints avait passé, et des lézardes couraient dans presque tous les murs. Plusieurs tuiles s’étaient envolées lors de la tempête de l’année précédente, et n’avaient pas été correctement remplacées, occasionnant des fuites d’eau dans les chambres du deuxième étage lors de pluies violentes. Le grenier n’était pas aménagé.

Au temps de sa splendeur, la maison avait dû être magnifique, une riche propriété, d’après les jumeaux. Elle était haute de plafond. Les nombreuses pièces (la maison comptait 7 chambres) étaient spacieuses, réparties sur les deux étages de la maison. elle rappelait un peu à Hervé l’une de leurs propriétés dans la province profonde, une vieille maison où il n’avait pas mis les pieds depuis des années. Sauf que la leur était en bien meilleur état, ne put-il s’empêcher de penser.

_ Certaines pièces sont en assez mauvais état, les avait informé Michel en leur faisant faire le tour du propriétaire. " Comme on ne les utilise pas, elles ne sont jamais chauffées, et bon, avec les fuites dans le toit... Elles font un peu chambres hantées.

Saylan avait étouffé un rire, visiblement, l’idée lui plaisait.

_ Je vous dis ça, avait continué Michel, " Parce que l’une de nos chambre est inutilisable. Enfin, sauf si la chasse aux fantômes vous tente, bien sûr! Alors donc, il y a une chambre d’amis de libre, et la mienne. On s’est mis d’accord entre nous.

_ Et tu vas dormir où?, s’était inquiété Saylan

_ Chez les jumeaux ce soir, et si j’en ai marre, chez Angélique, et au pire, y a toujours le salon ou l’un des petits cabinets de travail... Vous en faites pas pour moi.

Finalement, Hervé s’était retrouvé désigné pour dormir dans la chambre de Michel, à son grand déplaisir. Il préférait encore dormir dans une chambre froide et triste plutôt que dans celle de quelqu’un d’autre. Cependant, il ne voulait pas vexer le garçon qui, après tout, se gênait pour eux, et il fit bonne figure.

Saylan avait eu de nombreux contacts avec ses cousins durant ces 15 derniers jours, et visiblement, malgré les quelques difficultés rencontrées au départ, le courant passait bien entre eux.

Le repas, pris en commun, s’était prolongé tard dans la nuit, Angélique ayant visiblement décidé de raconter tous les déboires advenus (et ils étaient nombreux) à son frère Michel. Celui-ci l’avait très mal pris bien sûr, et le repas avait failli tourner à la bagarre, à la grande joie de Saylan et des jumeaux, visiblement habitués à de telles disputes.

Hervé était monté se coucher vers 2 heures du matin très fatigué, mais plutôt content et repus de rires. Comme sa chambre était en face de celle de Saylan, ils se dirent au revoir sur le pas de leurs portes respectives.

_ Ca se passe bien?, lui avait demandé Saylan tout en se frottant les yeux. " Tu ne regrettes pas d’être venu?

_ Ca va, pour l’instant, ca va.

Hervé était rentré dans sa chambre, comme toujours touché lorsque Saylan faisait preuve de sollicitude. Il jeta à peine un coup d’oeil à " sa " chambre, avisa le grand lit trônant au milieu, ôta ses vêtements en vitesse et se jeta dessus, sombrant dans les bras de Morphée.

Le lendemain, Hervé se réveilla en territoire inconnu. Désorienté, la panique le gagna pendant quelques instants avant que les souvenirs de la veille ne reviennent à lui. Il regarda la chambre autour de lui. Elle était vaste, meublée semblait-il avec acharnement : les meubles étaient entassés les uns sur les autres, une armoire normande à côté d’un vieux bureau, lui-même accolé à un secrétaire...

La chambre de Michel ne comptait pas moins de deux armoires et de trois bureaux, ces derniers surchargés de feuilles, papiers, livres et babioles à ne plus savoir qu’en faire. L’un d’eux, pour autant qu’Hervé put en juger car peu de lumière filtrait à travers les rideaux, était une table de travail, sans doute une table à dessin.

Hervé tâtonna pour trouver sa montre sur la table de chevet, renversant au passage une petite pile de livres. Il n’était que 9 heures, il ne pensait pas qu’il était si tôt.

Il se leva malgré tout, jetant ses pieds hors du lit d’un geste décidé. Le contact du tapis épais sur sa peau le surprit. Il ne l’avait pas remarqué la veille.

Mal réveillé, il s’achemina vers la salle de bain au bout du couloir. Il avait beau tendre l’oreille, aucun bruit de lui parvenait ni du deuxième étage ni du rez de chaussée. Il devait être le premier debout. Il se lava et s’habilla, retourna dans la chambre de Michel pour ranger ses affaires, ouvrir les rideaux et faire le lit. Puis il regarda sa montre : 9h30. Il jeta un coup d’oeil aux livres de Michel histoire de passer le temps, tendant l’oreille pour percevoir le moindre signe de remue ménage, mais les bouquins qu’il osa prendre en main (c’est-à-dire ceux qui n’étaient pas équilibre instable sur un coin de table ou en haut d’une armoire) traitaient de sujets le barbant particulièrement. Il tenta néanmoins de s’intéresser à un ouvrage sur la musique, abondamment annoté par son propriétaire, mais se lassa rapidement.

Il commençait à s’ennuyer ferme quand il crut entendre du bruit venant de l’extérieur. En fait, c’était une sonnerie, celle d’un réveil peut-être, qui paraissait venir de la chambre de Saylan. Enfin il allait avoir un peu de compagnie!

Il bondit hors de sa chambre, et jaillit dans celle de Saylan avec entrain. Il s’arrêta net en voyant que visiblement il dérangeait, et pas qu’un peu. Saylan était réveillé - enfin, si l’on veut!

Il avait allumé une petite lampe de chevet, qui éclairait tout juste un côté du lit. Les volets et les rideaux étaient clos. Le jeune homme était toujours couché, sur le flanc, l’air ensommeillé, et tenait contre son oreille un téléphone portable. Saylan cligna des yeux, avisant Hervé qui se tenait là, coît pour changer.

_ Ah, salut... quesskya? (puis, à son interlocuteur) Non, non, c’est rien (à Hervé) Tu veux quelque chose? Frapper à la porte, on t’a jamais appris ?

_ Euh... excuse-moi, je croyais que tu étais réveillé!

_ C’est à cause de cette sonnerie, commenta placidement Saylan tout en se recroquevillant en chien de fusil, comme s’il allait se rendormir immédiatement, le téléphone greffé à l’oreille. Il se frotta les yeux et s’étira un peu.

C’était ce qui empêchait Hervé de se sentir vraiment à l’aise avec Saylan, cette sensualité qui irradiait de lui quoiqu’il fasse.

La conversation (le monologue?) devait d’ailleurs avoir repris au téléphone, parce que Saylan marmonnait des " hum ", ou des " hum hum " endormis.

Au moment où, se sentant définitivement de trop Hervé s’apprêtait à battre en retraite, Saylan enchaîna sur un " Salut " ensommeillé, et raccrocha son téléphone. Il enfouit son visage dans son oreiller, ronronnant presque, et laissa glisser le portable du bout de ses doigts au bas du lit.

Il releva brutalement la tête, les cheveux tout ébouriffés, les yeux dans le vague, se souvenant soudain de la présence d’Hervé.

_ Il est quelle heure?

_ Un peu plus de 9h30 je crois... euh, t’as bien dormi?

Saylan se retourna dans son lit et répondit :

_ Je me suis endormi vers 4 heures mais ca ira. Les autres sont déjà levés?

_ Non, pas encore je crois...

_ Je vais essayer de me rendormir alors, si ca te dérange pas, fit-il en éteignant la lampe de chevet. " T’as qu’à me réveiller quand les autres sont debout, ok?

_ C’était mon frère, au téléphone?, ne put s’empêcher de demander Hervé. " Je savais pas que t’avais un portable.

Saylan ne ralluma pas la lumière, mais Hervé sentit qu’il changeait de position, roulant sur le dos :

_ A vrai dire, jusqu’à avant hier, moi non plus je ne le savais pas! C’est un cadeau. Et non, c’était pas Alex.

_ C’était un ami?, insista Hervé

_ Non, le pape! Hervé, espèce de concierge, t’as jamais fini de poser des question ? Tu vas me laisser dormir oui ou non? C’est pas possible d’être aussi indiscret, marmonna-t-il avant de rabattre le drap sur lui.

_ Bon, c’est bon, céda Hervé, levant les bras, " Je me rends! Bonne nuit! Je retourne m’ennuyer tout seul!

Cette fois-ci, Saylan ralluma sa lampe de chevet. Il se retourna et s’assit dans le lit, ses cheveux complètement décoiffés lui retombant dans les yeux. Il les chassa d’un geste vif avant de parler :

_ Bon, qu’est-ce que tu veux?

Pris d’une impulsion subite, Hervé vint s’asseoir sur le lit au côté de Saylan. Cette scène lui en rappela une autre, arrivée quelques mois plus tôt, lorsqu’il avait passé cette mémorable nuit chez Alex, et où il avait surpris Saylan au téléphone, tôt le matin... La coïncidence était amusante.

Saylan avait ramené ses genoux contre sa poitrine, et le regardait avec un peu d’agacement, attendant qu’il commence à parler.

_ Je m’ennuie, avoua Hervé, s’attirant un regard de pitié de Saylan.

_ Et qu’est-ce que tu veux que j’y fasse? Faut que je te chante une berceuse?

Hervé se contenta de regarder ailleurs, mal à l’aise. Il sentait que Saylan commençait à être agacé.

_ T’as une idée de ce qu’on va faire aujourd’hui?, finit-il par demander

_ Rencontrer ma tante et ma grand-mère, je suppose. Tu avais déjà oublié?

_ Excuse-moi.

_ Tiens, ça faisait longtemps que tu t’étais pas excusé.

_ ...

_ ...

_ ...

_ J’ai le droit de me rendormir maintenant?

_ Fais ce que tu veux, je m’en fiche!, jeta Hervé en se levant précipitamment.

Il allait marcher vers la porte, prêt à effectuer une sortie tout en dignité, quand Saylan agrippa un bout de son T-shirt, manquant de le faire trébucher.

_ Mais quel gamin..., marmonna le rouquin, " Pourquoi tu montes toujours sur tes grands chevaux?

Hervé se hérissa, mais décida en dernier recours que se mettre en colère serait ridicule. Il se contenta de répondre :

_ Parce que toi, tu ne montes jamais sur tes grands chevaux?

Il était venu se rasseoir sur le lit à côté de Saylan, et il ne s’en était même pas rendu compte.

Le jeune homme rit, tout en se poussant pour lui faire un peu de place :

_ Moi, ce n’est pas pareil.

Hervé aurait bien aimé savoir en quoi ce n’était pas pareil. Il allait poser la question lorsqu’il vit que Saylan le regardait, amusé, plissant ses yeux vers avec malice. Il sourit à son tour, et se sentant plein d’audace, alla jusqu’à tirer délicatement une mèche rousse qui bouclait paresseusement près de son oreille gauche, comme il avait parfois vu Alex le faire en guise d’affectueuse représaille. Saylan cligna des yeux, ne dit rien mais rejeta ses cheveux en arrière d’un geste languide et très doux. Assis près de lui, Hervé sentait son odeur, qui conservait toujours cette étrange qualité chaude et sucrée, mêlée à toutes les odeurs du sommeil et de la nuit, plus capiteuses. C’était agréable. Enivrant, presque.

Saylan le regarda quelques instants en silence, se demandant sans doute s’il allait avoir la gentillesse de s’en aller. Mais Hervé était décidé à ne pas bouger d’un millimètre. Il était bien ici, il allait y rester.

_ Bon..., conclut lentement Saylan, " Comme je vois que tu vas pas me laisser finir ma nuit tranquille, j’ai qu’à me lever, c’est ca??

_ Quelque chose comme ca. Mais c’est toi qui vois, bien sûr, répondit Hervé tout en jubilant intérieurement.

_ Bien sûr, marmonna Saylan d’un ton faussement agacé, " Incroyable la force de persuasion de ces petits sauvageons! Plus aucun respect pour leurs aînés!!

Il se frotta une dernière fois les yeux, soupira, et repoussa les draps pour sortir du lit.

_ Mais te réjouis pas trop vite, ajouta-t-il d’un ton railleur, " C’est toi qui va payer si je suis de mauvaise humeur aujourd’hui!!

Malgré ses menaces, Saylan fut d'excellente humeur.

Comme prévu, sa tante et sa grand-mère revinrent de leur voyage, et l'

accueillirent à bras ouverts. La tante, Catherine, plut beaucoup à Hervé.

Elle était drôle et vive, très expansive, comme si elle rattrapait le temps

perdu à trimer pour élever ses quatre enfants. La grand-mère Annie, par

contre, lui fit une impression bizarre. Elle avait l'air de sans cesse

remâcher de sombres arrières pensées à chaque fois qu'elle adressait la

parole à quelqu'un d'autre que le chat de la maisonnée. Hervé se sentait mal

à l'aise en sa présence, comme s'il était surveillé. Elle n'était pourtant

ni désagréable, ni inhospitalière. Etrange. Elle allait souvent trouver

Saylan avec qui elle parlait de longues heures. Sans doute évoquaient-ils le

passé, tous les deux.

Une semaine s'écoula. Il apprit à mieux connaître Saylan, et également ses

cousins. Les jumeaux étaient rarement à la maison, ils avaient dégotés un

job d'été quelque part dans la campagne profonde et étaient de corvée tous

les jours tôt le matin. Angélique, qui était visiblement le cerveau de la

famille, se reposait de son année scolaire en paressant au lit tous les

jours jusqu'à midi (elle disait que c'était sa technique à elle pour rester

jeune et belle, et dans ces moments-là, Saylan la considérait avec un

mélange de respect béat et de profonde jalousie, lui qui, comme Hervé avait

fini par le constater, avait souvent un sommeil très perturbé). Quant à

Michel, s'il avait comme Angélique une langue acerbe et bien pendue, il s'

avéra rapidement un compagnon agréable. Il aimait beaucoup peindre, mais

comme il refusait d'être regardé pendant qu'il oeuvrait, de longues journées

s'écoulaient sans qu'il pointe le bout de son nez. Résultat, Hervé se

retrouva à passer pas mal de temps avec Saylan, du moins quand celui-ci ne

partait pas faire de grandes promenades tout seul. La plupart du temps,

lorsqu'ils étaient ensemble, ils ne se parlaient pas. Hervé avait fini par

comprendre que ça ne gênait pas le jeune homme, au contraire. Il leur

arrivait de passer une après-midi entière assis dans une flaque de soleil au

bord d'un plan d'eau, en silence. Il appréciait décidément beaucoup Saylan.

Il était heureux de le connaître.

Le soir, ils se retrouvaient tous ensemble autour du dîner, qui prenait,

malgré la présence de deux adultes, plus souvent le tour d'un match de boxe

entre Angélique et Michel que celui d'un paisible dîner familial. Alex

passait de temps en temps un coup de fil de Londres, mais il avait l'air d'

être pas mal occupé. Quant à Saylan, il était, chose étonnante pour Hervé,

toujours de bonne humeur. Il était si joyeux et content d'être là que ça lui

en paraissait presque bizarre. Ca le rassura presque de voir un matin

débarquer dans le salon un Saylan au sourcil sévère.

_ Y a quelque chose qui ne va pas?, demanda tout de suite Angélique, qui de

surprise, en cessa quelques secondes de tirer les cheveux de son frère.

Saylan secoua la tête.

_ Pas de problème, répondit-il, mais son mécontentement se lisait à des

lieux à la ronde. A vrai dire, cela faisait quelques jours qu'il semblait

avoir des soucis, mais personne n'y avait vraiment prêté attention jusque

là.

Le soir, Hervé se décida à investiguer quelque peu histoire de savoir ce

qui clochait. Il devait retourner chez lui le surlendemain, et il n'avait

pas envie de partir sachant que Saylan en avait gros sur le coeur. Lorsqu'il

entra dans sa chambre, il le vit qui jetait sur sa table de chevet son

portable d'un air rageur.

_ Qu'est-ce qui t'énerve comme ca?, demanda-t-il à brûle-pourpoint. " Ton

portable marche pas?

_ Y a personne qui répond, déclara-t-il se s'écroulant sur son lit, le

regard au plafond " Depuis deux jours. Ca m'étonne.

_ Qui est-ce que tu appelais? Isa?

_ Non. Christian, tu sais? Mon prof. Tu l'as rencontré lors de mon

déménagement.

_ Ah.

A sa grande surprise, Hervé sentit un fort sentiment de malaise naître en

lui. Drabant lui avait semblé être quelqu'un de bien dès le départ, et

pourtant... ca faisait une drôle d'impression quand Saylan parlait de lui. C

'était peut-être parce que, comme le disait Isa, Drabant avait été son seul

protecteur durant des années, et que le jeune garçon en était venu à l'aimer

comme un père ou un grand frère, mais il en parlait vraiment bizarrement,

avec un mélange de familiarité presque insolente et de tendre respect. Il

lui avait aussi semblé comprendre qu'Alex n'aimait pas beaucoup cet homme,

même s'il n'était jamais allé jusqu'à le lui dire explicitement. Cela le

troublait vraiment, et il était un peu jaloux de voir quelqu'un qu'il ne

connaissait pas tenir autant de place dans la vie de Saylan.

_ Je trouve ça vraiment bizarre qu'il ne soit pas là..., murmura Saylan, le

regard dans le vague.

_ Tu appelleras ce soir, et tu verras qu'il sera là. Ne t'en fais pas, lui

conseilla-t-il sans grand enthousiasme.

Et le soir venu, une fois le dîner achevé, le premier geste de Saylan avait

été de monter dans sa chambre et de saisir son téléphone.

Indiscret une fois de plus, Hervé se glissa dans la chambre. Saylan, l'

écouteur collé sur l'oreille, l'avait vu et allait lui dire de sortir (au vu

de son expression outragée), quand son interlocuteur décrocha.

_ Allô Chr... oui?

La voix de Saylan avait baissé de deux tons sur ce dernier mot. Il avait l'

air tellement saisi qu'il en avait oublié la présence d'Hervé.

_ Euh... j'ai dû me tromper de numéro Madame, excusez-m... comment? Oui, c'

est ça. Je... je suis Saylan, un de ses anciens élèves. Excusez-moi mais

vous êtes? Ah, d'accord. Et qu'est-ce que... Comment?!?!

La brusquerie de son ton avait fait sursauter Hervé, qui observa de

singuliers changements de pigmentation sur les joues de Saylan, qui de rose

avaient viré à une intéressante couleur plâtreuse avant de repasser au

cramoisi quasi instantanément. Amusant. Comme de nombreux roux, il avait la

peau si sensible que chaque changement d'humeur se traduisait instantanément

sur son épiderme. Hervé nota avec un peu de gêne que sa rougeur s'étendait

jusque sur son cou comme une brûlure. Etrangement, observer cela le faisait

se sentir voyeur, encore plus que lorsqu'il avait surpris Saylan et son

frère en train de s'embrasser.

La voix saccadée de Saylan le ramena sur terre. Mais il avait quelque peu

perdu le fil.

_ Quelle gravité exactement? Mais je ne comprends pas comment... oui...

oui... ah bon? Oh, bien sûr...

S'en suivirent quelques dizaines de secondes de quasi silence. Saylan

tentait de parler, mais la femme, à l'autre bout, ne lui laissait pas en

placer une. Finalement :

_ C'est vrai? Oh, c'est une chance inouïe, vraiment... oui, absolument. Je

pourrais avoir le numéro? (tâtonne à l'aveuglette pour trouver papier et

crayon) Oui... oui, d'accord, je vous remercie. Oui, je vais essayer.

Pourriez vous lui dire en tout cas que j'ai appelé et qu'il ... ouiii (l'

agacement, déjà, qui renaît de ses cendres, quelles que soient les

circonstances !), j'ai bien compris. Mais oui... Non. Non, je vous assure...

Mais n'ayez pas... Oui, oui oui... Merci Madame. Oui, c'est ça. Bon courage,

et au revoir.

Saylan raccrocha avec un soupir de soulagement.

_ Non mais quel flicage en règle?? Je comprends qu'il me l'ait jamais

présentée!

_ De qui tu parles?, demanda Hervé d'un ton un peu brusque, et Saylan

sursauta comme s'il avait été pris en faute, ayant visiblement tout oublié

de sa présence.

_ T'as tout entendu? T'es pas gêné dis donc. Tu...

_ Il s'est passé quelque chose de grave? Tu avais l'air mal à l'aise.

Saylan avait l'air un peu trop retourné pour commencer un pugilat verbal,

il attrapa donc la perche que lui lançait Hervé avec une certaine

reconnaissance.

_ ... mon ami Christian, tu sais?...

_ Oui? Il n'était pas chez lui, c'était une femme à la place ? C'est ca ?

_ Sa mère. Il a eu un accident, et il est à l'hôpital.

_ Et c'est grave?

_ Non. Enfin... c'était pas bien clair ses explications. Mais d'après ce que

j'ai compris, il est parfaitement conscient et en un seul morceau

visiblement valide. Dieu merci!, murmura Saylan avec un authentique

soulagement.

_ J'aimerais bien remonter pour aller le voir. Ce serait la moindre des

choses, non?, continua-t-il, en quête d'approbation.

Hervé ne dit rien. Il n'avait pas d'opinion sur la question.

_ Tu devais repartir dans deux jours, c'est ça?, continua à monologuer

Saylan. " Je pourrais repartir avec toi, ça te dérangerait? On pourrait même

partir demain matin en fait...

_ Pourquoi on avancerait mon départ?, coupa Hervé " S'il est hors de danger,

y a pas de raison de se presser.

Saylan le regarda un peu durement, avant d'expliquer :

_ Je m'inquiète, c'est tout. J'y peux rien.

Il se poussa, assis, à un bout du lit et fit signe à Hervé de venir s'

asseoir en face de lui. Une fois installés tous les deux, Saylan reprit :

_ Tu ne le connais pas bien, alors tu ne peux pas savoir à quel point c'est

quelqu'un de bien. J'ai eu tellement peur quand sa mère a dit qu'il était à

l'hôpital. C'était comme si... c'était vraiment terrible!

_ Plus que si c'était arrivé à Alex, par exemple?

Saylan, qui jusque là avait parlé avec animation, s'arrêta net, le fusilla

du regard, et reprit sur un ton beaucoup plus froid :

_ Ca n'a rien à voir! Comment tu peux les comparer? Tu devrais avoir honte

de dire des choses pareilles, tiens!

Saylan sauta à bas du lit, et s'avança vers la porte

_ Je vais dire à Catherine et Annie que je m'absente quelques jours à partir

de demain. Tu fais ce que tu veux.

Le lendemain matin, Saylan ET Hervé étaient dans le train du retour.

_ Tu vas rester en ville combien de temps?, demanda Hervé à Saylan qui

depuis plusieurs heures ne tenait plus en place " Juste aujourd'hui?

_ Sais pas. Je verrai.

_ Il vaut mieux ne pas faire attendre ta famille trop longtemps.

_ Christian est aussi de ma famille. Bien plus que si on avait le même sang.

Devant ses mots définitifs, Hervé se tut, et le voyage se fit en silence,

jusqu'à ce que, à quelques minutes de l'arrivée, Hervé ne déclare :

_ Et si je t'accompagnais à l'hôpital? Ca devrait lui faire plaisir d'avoir

un peu de visite supplémentaire, tu ne crois pas?

_ ...

_ Non? Après tout, autant qu'il ait autant de voeux de rétablissement que

possible!

_ Ok, d'accord...

Hervé avait rarement vu Saylan si peu enthousiaste!

Saylan conduisit Hervé jusqu'à l'hôpital.

_ Tiens, bonjour Saylan !, le salua une infirmière. " Comment vas-tu ?

_ Ca va, merci, répondit-il avec un sourire. " Je viens voir un ami.

Christian Drabant. Est-ce que vous pourriez m'indiquer sa chambre ?

L'infirmière les guida à travers les couloirs, causant de choses et d'autres

avec Saylan.

Finalement, ils arrivèrent devant une porte à la peinture orange absolument

hideuse.

_ Voilà, c'est ici, dit-elle. " Je vous laisse, ne le fatiguez pas trop.

Avant de frapper, Saylan jeta un dernier regard froid à Hervé, qui déglutit.

Puis il cogna trois coups énergiques.

_ Entrez, répondirent en même temps une vois masculine jeune, et une voix

féminine cassée.

Saylan poussa la porte. La chambre était inondée de soleil, et tout d'abord,

Hervé eut du mal à distinguer les deux silhouettes qui s'offraient à lui.

Il cligna deux ou trois fois des yeux, et finit par localiser Drabant, assis

dans son lit, l'air stupéfait de les voir ici, et une femme âgée, très bien

habillée, installée sur une chaise à ses côtés.

_ Saylan !, eut le temps de murmurer Drabant avant que la femme ne se lève

et ne prenne l'initiative.

_ Ah, vous êtes le petit jeune homme qui a téléphoné hier soir, c'est cela ?

Je suis la mère de Christian.

Saylan acquiesça, muet, des vagues d'hostilité émanant de lui. Il tendit sa

main avec réticence. La femme s'était embarquée dans un monologue qui

rappela à Hervé de douloureux souvenirs de thés chez ses parents, quand

toutes les tantes et oncles de ses parents étaient réunis. Son discours

était un subtil entrelacs de gentillesse et d'aigreur, difficile à supporter

sans se hérisser, mais jamais assez clair pour permettre de lui répondre

vertement. En quelques phrases, elle avait réussi à se féliciter de la

chance de son fils et à insinuer qu'il n'aurait pas dû s'en tirer à si bon

compte, et à remercier Saylan mais à lui faire comprendre que sa présence

ici même était incongrue sinon malséante. Le tout enrobé dans un langage

sucré. La vieille posait à présent son regard de serpent sur Hervé, mais

Drabant coupa court :

_ Allons, ca suffit ! Vous ne voyez pas que vous les mettez mal à l'aise ?

Elle s'arrêta aussitôt ; fusilla son fils du regard, et décréta qu'il était

tard et qu'elle rentrait, d'ailleurs son mari devait l'attendre, et elle le

laissait seul avec ses deux " amis ". Elle ferma la porte avec fracas, et le

bruit de ses talons hauts résonna pendant quelques secondes dans le couloir.

Dans la chambre, tous trois poussèrent un soupir de soulagement. Saylan s'

avança enfin et vint s'asseoir sur le lit :

_ Comment ca va ?

_ Mieux ! Mais Saylan. et Hervé, c'est ca ? Si je m'attendais à vous voir

ici ! !, répondit Drabant avec un large sourire, qui contrastait avec son

teint un peu pâlichon.

_ J'étais trop inquiet, ronronna Saylan, yeux mi-clos, se rapprochant un peu

plus de lui, et Hervé lui jeta un regard ahuri.

Non mais ça lui prenait souvent de causer comme ca à ses ex-profs ? Il se

rendait compte du ton qu'il employait ? C'était tout simplement. pas

convenable !

Drabant, qui avait perçu la gêné d'Hervé, souriait toujours, un peu

nerveusement cette fois-ci.

_ Je n'ai rien de grave tu sais. Ce n'était pas la peine de t'affoler.

Saylan se contenta d'un sourire ambigu, et toucha du bout des doigts le

pansement qui courait sur le maxillaire gauche de Drabant.

_ Ca vous fait mal ?

_ C'est juste une égratignure. J'ai eu de la chance. C'est ma main gauche

qui a le plus souffert.

_ Ta. Votre mère m'a dit que vous aviez trois doigts cassés. Et des

égratignures partout. Vous allez rester combien de temps à l'hôpital ?

_ Je sors demain. Tu n'a vraiment aucune raison de t'inquiéter. Tu n'aurais

pas dû interrompre tes vacances pour si peu.

Drabant hocha les épaules avec désinvolture, mais Hervé pouvait voir que

dans le fond il était très content de la situation. Une infirmière passa la

tête par la porte, les informant que les heures de visite touchaient à leur

fin. Saylan se leva, quittant sa place sur le lit d'hôpital.

_ Tu dors chez Alex ce soir ?, demanda Drabant, et Saylan acquiesça.

_ A quelle heure vous sortez demain ? Je peux venir vous voir ?

_ Mes parents seront là. ils logent chez moi depuis l'accident. Tu n'as

peut-être pas très envie de les voir, l'avertit Drabant, et le jeune garçon

fit une grimace mi amusée mi contrariée.

_ Je vais être dans le coin quelques jours, continua Saylan en souriant,

Alors quand vous aurez un moment, dites-le moi. Je suis vraiment tellement

soulagé que vous ne soyez pas plus blessé ! !

_ D'accord.

C'était le moment de sonner la retraite. Hervé eut tout juste le temps d'

adresser tous ses voux de rétablissement à Drabant avant que Saylan ne le

guide vers la sortie, envoyant au passage à son professeur un dernier

sourire ravageur.

Une fois la porte close, Hervé se dégagea brutalement de l'étreinte de

Saylan, qui l'avait fermement saisi par le bras pour l'entraîner plus vite

dehors.

_ Ben t'as l'air rassuré, visiblement ! C'était bien de toi d'en faire un

fromage!, lâcha-t-il sans même y penser.

_ Quoi ?, demanda un Saylan plongé dans ses pensées.

_ Rien, rien., répondit Hervé, s'en mordant les doigts.

S'il avait été un petit peu plus sûr de lui, il lui aurait dit ce qu'il

pensait de son comportement, mais il sentait confusément qu'il n'arriverait

pas à être clair et que Saylan finirait par se moquer de lui, comme de

coutume.

_ T'es drôlement familier avec lui, finit-il quand même par dire, sans

pouvoir s'en empêcher.

_ Ah bon, tu trouves ?, questionna Saylan distraitement. " Je ne sais pas.

_ Oh, laisse tomber ! C'est pas important.

Saylan ne dit rien, et ils cheminèrent tout doucement jusque vers l'

appartement d'Alex.

_ Je vais dormir ici, annonça Hervé une fois qu'ils eurent atteint la porte.

Il n'avait pas prévenu ses parents qu'il rentrait un jour plus tôt. Et tant

pis si ça ne plaisait pas à Saylan !

_ Tant mieux !, s'exclama celui-ci à sa grande surprise. " J'ai horreur de

dormir dans un appartement vide ! Tiens, d'ailleurs, ça te dirait qu'on

sorte un peu ce soir ? Aller au cinéma ou boire un verre. Retrouver la

civilisation après des jours et des jours d'exil, quoi !

La proposition, enthousiaste, prit Hervé de court. Mais il céda de bon

cour. Lui aussi, il en avait marre de passer ses soirées à contempler les

vaches charolaises ! !

Tard dans la nuit.

Hervé considéra qu'il était peut-être temps de ramener Saylan au bercail. Il

trouvait qu'il babillait avec une ardeur suspecte. Comme Hervé avait l'air

plus âgé qu'il ne l'était vraiment, ils avaient pu aller dans un bar et

commander de l'alcool sans problème. La soirée s'était très bien passée,

Saylan avait été bavard et dynamique, mais là, Hervé trouvait qu'il devenait

trop bavard et trop dynamique. Et puis il riait un peu fort aussi, s'

attirant des regards alternativement irrités ou indulgents, et même, au

grand choc d'Hervé qui n'était pas habitué à ce genre d'environnement,

ouvertement appréciateurs. Et puis disons qu'il trouvait que pas mal de gens

avaient tendance à frôler leur table de plus près que nécessaire. Lui-même

avait surpris à son endroit quelques regards jaloux et tout sauf amicaux. Vu

l'état de Saylan, il était grand temps de partir. Il commençait à rigoler

avec le premier venu, et ça ne présageait rien de bon. Hervé tenta de le

déloger une fois, puis deux fois, avant de réaliser que lui-même était un

peu chargé. Il avait un peu de mal à coordonner ses mouvements. C'était l'

une des premières fois qu'il buvait comme ca, et il découvrait tout un tas

de sensations éblouissantes. Les lumières étaient plus vives que de coutume,

les sons plus aiguisés, et depuis quelques minutes, il n'arrivait pas à

détacher son regard d'un jeu de lumière sur les cheveux roux de Saylan. C'

était absolument. fascinant. Saylan lui dit quelque chose, il y répondit

sans bien savoir ce qu'il racontait, et l'instant d'après il se retrouvait

avec un Saylan mort de rire en face de lui, affalé la tête entre les mains

sur la table poisseuse. Au bout de quelques secondes, Saylan finit par se

relever, les yeux mouillés de larmes, et recommença à parler, sans que Hervé

n'arrive à se concentrer pour comprendre ce qu'il disait au milieu du bruit

tonitruant qui émanait de tous les coins du bar.

Il parvint à focaliser après quelques instants. Saylan était toujours à

moitié affalé sur la table, et parlait avec animation, les yeux luisants et

le carmin de ses joues très prononcé, un sourire taquin aux lèvres.

_ . et alors Chris s'est carrément foutu en colère, j'ai jamais eu aussi

peur de ma vie. Ahahah, il fait encore plus peur qu'Alex quand il est en

colère. et

_ Saylan ?

_ Hum. Moui ?

_ . C'est qui Chris ?

_ Mais t'as rien suivi de ce que je t'ai raconté !, s'indigna Saylan, avant

de pouffer. " Tu es saoûl !

_ Toi aussi je te signale !

_ Oui mais moi c'était calculé ! !

_ . Ca te dirait pas qu'on rentre ? Je commence à avoir mal à la tête.

_ Il est pourtant pas tard. T'es pas habitué à boire, hein ? Allez, j'ai

pitié ! Debout tout le monde ! !

Mettant en pratique ces belles paroles, Saylan se leva, tangua quelques

instant avant de se stabiliser, et se mit en marcha vers la porte, la

démarche sûre mais quelques peu lente, suivi d'un Hervé en pas meilleur

état.

L'air frais le frappa comme une gifle. Saylan avait l'air un peu calmé

aussi. Il ne riait plus, ne disait plus rien.

Le silence qui régnait dans la rue mit Hervé mal à l'aise après le boucan du

bar. Ils commencèrent à marcher dans la nuit, Saylan légèrement en retrait.

Il luttait visiblement pour adopter une démarche digne. Trop parti pour être

encore intimidé, Hervé tendit son bras à son compagnon :

_ Tiens ! Prends le comme ca au moins tu tomberas pas !

Saylan s'y raccrocha comme à une bouée de sauvetage, déplaçant rapidement sa

prise du bras du jeune garçon à sa taille. se collant tout contre lui.

_ C'est gentil, merci., parvint-il à sortir avant de retomber dans son

mutisme.

Sans se sentir le moins du monde gêné, Hervé passa son bras autour des

épaules de Saylan, et ils revinrent en tanguant de concert jusque dans l'

appartement. De temps en temps durant le trajet de retour, Saylan lâchait

quelques phrases sibyllines, décousues, auxquelles Hervé ne comprenait rien.

Une fois passé la porte d'entrée, Saylan alla s'effondrer sur le canapé,

jambes et bras écartés. Hervé le suivit à tâtons, un peu aveuglé par la

lumière crue de la lampe de l'entrée.

_ Ca va Saylan ?, lui demanda-t-il. " Tu dors déjà ?

_ Nan, pas encore !, dit-il en se redressant comme un ressort, les cheveux

complètement ébouriffés. " Faut que je vérifie si Chris a pas appelé.

_ Mais c'est qui ca, hein ? C'est qui ?

Sans répondre, Saylan tituba vers son portable qu'il avait laissé sur la

table de la cuisine avant de partir. Il trifouilla cinq minutes avec les

touches, avant de finalement trouver la bonne combinaison et d'écouter ses

messages.

Il raccrocha satisfait, et retourna s'effondrer sur le canapé

_ T'aimes pas Chris, hein ?, demanda Saylan tout-à-trac.

_ Quoi ? Qui ca à la fin ?

Hervé alla s'affaler à ses côtés, se sentant prêt à piquer du nez d'une

seconde à l'autre.

_ Chris, Christian, enfin, tu sais bien ? ? Quand même !

_ Ah. Drabant.

_ Oui. Tu l'aimes pas beaucoup, hein ? L'est tout gentil pourtant. Tout

gentil. Alex l'aime pas beaucoup non plus d'ailleurs. Ca me rend triste.

_ Et pourquoi il l'aime pas ?, demanda Hervé.

Saylan sembla réfléchir quelques secondes avant de répondre :

_ C'est très très très bête. Très très bête toute cette histoire. Mais j'

aimerais tellement que tout soit comme si rien de tout ca n'était arrivé.

Tout serait tellement plus facile. Tout le monde aurait sa place bien

définie. Tout serait simple, et tout le monde serait content. Mais il veut

rien entendre. Il est très obstiné.

_ Mais de qui tu causes ? J'comprends rien à ce que tu racontes !

_ Et puis souvent c'est plus facile de faire ce qu'il veut, comme ça il est

content et je suis content aussi ! Mais je sais que c'est pas bien. Pas bien

du tout. Ca me gêne de le faire. Ca me rend triste. Je sais pas quoi faire

pour tout arranger.

Saylan saisit Hervé par les épaules et se mit à le secouer comme un prunier

:

_ Je sais que c'est pas bien, tu comprends, hein ? Hein ? Tu me crois ?

Hervé le repoussa sans ménagement. Il commençait à s'endormir et ce réveil

inopiné l'avait mis de très mauvaise humeur.

_ Fous moi la paix, laisse moi dormir !

Saylan lui jeta un regard désorienté :

_ Me parle pas comme ca ! Tu me parlais pas comme ca avant ! D'ailleurs, tu

me parlais pas du tout. Trop amoureux transi pour ca.

_ N'importe quoi. T'as une trop haute idée de toi-même.

Saylan parvint à hausser les épaules.

_ Fais pas le fier. Tu fais des progrès, mais je pourrais encore te paniquer

si je voulais.

Hervé s'apprêtait à hocher les épaules quand il vit le visage de Saylan se

rapprocher du sien de façon inquiétante. Il ne bougea pas, laissa le jeune

homme poser ses lèvres sur les siennes, gentiment, sans insister. Hervé,

ravi sans chercher à comprendre pourquoi, saisit le visage de Saylan entre

ses mains et plaqua brutalement leurs bouches l'une contre l'autre.

Saylan se retira aussitôt, portant la main à ses lèvres d'où perlait une

goutte de sang :

_ Non mais ca va pas ! Tu m'as mordu ! Tu sais vraiment pas embrasser ! ! !

Hervé fit des yeux piteux, il n'avait pas voulu lui faire mal. Saylan sourit

et se pencha à nouveau, et il s'embrassèrent gentiment, puis le baiser

devint plus sauvage lorsque leurs langues se touchèrent. Hervé sentit tout

son corps s'embraser, et il saisit Saylan dans ses bras, le serrant

étroitement contre lui. C'était bizarre, faire ça lui avait semblé être

quelque chose d'impossible, et pourtant, c'était si facile ! Comme dans l'un

de ses rêves, presque. Mais une fois que leurs bouches se décollèrent pour

qu'ils puissent respirer, Saylan le repoussa, scrutant son visage :

_ T'as même pas honte., marmonna-t-il en constatant que le garçon attendait

la suite des opérations avec impatience, " On t'a changé le cerveau, c'est

pas possible autrement !

Il explosa de rire, et se leva tant bien que mal, sans un regard pour Hervé

qui tentait de comprendre le brusque changement d'ambiance.

_ Allez, bonne nuit Hervé, lança Saylan tout en entrant dans la salle de

bain. " Fais de beaux rêves.

La porte se referma derrière lui, laissant Hervé tout déconfit au milieu du

salon. Il avait dû rater une station. Une minute, il avait Saylan dans ses

bras, et l'autre.

Il secoua la tête, incapable de comprendre quoi que ce soit. Bah, il verrait

bien ça demain matin, une fois l'esprit plus clair.

Finalement, sans trop savoir ce qu'il faisait, il se leva pour se diriger

vers la chambre.

Après tout, si Saylan lui avait dit de dormir. Il ôta ses vêtements et se

jeta sur le lit, s'endormant aussitôt.

Il ouvrit les yeux quelques secondes plus tard quand il sentit Saylan le

pousser brutalement pour prendre sa place.

_ J'arrive pas à déplier le canapé. et de toute façon c'est ma place ici,

dit-il en guise d'excuse, et il s'allongea à côté de lui.

_ Gnnnh ?

_ Tais toi et dors !

Hervé, dans les méandres de son cerveau embrumé, enregistra l'ordre et

replongea dans les bras de Morphée sans se faire prier.

Hervé lutta pour ouvrir les yeux. Il était si fatigué. Il avait mal au

crâne aussi, pas beaucoup, mais suffisamment pour que cela soit désagréable.

Il se retourna dans le lit, et s'installa plus confortablement. Bizarre, il

lui semblait qu'il y avait eu quelqu'un d'autre à côté de lui, quelqu'un qu'

il ne fallait pas déranger. Il ouvrit les yeux, les referma aussitôt. Ah

oui. Les souvenirs de la veille lui revinrent en mémoire, un peu flous. Il

lui semblait bien que Saylan l'avait embrassé, mais c'était tellement

bizarre, vu à la lumière du jour. Peut-être n'avait-il fait que le rêver ?

Il n'arrivait pas à s'en souvenir. Et ca valait peut-être mieux, se dit-il

avec tristesse. Il se décida à ouvrir les yeux : il était seul dans le lit.

Saylan avait dû se lever sans le réveiller. Hervé décida de profiter d'une

petite grasse matinée, il ne devait pas être trop tard. Il roula jusqu'à la

place qu'avait occupé Saylan et se rendormit.

Il grogna quand, quelques heures plus tard, il sentit une poigne énergique

le secouer

_Debout, lui dit Saylan, " Tu vas être en retard

_ Gneufffhskcjqmelr ?

_ Allez, lève-toi !

Saylan le secoua une fois de plus, avant d'essayer une autre tactique :

_ Hervé, si tu ne te lèvse pas tout de suite, je te chatouille jusqu'à ce

que mort s'en suive. Je compte jusqu'à trois.

_ Gnnnca va, ca va, je me lève ! ! ! !, lanca Hervé avec angoisse.

Tout, mais pas des chatouilles au saut du lit !

Il se mit en position assise, et jeta un coup d'oil en coin à Saylan. Il

avait l'impression d'être complètement décoiffé et d'avoir la figure à l'

envers, ça le mettait mal à l'aise.

Saylan était debout à côté du lit, les mains sur les hanches, l'air hilare.

Hervé nota brièvement qu'il portait une chemise appartenant à Alexandre.

_ Pourquoi je dois me lever ?

Saylan lui indiqua le réveil près du lit :

_ Il est presque 14 heures, tu sais. Et tu ne devais pas normalement rentrer

chez tes parents vers les 16 heures aujourd'hui, hmm ?

_ Oh, c'est pas vrai ! J'avais complètement oublié !, reconnut Hervé en

sortant du lit. " Heureusement que tu me le rappelles !

_ Mais de rien, lui répondit Saylan tout en tournant les talons, sortant de

la chambre sans un regard supplémentaire pour le jeune homme.

A en croire son comportement, visiblement, soit il ne s'était vraiment rien

passé entre eux la veille, soit il avait tout oublié, soit il s'agissait d'

un jeu dont le but échappait à Hervé. Quoiqu'il en soit, il n'avait

semble-t-il aucune raison de s'inquiéter. Sans doute, il avait tout imaginé,

le baiser très doux, et la sensation du corps de Saylan contre le sien. Il

soupira, et sortit de la chambre sans se presser. Il devait rentrer chez ses

parents : l'escapade était belle et bien finie. Il se demanda distraitement

quand Saylan allait-il repartir chez ses cousins.

Saylan, d'humeur charmante, proposa même de faire un bout de chemin en sa

compagnie. Hervé n'en demandait pas tant, et il était toujours un peu

nerveux quand Saylan était dans cette humeur : il avait fini par comprendre

que cela signifiait qu'il avait quelque chose en tête. Un Saylan de bonne

humeur était habituellement un Saylan silencieux, avait-il compris pendant

leur séjour chez les charolaises. Un Saylan volubile, c'était un Saylan avec

un projet dans sa besace. Le projet en question pouvait très bien être la

perspective d'aller lire la dernière BD de Marigni en librairie, ou bien l'

impulsion subite d'embrasser le petit frère de son compagnon. Il déglutit,

un peu stressé, mais bon, il fallait qu'il se fasse à l'idée que Saylan

fonctionnait bizarrement. Donc ils partirent ensemble, marchant dans les

rues désertes. Il faisait très chaud, et rares étaient les promeneurs.

Saylan le laissa à quelques mètres de sa maison.

_ Tu comptes rester longtemps en ville avant de repartir chez tes cousins ?,

demanda Hervé

_ Je ne sais. Quelques jours sans doute.

_ Euh. tu veux venir un moment à la maison ? Euh, boire quelque chose ?

Saylan sourit et lui tapota l'épaule :

_ Vaut mieux pas. Tes parents risqueraient de pas apprécier.

_ Ah. Mais pourtant.

Saylan lui coupa la parole :

_ Tu sais Hervé. le répète pas à ton frère, mais je crois qu'ils sont déjà

au courant pour Alex et moi, ou qu'ils se doutent de quelque chose. Ton père

en tout cas.

_ Quoi ? Mais qu'est-ce qui te fait dire ca ? Et qu'est-ce que Alex.

_ Il ne sait rien du tout, répondit Saylan en repoussant ses cheveux en

arrière d'un geste négligent " Ou il n'a pas envie de savoir. Mais comment

dire, un jour que j'étais chez vous. ca remonte bien à six ou sept mois

maintenant. disons qu'il a eu des termes assez explicites à mon égard. Pas

méchants, note bien, mais rien de tout ca n'avait l'air de lui faire

plaisir.

_ C'est pas vrai ?.

Hervé, malgré la chaleur, se sentit réfrigéré sur place.

_ D'un autre côté, je ne crois pas qu'il ait l'intention de se mêler de nos

histoires. Ce serait déjà fait sinon. En tout cas, je crois que ce ne serait

pas une bonne idée qu'on débarque tous les deux chez toi, hein ?

Hervé acquiesça, digérant péniblement le choc. Il avait l'impression qu'il

ne pourrait plus jamais regarder son père en face, comme si celui-ci avait

également percé à jour ses propres préférences.

Saylan s'en alla, lui faisant un petit geste de la main, et Hervé rentra

chez lui.

Une semaine s'écoula. Hervé avait été pas mal occupé, et il n'avait plus

beaucoup repensé à Saylan, au baiser, ni aux cousins. Il décida tout de même

d'appeler dans la Nièvre pour savoir si tout allait bien là-bas. C'était la

moindre des choses.

Au téléphone, il tomba sur Gabriel. Oui, tout allait bien, d'ailleurs, il

pouvait revenir quand il voudrait, il leur était très sympathique, par

contre, est-il qu'il pourrait demander à Saylan de leur dire quand il

rentrerait exactement ? Parce que bon, il fallait quand même qu'il leur dise

quand il faudrait venir le chercher à la gare. Quoi ? Non, non, Saylan n'

était pas encore rentré. Sans doute, il reviendrait d'un jour à l'autre.

Enfin, est-ce qu'il pouvait lui faire passer le message ?

Sur ces mots, la conversation s'acheva, Hervé contenant difficilement son

hilarité. Saylan, visiblement, rechignait à retourner dans la campagne

profonde. Il décida d'aller lui rendre une petite visite. A l'improviste,

histoire de le punir de ne l'avoir pas appelé une seule fois en une semaine

passée sur place. L'après-midi même, Hervé prit le chemin de l'appartement.

Il faisait un petit peu moins chaud, et le trajet, qu'il fit en grande

partie à pied, fut très agréable. Lorsqu'il arriva chez son frère, il sonna

une fois, deux fois, mais personne ne vint lui répondre. L'appartement était

vide.

A dire vrai, Hervé avait prévu la chose. Comme il avait décidé de passer à

l'improviste, il avait pris la précaution de se munir du double des clés de

l'appartement que possédaient ses parents : il n'avait pas l'intention de se

dessécher sur pied sur le palier à attendre le retour de Saylan si celui-ci

était absent. Il sortit son trousseau et ouvrit la porte. Une fois entré, il

ôta ses chaussures et jeta un coup d'oil à la porte de communication avec le

salon, fermée, ce qui était rare. Sans y prêter plus d'attention, il remonta

le couloir jusqu'à cette porte et la poussa d'un coup, débouchant dans le

salon. Les volets étaient seulement entrebaillés, et la pièce baignait dans

une semi pénombre. Mais quand il pénétra dans le salon, Hervé ne remarqua ni

les volets fermés ni la pénombre, juste les deux corps passionnément enlacés

allongés sur le canapé. Au bruit produit par la porte en s'ouvrant, Saylan

avait tourné la tête d'un air inquiet pour voir ce qui arrivait, et quand il

eut reconnu Hervé, son regard changea du tout au tout, clouant le jeune

garçon sur place. D'un geste brusque, il repoussa Drabant qui était allongé

sur lui et se leva, le visage contorsionné par la colère.

_ Qu'est-ce que tu fous ici ! !

_ Je. euh

La gorge nouée, Hervé n'arrivait pas à parler. Devant lui, Saylan bouillait

de fureur, enragé d'avoir été interrompu. Drabant s'était assis sur le

canapé, et rajusta sa chemise ouverte. Il ramassa ses lunettes qui

traînaient par terre et les chaussa d'un geste lent, évitant soigneusement

de regarder Hervé.

_ Va-s-y, continua Saylan, " Comment t'es rentré ici ? Qui t'a donné les

clés ?

_ Je. Mes parents.

_ Fous-moi le camp !

 

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