Partie 3

Au cours de la semaine, Hikoichi, n’ayant que le rendez-vous du samedi soir en tête, décida de finalement faire lui-même la cuisine pour Jun. Ce serait sans doute bien plus romantique et bien plus apprécié par son capitaine qu’un simple coup du fil à Pizza Hut ! Le soir, en rentrant chez lui, il consultait donc les nombreux livres de cuisine de sa mère, prenant bien garde à ce que celle-ci ne s’en aperçoive pas. Il n’avait aucune envie qu’elle vienne une fois encore mettre son nez dans ses affaires. Il finit par élaborer un petit menu apparemment fort sympathique, pas trop coûteux, et surtout pas trop difficile à réaliser. Maman Aida choyant au maximum son petit garçon, il n’avait encore jamais eu à cuisiner de sa vie et redoutait un peu le résultat. Mais bon, il se sentait motivé comme jamais ! Son premier dîner en tête-à-tête avec Jun !

Il avait prévu de faire les courses après l’entraînement du vendredi soir, il aurait ainsi tout son samedi pour s’appliquer à ses fourneaux, quitte à tout recommencer en cas de plantage important, mais les choses ne se déroulèrent bien évidemment pas comme il l’avait planifié.

En effet, le vendredi, alors qu’il entrait dans le gymnase, la voix pour une fois presque enthousiaste de Koshino l’interpella.

-Hey, Hikoichi ! ! !

Au petit trot, celui-ci se dirigea vers le groupe de joueurs qui discutait avec animation au centre du terrain. On voyait bien que l’entraîneur n’était pas encore arrivé ! Hikoichi les salua d’un petit signe de la main et se retint de gratifier Uozumi d’un sourire puis demanda :

-Qu’est-ce qu’il y Koshino ?

-Ca te dirait un karaoké après l’entraînement ? Toute l’équipe y va !

-Toute l’équipe ? interrogea-t-il en scrutant les joueurs du regard.

Tous, Jun y compris, hochèrent la tête.

Bon si Jun y allait… Hikoichi poussa un petit soupir dépité en repensant à ses courses.

-Dis, si ça t’ennuie de venir avec nous, répliqua Koshino d’une voix agacée, tu n’es pas obligé hein !

-Non, non, c’est pas ça du tout, se défendit Hikoichi, c’est juste que… euh… faut que je téléphone à ma mère pour la prévenir que je rentre tard !

-Mouais…

Une voix forte sauva Hikoichi de justesse.

-Ca suffit maintenant les bavardages ! Au travail !

L’entraîneur venait d’arriver.

Après la douche, toute l’équipe prit en riant la direction du karaoké le plus proche. Sendoh et Koshino firent un détour par le supermarché pour acheter chips et jus de fruit pour la petite troupe mais rejoignirent rapidement les autres. Ils prirent place dans l’un des plus grands box du karaoké, se serrant sur les canapés ou prenant place par terre, les courses s’étalant sur les tables basses. Pendant quelques minutes, ce ne fut que piaillements et rires, chacun bataillant pour une place près de ses plus proches amis ou cherchant dans le catalogue une chanson à son goût. Finalement, Hikoichi se retrouva coincé entre Uozumi et Sendoh. Il avait d’ailleurs bien l’impression que ce dernier ne cessait de se tasser contre lui, comme s’il voulait le pousser sur les genoux de Jun, et il ne répondait à ses coups d’œil furieux que par un grand sourire désarmant.

-Sendoooooohhhhh, grommela-t-il trop bas pour que Jun, occupé à examiner les canettes de boisson, puisse l’entendre.

-Tu veux une chips Hikoichi ? répondit celui-ci en lui tendant le paquet.

-Sendoh, je suis sérieux !

Le numéro cinq de Ryônan lui adressa un clin d’œil.

-Tu me remercieras plus tard !

-Sen…

Mais celui-ci s’était déjà retourné vers son voisin.

-Tu veux une chips Koshino ?

-Sendoh, tu n’es pas obligé de me fourrer le paquet dans la tronche !

-Oups, pardon Koshino !

Hikoichi laissa échapper un soupir. Il avait parfois du mal à comprendre son coéquipier.

-Pêche ou ananas ? lui demanda soudainement Jun.

Surpris, Hikoichi sursauta et leva les yeux vers son capitaine.

-Hein ?

Uozumi le regardait en souriant gentiment et en lui tendant deux canettes.

-Je sais que tu aimes pêche ou ananas. Tu veux laquelle ?

-Euh… pêche !

Jun la tendit la boite et effleura discrètement ses doigts du bout des siens.

-Merci, murmura Hikoichi.

Il aurait aimé poser la tête sur le bras de Jun contre lequel il était collé mais avec toute l’équipe présente… Alors tous deux s’assirent de façon très raide, avec le plus de détachement possible, fixant leurs canettes respectives.

-Bon ! s’exclama soudainement la voix autoritaire de Koshino. Qui commence ?

-C’est toujours le con qui le demande ! lança Ikegami, assis quelques mètres plus loin.

-Oh c’est très fin ça, répliqua Koshino. Et monsieur est fier de lui je suppose ?

Ikegami haussa les épaules.

-J’ai pas l’intention de chanter maintenant de toute façon, grogna Koshino.

-Oh si ! s’écria alors Sendoh en lui secouant le bras. Fais Michael Jackson, comme la fois où tu t’es mis à danser sur la table en tortillant des hanches et en te tripotant l’entrej…

-Sendoh arrête ! s’exclama Koshino, soudainement plus rouge que la crête de Sakuragi. Il est hors de question que je fasse ça !

-C’est vrai, fit remarquer Kiryu. Il est pas encore assez soul pour se laisser aller à ce point.

-De toute façon, c’est pas avec ce qu’ils nous ont ramené à boire qu’il va finir bourré ! grommela Ueda.

-C’est pas de ma faute si la vendeuse nous a demandé nos cartes d’identité ! se justifia Koshino, voyant là un bon moyen de détourner la conversation.

-La bonne excuse ! C’est plutôt parce que tu ne tiens pas l’alcool !

-C’est pas vrai !

-La fois où il nous a fait Michael Jackson, intervint alors Uozumi, pensif, c’est pas la fois où il était tellement pété qu’on a voulu le larguer dans un bar gay pour voir sa réaction après s’être réveillé le matin à côté d’un macho man en cuir ?

-Si, c’est cette fois là, confirma Ikegami.

-VOUS AVEZ VOULU FAIRE QUOI ? s’écria Koshino, outré.

-C’était une idée de Sendoh, cafta doucement Hikoichi, en guise de vengeance mesquine.

-Hikoichi ! Koshino l’écoute pas il dit n’imp…

-Sendoh, grogna agressivement Koshino.

-Maieuh, tu sais bien qu’on l’aurait pas fait et…

-Sendoh…

-Oui mais… en fait… euh… je… Tiens, je vais aller chanter moi !

Il se leva brusquement, enjamba la table basse et s’enfuit devant l’écran.

-Tu t’en tires bien pour cette fois là mais tu peux être sûr que je me vengerai ! menaça son équipier.

Sendoh programma sa chanson en sifflotant.

-Il me tuera, marmonna Koshino.

Les premières notes débutèrent et Koshino se passa une main lasse sur le visage en soupirant.

" … Je, je suis libertineuh, je suis une catin,

je, je suis si fragileuh, qu’on me tienne la main… "

(nda : ouais je sais, ça se passe au Japon, ils connaissent pas Mylène Farmer mais je vois bien Sendoh chanter ça ^^;;;;)

Sendoh se déhanchait au rythme de la musique, sous les sifflets admiratifs de ses compagnons. A croire qu’il connaissait toute la chorégraphie par cœur ! Lors des notes finales, il retira sensuellement son t-shirt, dévoilant alors son torse viril et imberbe, aux muscles fermes et bronzés, qui contrastait avec sa taille fine mais néanmoins masculine et son ventre plat où se dessinaient des abdominaux parfaits qui… (nda : oui, c’est bon, j’arrête de fantasmer sur le corps de Sendoh !) et le lança à Koshino. Les acclamations fusèrent. Furieux, Koshino le lui rebalança en pleine face.

-Rhabille-toi, pervers !

Sendoh éclata de rire, remit son t-shirt et revint s’asseoir parmi ses compagnons.

-Bon, à qui le tour ? demanda-t-il. Hikoichi ?

Hikoichi, qui avait mal à l’estomac tellement il avait ri du spectacle du numéro cinq de Ryônan, se redressa soudainement. Dans son enthousiasme, il s’était laissé aller tout contre Jun qui n’avait apparemment pas eu le courage de le repousser. Il sentit ses joues s’enflammer. Tous les autres avaient dû s’en rendre compte…

-Hein ? Euh… non pas moi ! Pas maintenant !

Kiryu se leva alors.

-Bon, je m’y colle !

La soirée continua dans la bonne humeur. Les uns après les autres, les joueurs allaient entonner une chanson ou deux. Sendoh avait déjà monopolisé la place quatre ou cinq fois, quant à Koshino, Uozumi, Hikoichi et Ueda, ils n’avaient pas encore bougé de leurs banquettes, malgré les nombreuses injonctions de leurs coéquipiers, surtout à l’encontre de Koshino et de Hikoichi, qui était habituellement le premier à se battre avec Sendoh pour la possession du micro. Pas qu’il fut un grand chanteur, mais il trouvait le principe du karaoké absolument unbelievable ! L’une des inventions du siècle !

Cependant, ce soir, il ne se sentait pas d’humeur à abandonner le canapé. Déjà, il se sentait bien avec Jun à ses côtés, la chaleur de sa cuisse contre la sienne, leurs bras qui se frôlaient, les quelques mots qu’ils échangeaient de temps à autre à voix basse. Oh, pas de grandes déclarations, juste quelques banalités sur les titres choisis ou leurs exécutants mais Hikoichi n’en avait cure, cela lui était bien suffisant. En fait, il avait surtout peur de l’opinion que pourrait avoir son ami sur sa façon de chanter. Habituellement, ce que les gens pouvaient penser de lui, c’était bien le dernier de ses soucis, mais il était désormais effrayé par le fait de décevoir Jun, même si ce dernier l’avait déjà entendu brailler des titres à la mode plus d’une fois lors des précédentes sorties karaoké de l’équipe. Mais à l’époque… à l’époque il n’était pas encore tombé amoureux de son capitaine.

Ikegami termina sa chanson et tendit le micro à l’assistance.

-Bon à qui le tour ? Koshino ?

-Naaaan !

-Rho, tu vas pas bouder toute la soirée !

-Humpf !

-Alors ?

-Moi ! Moi !

-Ah non pas Sendoh, ça fait déjà cinq fois qu’il nous casse les oreilles !

-Maieuh !

-Hikoichi ?

Hikoichi secoua une nouvelle fois la tête. C’est alors qu’il sentit un grand mouvement à côté de lui. Jun venait de se lever. Tous le regardèrent avec des yeux ronds.

-Uozumi ? Tu vas où ? interrogea timidement Ueda.

-Je vais chanter quelque chose.

-HEIN ?

-Pourquoi, je n’ai pas le droit ?

Tous secouèrent la tête avec véhémence. Surtout ne pas énerver le capitaine ! Ils étaient pourtant sidérés. Jamais Uozumi n’avait daigné chanter lors d’un karaoké, pas même dans un état d’ébriété avancée. Qu’est ce qui soudainement…

Hikoichi lui jeta un regard interrogatif mais Jun ne tourna même pas la tête vers lui. Il était très raide lorsqu’il s’avança vers Ikegami qui lui tendait le micro et c’est d’une main légèrement tremblante qu’il composa le numéro de la chanson sur le pavé numérique. C’était le genre de détail que seul quelqu’un le connaissant très bien comme Hikoichi pouvait noter et le reste de l’équipe, à part peut être Sendoh qui était encore tout sourire, ne le remarqua pas. Ils observaient pourtant leur capitaine avec attention, comme s’il le voyait pour la première fois. Qu’est ce que Uozumi allait bien pouvoir chanter ?

Les premières notes s’élevèrent, très lentes, très douces, puis la voix de Uozumi les accompagna, très basse, très grave, pas exceptionnelle mais tout à fait juste. Les joueurs échangèrent des regards impressionnés et surpris. Ils ne se seraient jamais doutés que Uozumi puisse chanter de la sorte, qu’il puisse donner tant d’émotion à un texte. Mais celui-ci gardait les yeux fixés sur l’écran où défilaient les paroles, comme s’il n’osait affronter son public.

Hikoichi se carra au fond du canapé, le cœur battant. La voix de Uozumi le faisait frissonner de la tête aux pieds. Mais surtout ces mots qu’il prononçait… étaient-ils bien pour lui ? Mais pour qui d’autre auraient-ils pu être ? Il ferma les yeux et se laissa bercer par la douceur de la voix de son capitaine et par ces phrases qui lui étaient sans nul doute destinées…

" …….

J’ai presque peur de m’avancer et d’aller plus loin

D’avoir envers toi un geste tendre

Alors je dois garder mon grand amour pour toi

Bien caché, et je ne le dis pas.

Mais si tu voulais bien que je prenne ta main

On pourrait faire ensemble il me semble…

Lorsque tu comprendras l’amour que j’ai pour toi

Tu verras, tout recommencera

Let me feel this, Baby

Let me feel, Baby

Lorsque tu comprendras l’amour qui est en moi

Notre vie commencera…

…… "

(ã les auteurs de la chanson de Sheller dans " Lucile, Amour et Rock n’Roll " de tête. Bravo l’auteur, ça s’arrange à fond les références ^^;;;;;)

Une fois que les dernières notes se furent tues, le silence régna dans la salle. Uozumi poussa un gros soupir en reposant le micro et chercha du regard Hikoichi. Ce dernier lui sourit et Uozumi sentit ses joues se colorer légèrement, chose assez inhabituelle pour lui. Ce fut Sendoh qui cassa la gêne ambiante par de fracassants applaudissements auxquels firent écho les autres joueurs.

-Bravo ! Bravo Uozumi ! s’exclama Sendoh en se levant comme pour le féliciter.

Mais son but était tout autre.

-Non ! s'écria Koshino qui vit venir la feinte mais il était déjà trop tard. Sendoh s’était emparé une nouvelle fois du micro.

Uozumi en profita pour retourner s’asseoir près de Hikoichi, qui se laissa légèrement et très discrètement aller contre lui.

-Mais faîtes le taire ! grogna Koshino à côté d’eux en se prenant la tête entre les mains.

" … like a virgin, wouuuhhhh, touch for the very first time ! Like a viiiiiiiiirgiiiiiiiinnnn… "

Uozumi éclata de rire, se pencha vers Hikoichi et lui murmura à l’oreille :

-Je te raccompagne tout à l’heure ?

Hikoichi hocha timidement la tête et se colla encore un peu plus au géant.

Finalement, l’un des employés du karaoké coupa Sendoh en plein " YMCA " pour leur annoncer que l’établissement était sur le point de fermer ses portes. A regret, Sendoh reposa le micro et aida les autres à ramasser les ordures. Ils jetèrent tout dans une grande poubelle à la sortie du bâtiment et se retrouvèrent sur le trottoir battu par un vent frais.

-Whah ! Ce fut une super soirée ! s’écria Sendoh.

-La prochaine fois faudra qu’on se fasse " Dancing Queen " en duo !  lança Ikegami.

-Ouais ! Bonne idée !

Koshino poussa un long soupir.

-Bon, Uozumi, on rentre ensemble ? proposa-t-il ensuite.

Uozumi se gratta le crâne d’un air gêné en jetant un coup d’œil en coin à Hikoichi. Il aurait bien aimé s’éclipser discrètement.

-Euh… en fait…

Ouais, pas moyen de prétexter une course quelconque à cette heure avancée de la nuit…

-Nan ! coupa soudainement Sendoh. Tu rentres avec moi ce soir !

Koshino s’écarta prestement de lui.

-Ca va pas non !

-Allez, sois chic !

-Non !

-S’il te plaiiiiiit, promis, je ne te ferai pas honte !

-J’ai dit non !

Sendoh prit un air boudeur.

-De toute façon que ça te plaise ou non je te raccompagnerai…

Koshino se détourna.

-C’est ce qu’on va voir, murmura-t-il.

Et il s’élança au pas de course dans la rue la plus proche. Sendoh éclata de rire et se jeta à sa suite.

-Je vais t’attraaaaaaaper ! ! ! !

-Jamais, répondit la voix lointaine de Koshino.

-Ohhhh que siiii, répondit celle un peu plus proche de Sendoh.

Mais ils furent bientôt trop loin pour que leur conversation soit audible.

Les autres joueurs fixèrent la rue sombre dans laquelle leurs deux coéquipiers avaient disparu en souriant.

-Y’en a pas un pour rattraper l’autre, commenta Ueda.

-Ouaip, approuva Kiryu.

-Bon, moi je me rentre ! s’exclama Ikegami.

Tous se séparèrent en se saluant de la main et prirent le chemin du retour.

Uozumi et Hikoichi furent les derniers à quitter la rue du karaoké. La nuit était sombre, sans lune et sans étoile, ils n’étaient guidés que par la faible lueur des lampadaires. Il faisait frais mais Hikoichi n’habitait qu’à cinq minutes à pied de là, ce qui était finalement trop peu à leurs goûts. Ils avançaient côte à côte, en silence, lorsque Hikoichi murmura :

-Merci.

Uozumi tourna la tête vers lui.

-Pourquoi ça ?

-Pour la chanson…

Jun sourit mais ne répondit pas. Il se contenta de passer un bras autour des épaules de Hikoichi et de l’attirer vers lui. Hikoichi glissa alors un bras autour de sa taille et ils poursuivirent leur route de nouveau sans échanger un mot. Deux minutes plus tard, ils atteignirent leur but.

-Te voilà arriver à bon port !

Hikoichi hocha la tête.

-Merci encore, murmura-t-il. Bon, je te vois demain, tu n’as pas oublié ?

-Non, pas du tout. Je n’ai pensé qu’à ça toute la semaine. Je viens vers quelle heure ?

Hikoichi réfléchit quelques secondes. Le temps qu’il fasse les courses et prépare un repas décent…

-Vers sept heures, ça te va ?

-C’est parfait. Alors à demain !

-A demain !

Avec hésitation, le capitaine de Ryônan se pencha légèrement vers lui et Hikoichi retint son souffle, son cœur ayant fait un bond dans sa poitrine, mais Uozumi se contenta de lui caresser la joue avant de brusquement tourner les talons et de s’éloigner à toute allure. Hikoichi se mordit la lèvre inférieure et se retint de lui courir après mais il était trop tard. Il aurait dû " prendre les initiatives " quelques secondes avant ! Quel idiot ! Il s’était laissé submergé par l’émotion. Enfin, il revoyait Jun le lendemain…

La tête encore pleine des paroles que lui avait chantées Uozumi, Hikoichi alla se coucher.

***************

Le lendemain matin, Hikoichi se leva de bonne heure, juste assez tôt pour croiser ses parents qui s’étonnèrent de le voir déjà debout. Ils étaient eux même déjà sur le point de partir. Hikoichi bredouilla une vague excuse comme quoi il n’avait plus envie de dormir mais sans en connaître particulièrement la raison. Sa mère poussa un soupir déconcerté. Lui qui était déjà rentré tard la veille, s’il se levait trop tôt le lendemain, il allait être fatigué pour l’école ! Hikoichi haussa les épaules, c’était bien là le dernier de ses soucis.

Maman Aida lui donna les dernières recommandations d’usage, lui expliquant qu’elle lui avait laissé de quoi manger dans le frigo, il n’avait qu’à regarder dans le papier d’alu et à tout réchauffer au micro-onde, mais attention à ne pas laisser l’alu sinon…

-Maman, je sais, gémit-il.

-On ne sait jamais ! Tu es parfois tellement tête en l’air !

Il grommela une vague réponse puis son père parvint enfin à tirer sa mère hors de la maison et de son pauvre fils martyr. Hikoichi entendit la voiture d’éloigner et poussa un ouf de soulagement. Enfin seul ! Il allait pouvoir se mettre au travail.

Il commença par prendre son petit déjeuner puis une bonne douche et enfin passa rapidement un survêtement. Il verrait plus tard pour une tenue plus adaptée à un rendez-vous galant.

La première chose à faire désormais, c’était les courses ! Il ressortit la liste qu’il s’était préparer pour la veille sans finalement avoir à s’en servir et la compara pour la énième fois avec le livre de cuisine qu’il comptait utiliser. Ca serait vraiment le comble qu’il ait oublié quelque chose ! Lorsqu’il fut sûr de lui, il enfila ses chaussures et sortit.

Il en avait facilement pour une demi-heure de marche jusqu’au supermarché. Pour l’occasion, il avait décidé de se rendre non pas à leur habituelle petite supérette à quelques minutes de la maison mais à la plus grande surface du coin, là où il aurait un choix digne de ce nom. Même s’il devait y mettre un peu plus d’argent, il voulait le meilleur pour Jun.

Il repensa à la veille. Même si cela n’avait été qu’une chanson, Hikoichi considérait que c’était une véritable déclaration que lui avait fait Jun. Il ne put retenir un sourire. Son ami partageait bien ses sentiments. Hikoichi n’était pas stupide au point de ne pas s’en être douté mais l’avoir entendu de vive voix le réconfortait. Hier soir, Jun lui avait ouvert son cœur, ce soir, d’une manière ou d’une autre, ce serait à lui de le faire. Il frissonna d’impatience et d’appréhension. Qui sait ce qui allait se passer ce soir ? En tout cas, il n’avait nullement l’intention de se comporter en bêta comme la veille ! Cette fois, il allait devoir garder la tête froide, même s’il savait pertinemment que la présence de Jun lui faisait toujours oublier ses bonnes résolutions.

Tout à ses pensées, il faillit dépasser le supermarché sans même s’en apercevoir. Il stoppa brutalement, se donna un léger coup sur le crâne pour punir cet aspect distrait qui prenait souvent le dessus chez lui et entra dans la grande surface.

En ce samedi matin, l’endroit était bondé. Dans les rayons se bousculaient mères de famille et leurs enfants et petites vieilles n’ayant apparemment rien d’autre à faire que d’encombrer les caisses aux heures de pointe. Hikoichi soupira. Lui qui n’avait déjà pas l’habitude de faire des courses mais dans des conditions pareilles, c’était encore pire. Il savait qu’il aurait dû y aller la veille au soir ! Il évita un bambin qui courrait dans les allées et attrapa un caddy. Bon, par quoi commencer ?

Il tira sa liste de sa poche et la parcourut rapidement. Il n’avait pas des masses de choses à prendre mais il n’avait aucune idée de l’emplacement des produits…

Difficilement, il se fraya un passage au milieu des autres chariots jusqu’au rayon des condiments, le plus proche de l’entrée. Il n’avait besoin que d’un peu de moutarde mais sa mère n’en achetait jamais ! D’un œil dubitatif, il observa les différentes marques sans avoir la moindre idée de laquelle choisir, il n’y connaissait rien lui ! Finalement il opta pour le pot qu’il trouvait le plus joli, une méthode de sélection comme une autre après tout !

Il se retournait pour le mettre dans son caddy lorsqu’il se retrouva nez à nez avec… un torse. Par réflexe, il leva la tête pour rencontrer le regard certainement aussi étonné que le sien de Uozumi.

-Jun ! s’exclama-t-il.

Le large visage de son capitaine se fendit d’un sourire un peu gêné.

-Salut Hikoichi ! Qu’est ce que tu fais là ?

Hikoichi se sentit devenir écarlate. Il n’avait jamais envisagé le fait de croiser Jun ce matin. Il s’était à peine coiffé et habillé n’importe comment et…

-Je… J’avais besoin de faire quelques courses… bredouilla-t-il alors.

-Oh, se contenta de répondre le géant.

Quelques secondes s’écoulèrent en silence, la foule grouillant autour d’eux complètement oubliée, puis Uozumi reprit la parole, cette fois ci d’une voix bien plus assurée.

-C’est pour ce soir ?

Timidement Hikoichi hocha la tête. Il aurait aimé que Jun ne soit pas au courant avant l’heure du repas mais tant pis, il n’allait de toute façon pas lui mentir.

-Je pensais que tu voulais commander des pizzas ?

Hikoichi se gratta la tête.

-Ben… disons…

Jun lui sourit.

-Tu avais l’intention de te donner un peu de mal apparemment ?

-Oui… Mais si tu n’as pas envie de manger ma cuisine, tu sais on peut toujours commander et…

-Qu’est ce que tu racontes, le coupa-t-il soudainement. Au contraire, je serai très flatté et très heureux de manger ce que tu m’auras préparé.

-C’est vrai ?

-Bien sûr !

-Pourtant tu sais, je ne suis pas un as de la cuisine ! Et je ne sais même pas ce que tu aimes ou pas…

Uozumi se pencha vers lui et murmura, les pommettes légèrement rosies  :

-Ne t’en fais pas, si c’est toi qui l’as fait, ça me plaira forcément.

Hikoichi sentit un sourire ravi se plaquer sur son visage.

-Jun…

Un gamin batifolant avec le chariot de sa mère fonça alors dans le géant, manquant de lui faire perdre l’équilibre. Hikoichi lui attrapa le bras et l’aida à se rétablir. Il remarqua alors la boîte que Uozumi tentait de dissimuler à son regard depuis leur rencontre.

-Soma ! s’écria alors la mère du petit en accourant vers son rejeton.

Elle l’attrapa par le col, le tira vers elle puis, apeurée, se tourna vers Jun.

-Je suis désolée monsieur. Je vous prie de l’excuser, il n’a pas fait exprès ! Il…

Jun soupira. Avait-il l’air impitoyable à ce point pour que les gens paniquent à la simple idée de l’avoir énervé ? Se parant de son sourire le plus détendu, il rassura de son mieux la jeune femme.

-Ca va, il n’y a pas de mal, je vous assure !

Ne croyant à sa chance, elle recula de quelques pas, tenant toujours précieusement le garçonnet près d’elle et murmura une nouvelle vague d’excuses avant de s’éloigner le plus rapidement possible dans une autre allée.

-Je fais peur à ce point ? demanda Jun à Hikoichi, muet depuis le début de l’incident.

Celui-ci se mordit la lèvre inférieure pour se retenir de rire et déclara :

-Je dois bien avouer que tu m’as fait un peu peur la première fois que je t’ai vu !

Uozumi fit une petite moue outrée.

-Et maintenant ? reprit-il d’un ton plus sérieux.

-Hein ?

-Maintenant… Je te fais toujours peur ?

Hikoichi baissa la tête et murmura.

-Oui… j’ai peur… mais pour d’autres raisons.

Il sentit la main de Jun effleurer rapidement et très discrètement sa joue.

-Moi aussi, j’ai peur…

Un silence gêné s’installa entre eux, chacun regardant ses pieds avec insistance. Mais la voix enjouée d’une annonce publicitaire, les faisant sursauter, eut vite fait de les ramener à la réalité.

-Au fait, reprit Hikoichi, balayant les dernières traces de tension, qu’est-ce que tu as à la main ?

Jun soupira et tendit à Hikoichi la boîte qui s’avéra contenir des chocolats.

-C’était pour ce soir, expliqua-t-il. Je voulais t’amener un cadeau mais je ne savais pas quoi. Des fleurs, ça m’a semblé un peu… hum… ridicule. Alors voilà, j’ai choisi des chocolats… Mais j’avais pas prévu de te croiser, ajouta-t-il d’un air contrarié. Pas que ça ne me fasse pas plaisir hein ! Bien au contraire ! Mais… bah, tant pis pour la surprise !

Il leva et laissa retomber ses bras d’un geste fataliste.

Après quelques instants de silence leurs regards se croisèrent et ils éclatèrent de rire simultanément. Les surprises n’étaient décidément pas leur fort !

-Au fait, coupa soudainement Uozumi, tu as besoin d’aide ou tu préfères te débrouiller tout seul ?

Hikoichi réfléchit quelques instants. Il aurait bien aimé s’occuper de tout mais maintenant qu’il avait croisé Jun, il avait envie de passer un peu de temps avec lui. Et puis faire les courses ensemble, cela faisait tellement jeunes mariés ! Il se sentit devenir écarlate à cette pensée incontrôlée.

-Un problème ? s’inquiéta Uozumi.

Hikoichi secoua la tête pour se remettre les esprits en place.

-Non, non, ça va ! Et puisque tu te proposes, tu pourrais m’aider à faire quelques courses… et à tout porter jusqu’à la maison, ajouta-t-il d’un sourire innocent.

Jun poussa un soupir prétendument exaspéré mais l’ébauche de sourire qu’il ne parvenait à contenir démentait complètement le fait.

-Monsieur sait se faire servir hein ?

Hikoichi ne répondit pas et lui tendit sa liste.

-Tu sais où trouver tout ça ? Je suis complètement perdu moi !

Uozumi la parcourut rapidement en hochant la tête.

-Pas de problème. Je connais le supermarché par cœur. C’est toujours moi qui vais faire les courses !

Hikoichi repensa au sac que Jun avait une fois oublié sous le banc du terrain de basket, le sac par lequel avait débuté toute leur amitié.

-Je sais… murmura-t-il.

Et poussant le caddy, il suivit le géant à travers les allées.

Comme il s’en était vanté, Uozumi connaissait effectivement l’emplacement de chaque produit. Très rapidement le chariot se remplit tandis qu’ils slalomaient d’un pas sûr entre les autres clients. A maintes reprises cependant, ils s’arrêtèrent devant des desserts leur paraissant particulièrement appétissants ou des plats cuisinés aux odeurs alléchantes. Ils en vinrent à comparer leurs goûts culinaires qui au final s’avérèrent être très proches. Bon, Jun n’aimait pas les carottes alors que Hikoichi ne raffolait pas des brocolis mais rien de majeur.

Profitant de la foule opaque qui cachait une partie de leurs mouvements, les deux garçons laissaient souvent leurs mains se frôler, ou Uozumi posait la sienne dans le dos de son ami pour le guider vers le bon rayon. A chaque fois Hikoichi sentait une bouffée de chaleur et de bien être lui traverser le corps. Parfois même, sans qu’ils en aient l’intention, leurs doigts se touchaient lorsqu’ils se saisissaient d’un produit au même moment. Ils s’écartaient alors vivement l’un de l’autre, gênés, rougissants mais souriants.

Grâce à Uozumi et à sa connaissance inégalable du supermarché, Hikoichi termina ses courses en un temps record. Ils se rendirent rapidement à la caisse, firent la queue quelques minutes puis Hikoichi paya alors que Uozumi finissait d’emballer les achats dans des poches plastiques, aidé par un employé de caisse.

Une fois à l’extérieur, Jun insista pour porter l’intégralité des sacs.

-Tu es sûr ? répéta pour la dixième fois Hikoichi alors qu’ils marchaient côte à côte sur la route du retour.

-Mais oui, je t’assure que ça ne pèse rien pour moi.

Hikoichi fit une petite moue douteuse. Il n’avait pas grand chose à acheter mais il avait tout pris en grande quantité, connaissant l’appétit du capitaine de Ryônan et voulant bénéficier d’une petite marge de sûreté au cas ou il devait tout recommencer s’il se trompait dans sa recette. Les sacs ne devaient pas être aussi légers que Jun le prétendait ! D’un autre côté, vu la carrure exceptionnelle de son ami, porter quelques sacs plastique ne devaient pas être le plus intense des efforts. Il vira à l’écarlate lorsqu’il s’aperçut que Jun l’avait surpris à contempler ses larges épaules. Mais celui ci ne lui fit aucune réflexion et lui sourit simplement.

-Tes parents sont déjà partis ? interrogea-t-il alors, voulant remettre à l’aise Hikoichi.

Ce dernier opina.

-Oui, tôt ce matin. Je les ai croisés lorsque je me suis levé.

Hikoichi se tut quelques secondes.

-Ils ne rentreront probablement pas avant très tard dans la nuit, précisa-t-il ensuite, d’un air qui se voulait détaché.

Jun ne commenta pas.

Quelques minutes plus tard, après avoir repris une de leur habituelle discussion sur le basket, les deux garçons arrivèrent en vue de la maison de Hikoichi. Ce dernier sortit son trousseau de sa poche et ouvrit la porte. Uozumi posa les courses près de l’entrée le temps de se déchausser puis suivit Hikoichi dans la cuisine. Il laissa les sacs sur la table et prit le verre d’eau que son ami lui tendait.

-Merci.

Ils burent en silence puis Hikoichi fourragea dans les sacs et entreprit de tout ranger. Il avait toujours été quelqu’un d’organisé. Suivant son exemple, Jun sortit la viande et la mit au réfrigérateur. Il remarqua alors quelque chose au fond d’un sac.

-Oh ! laissa-t-il échapper.

Hikoichi se retourna pour le trouver une main sur la bouche puis, rouge de confusion, pouffant de rire.

-Jun ? Qu’est ce qu’il y a ?

Uozumi mit quelques secondes à retrouver son calme puis sortit la boîte de chocolat du fond du sac.

-Hikoichi, je suis désolé ! Les chocolats que je voulais t’offrir ! Je t’ai laissé les payer !

Hikoichi regarda la boîte en clignant des yeux et éclata de rire à son tour. Ils les avaient complètement oubliés. Pour plus de facilité, il avait proposé à Jun de les laisser dans son chariot et ça leur était à tous deux sorti de la tête.

Uozumi se passa une main sur le visage.

-Je suis vraiment un bien piètre invité ! Je te dois combien ?

Hikoichi s’avança vers lui et lui arracha la boîte des mains.

-Rien du tout !

-Mais… protesta le géant.

-Ce sont mes chocolats donc tu ne me dois rien !

-Mais…

Hikoichi lui sourit.

-C’est que tu aies voulu me payer quelque chose qui me fait plaisir. Merci Jun.

Il aurait voulu déposer un léger baiser sur la joue de son ami en guise de remerciement mais il était bien trop petit pour ça et se dit que s’il montait sur une chaise et il allait trouver le moyen de se gameller et se ridiculiser. Il se contenta donc de lui sourire et posa les chocolats sur le plan de travail.

Jun ne répondit que par un petit soupir.

-Bon, je ferai bien de te laisser à tes fourneaux alors. Je repasse à sept heures comme prévu ?

Hikoichi hocha la tête.

Il raccompagna Jun jusqu’à l’entrée et le salua d’un petit signe de la main. Le géant lui sourit et disparut derrière le mur du jardinet.

Hikoichi referma la porte avec un pincement au cœur. Ca lui faisait toujours ça lorsque Jun le quittait. Et pourtant cette fois ci, son cœur battait également la chamade. Il savait qu’il reverrait son ami dans très peu de temps, à peine quelques heures, et Hikoichi avait plus que hâte d’arriver au moment du tête-à-tête. Enfin, il avait de quoi s’occuper l’esprit jusqu’à sept heures normalement. Il se rua vers son livre de cuisine.

*****************

Cela faisait maintenant une demi-heure qu’Hikoichi arpentait la maison pour s’assurer que tout était parfait. Lui, tout d abord. Il se regarda dans un miroir, se recoiffa pour la cinquième ou sixième fois, vérifia le col de sa chemise blanche, réajusta le petit gilet noir qu’il avait passé et lissa son pantalon, lui aussi noir. Bon, cela devrait faire l’affaire. Il inspira une longue bouffée d’air frais, se demandant s’il n’avait pas un peu trop insisté sur l’eau de toilette, puis passa à la salle à manger. Là encore il inspecta la nappe blanche, les assiettes, les couverts, les verres… bon, il n’avait apparemment rien oublié. Il avait longtemps hésité sur la nécessité ou non des chandelles et y avait finalement renoncé. Il avait l’impression que cela aurait fait… il ne savait trop comment l’expliquer… pas trop direct mais peut être… enfin bref, il avait conclu qu’il pouvait tout aussi bien s’en passer. Il jeta un coup d’œil anxieux à la pendule. Sept heures moins cinq… Jun ne devrait plus tarder désormais.

Il avait aussi soigneusement rangé le salon et la cuisine, au cas ou Uozumi s’y aventurerait. Il récapitula du bout des doigts. La cuisine, ok, tout était prêt et finalement il s’en était mieux tiré qu’il ne l'aurait cru, la salle à manger, parfait, le salon, ça allait… Il n’avait pas oublié de remettre du papier dans les toilettes, ni de placer un savon neuf près du lavabo et il y avait des glaçons au frigo... Lui même était impeccable… Peut-être un dernier coup de peigne…

Le bruit de la sonnette le fit sursauter. Il regarda sa montre. Sept heures deux.

Le cœur battant à tout rompre, il se précipita vers l’entrée, oubliant tout éventuel problème de coiffure. Il respira à fond pour se calmer et les mains légèrement tremblantes, ouvrit la porte en grand.

Ce qu’il vit lui coupa le souffle.

Devant lui se tenait Jun, dans un costume gris clair immaculé, le regard baissé et un timide sourire aux lèvres. Hikoichi le trouva d’une élégance folle. Il avait même fait l’effort de passer une cravate dont le motif était caché par l’énorme bouquet de roses rouges qu’il tenait à la main.

-Bonsoir, salua le capitaine de Ryônan, d’une voix mal assurée.

-Bonsoir, lui fit écho Hikoichi, aussi écarlate que le bouquet qui lui faisait face. Uozumi le lui tendit.

-Tiens, c’est pour toi. Comme tu avais déjà les chocolats et bien… je me suis rabattu sur les fleurs.

Hikoichi prit le bouquet mais n’osa pas croiser les yeux de Jun.

-Merci, murmura-t-il, c’est… c’est la première fois qu’on m’offre des fleurs.

Tous deux laissèrent échapper un rire gêné, puis Hikoichi s’écarta pour laisser passer son ami.

-Entre

Uozumi le remercia d’un hochement de tête et avant de se déchausser, lui tendit un nouveau cadeau, qu’il gardait cacher derrière son dos de son autre main.

-Tiens, je t’ai aussi apporté ça.

Hikoichi se saisit du présent, une petite bouteille en l’occurrence.

-C’est… c’est du vrai champagne français ? bafouilla-t-il.

Jun opina.

-J’espère que tu aimes.

Hikoichi prit un air embarrassé, enfin encore plus embarrassé que précédemment.

-Je ne sais pas… Je n’en ai jamais bu.

-Moi non plus à vrai dire, avoua le géant, mais j’ai pensé que c’était une bonne occasion. On peut le boire euh… quand tu veux.

Hikoichi regarda la bouteille. Elle avait dû coûter une fortune à Jun.

-Pour le dessert, c’est possible ?

Uozumi se gratta la tête pensivement.

-Je n’y connais pas grand chose mais il me semble. En tout cas ça se garde au frais.

Hikoichi sourit.

-Alors je vais la mettre au frigo et les fleurs dans un vase. Tu n’as qu’à m’attendre… hum… dans la salle à manger.

-D’accord.

Hikoichi fonça à la cuisine. Il rangea la bouteille de champagne et se passa un peu d’eau fraîche sur le visage. Voilà qu’il se laissait encore submerger par ses émotions et semblait incapable de supprimer cette constante rougeur sur ses joues. Il respira lentement pour se calmer puis remplit d’eau l’un des nombreux vases de sa mère et y déposa les roses. Il était désormais temps pour lui de rejoindre Jun. Se promettant de ne pas jouer les effarouchés toute la soirée, il pénétra dans la salle à manger, son vase à la main. Son capitaine était assis de façon très raide sur une des chaises face à une assiette. Voyant Hikoichi entrer, il se leva légèrement.

-Besoin d’aide ? demanda-t-il.

Hikoichi secoua la tête et posa le vase au bout de la table. Elles étaient du plus bel effet sur la nappe blanche. Hikoichi regretta soudainement de n’avoir pas mis de chandelles, elles manquaient indéniablement au tableau. Il repartit alors à la cuisine et sortit d’un placard une petite bougie et une boîte d’allumettes. Jun accueillit son retour dans la salle à manger en silence mais une expression curieuse sur le visage. Hikoichi posa alors la petite bougie en bout de table et l’alluma. Il remarqua alors le sourire amusé de son ami et son cœur s’emballa.

-Si ça ne te plait pas, je peux l’éteindre !

Jun secoua la tête avec véhémence.

-Non, non, surtout pas… J’aime beaucoup.

Légèrement rassuré, Hikoichi posa les allumettes près de la bougie, se demandant ce qu’il devait faire maintenant. Comme il était difficile pour lui d’être l’hôte, surtout avec l’état d’esprit dans lequel il se trouvait !

-Tu… Tu veux boire quelque chose peut être ? proposa-t-il soudainement.

-Volontiers. Qu’est ce que tu as ?

Hikoichi réfléchit quelques secondes. Qu’est ce qu’il avait…

-J’ai… les choses habituelles, jus de fruit tout ça, ou si tu préfères, mon père doit avoir du whisky ou je ne sais quoi d’autre… Attends, je vais regarder.

Uozumi lui attrapa le bras.

-Ne t’embêtes pas, un jus d’orange c’est très bien.

Hikoichi opina et Uozumi libéra son poignet pour laisser sa main glisser sur celle de son ami jusqu’à ce que leurs doigts s’enlacent, leurs regards baissés vers le sol.

-Merci, murmura Jun.

-Pour quoi ?

-Pour tout…

-Merci à toi…

Uozumi abandonna finalement la main de Hikoichi et ce dernier s’enfuit dans la cuisine, les jambes tremblantes. Il s’appuya contre un mur quelques secondes et puis sortit la bouteille de jus d’orange du frigo et retourna dans la salle à manger où Jun s’était réinstallé comme si de rien n’était, même s’il n’osa pas lever les yeux lorsque Hikoichi s’assit face à lui. Celui-ci remplit les deux verres et ils burent en silence, ne sachant que se dire.

Hikoichi commençait à se demander si en définitive ce dîner n’avait pas été une mauvaise idée. Il voulait prendre les initiatives, il le voulait vraiment, mais il ne pouvait pas, il n’osait pas. Et Jun semblait tout aussi hésitant que lui.

Lorsque le silence devint trop inconfortable, Hikoichi décida d’engager la conversation, sur n’importe quoi pourvu que le malaise ambiant se dissipe.

-Tu voudras manger bientôt ? demanda-t-il.

Uozumi sursauta comme tiré d’une profonde rêverie.

-Pour savoir… si je commence à préparer maintenant, précisa-t-il ensuite.

Jun opina et son visage se fendit pour la première fois de la soirée d’un grand et réel sourire qui réchauffa le cœur de Hikoichi.

-Oui ! J’ai hâte de goûter ce que tu as pu me faire ! Tu n’as pas eu trop de mal ?

Heureux de voir que la tension disparaissait rapidement, Hikoichi éclata de rire.

-J’avoue qu’au début ça n’a pas été facile mais finalement je crois à voir pas trop mal réussi ce que je voulais. Pour un premier coup d’essai je suis assez content de moi ! Enfin, attends quelques minutes, tu jugeras par toi-même !

Uozumi acquiesça et Hikoichi bondit de sa chaise et s’élança une nouvelle fois dans la cuisine, mais d’un pas bien plus guilleret que précédemment. Il revint quelques minutes plus tard, une grande marmite qu’il tenait prudemment avec un torchon dans les mains.

L’odeur amena l’eau à la bouche de Uozumi. Il faut dire qu’il s’était quasiment privé de manger de toute la journée dans l’attente du repas du soir. Il voulait tellement faire plaisir à Hikoichi et faire honneur à sa cuisine.

Hikoichi se saisit d’une louche et remplit l’assiette de Jun à raz bord, puis il s’assit et le fixa, les yeux remplis d’impatience.

-Tu ne te sers pas ? interrogea son ami.

Hikoichi baissa la tête vers son assiette toujours vide.

-Oh ! J’ai tellement hâte de voir ce que tu en penses que j’allais m’oublier !

Il se servit une louchée et reprit sa pose initiale. Jun soupira. Hikoichi ne se préoccuperait pas de sa propre assiette tant qu’il n’aurait pas donné son opinion. Avec tout de même une certaine appréhension, il porta sa fourchette à sa bouche. Lentement, mâchant avec attention, il avala sa première bouchée.

-Alors ? le pressa Hikoichi.

Uozumi le stoppa d’un geste de la main et en prit une seconde, toujours sans se prononcer.

-Alors ? insista Hikoichi, de plus en plus nerveux.

Uozumi but une gorgée de jus d’orange et sourit.

-C’est bon ! déclara-t-il, replongeant avec enthousiasme sa fourchette dans son assiette.

-C’est vrai ?

-Puisque je te le dis ! répondit Uozumi, la bouche pleine.

Hikoichi se détendit sur sa chaise, un immense sourire soulagé sur les lèvres.

-J’en suis heureux.

Bon, Uozumi devait bien admettre que la viande était trop cuite, les légumes pas assez et le tout était trop salé mais c’était tout de même mangeable. Venant de Hikoichi, il s’était vraiment attendu à pire.

Le repas se déroula dans une franche bonne humeur. Ils discutèrent de choses et d’autres, mais de basket surtout bien évidemment, de l’avenir de Ryônan, des joueurs qu’ils appréciaient et de ceux dont la compagnie ne leur paraissait pas indispensable. Hikoichi manqua même de s’évanouir de bonheur lorsque Jun, après avoir consciencieusement vidé son assiette, demanda à être resservi.

Repu, ce dernier se laissa aller contre le dossier de sa chaise.

-Je n’en peux plus ! s’exclama-t-il.

-Je peux ramener ça à la cuisine ? demanda Hikoichi en désignant la cocotte.

-Oh oui tu peux ! Je ne peux plus rien avaler.

Hikoichi se leva et attrapa les anses de la marmite.

-Pas même quelques petits chocolats ? interrogea-t-il alors.

Uozumi lui lança un immense sourire.

-Si tu me prends par les sentiments !

-Si tu es trop gavé, on peut faire une pause et les manger plus tard hein !

Jun secoua la tête.

-Non, non, ça va aller ! Pas besoin d’avoir faim pour manger des chocolats.

Hikoichi éclata de rire et proposa :

-Et si on passait au salon ? Ca serait tout de même plus agréable non ?

-Bonne idée !

Et pendant que Hikoichi ramenait la cocotte à la cuisine, il prit la direction du salon et s’installa sur le canapé. Son ami revint quelques secondes plus tard, la boîte de chocolat dans une main, la bouteille de champagne dans l’autre.

-Tu sais dans quel type de verre ça se boit ?

Jun prit la bouteille que Hikoichi lui tendait et secoua la tête.

-Pas la moindre idée.

Hikoichi parut réfléchir pendant quelques secondes et déclara :

-Bon, je vais chercher ce que maman a de mieux. Tu l’ouvres pendant ce temps.

-D’accord.

Hikoichi revint alors que Jun tentait de faire sauter le bouchon de la bouteille.

-Tu as besoin d’aide ?

Uozumi secoua la tête.

-Je pense que je devrais pouvoir arriver.

Il fit légèrement tourner le bouchon qui finalement lui resta dans la main.

-Ah, Hikoichi ! Vite les verres ! s’écria-t-il alors qu’une abondante mousse blanche jaillissait du goulot.

De justesse Hikoichi fit passer un des verres sous la bouteille et aucune goutte ne souilla le tapis.

Lorsque les deux verres furent pleins, Uozumi reposa la bouteille sur la table basse à côté des chocolats et fit signe à Hikoichi de venir s’asseoir à ses côtés. Celui ci obtempéra, masquant un sourire timide, et prit son verre à la main.

-A quoi trinquons-nous ? demanda le géant.

Hikoichi haussa les épaules.

-Je ne sais pas du tout ! Comme tu veux !

Jun réfléchit quelques secondes et déclara :

-Je propose que nous trinquions à ce délicieux repas que tu m’as offert.

-Notre premier tête-à-tête… murmura Hikoichi.

-En espérant qu’il y en ait beaucoup d’autres… ajouta Uozumi sur le même ton.

Ils se regardèrent en rougissant et Hikoichi bafouilla :

-J’ai oublié de te dire à quel point je te trouvais élégant ce soir.

Puis il s’injuria pour avoir sorti une réplique aussi stupide et clichée. Il devait passer pour le dernier des dragueurs minables et maladroits. Mais il n’avait pas pu se retenir… Uozumi lui répondit par un sourire flatté.

-Merci… toi aussi en fait.

Les joues d’Hikoichi s’enflammèrent de nouveau et il détourna les yeux.

-Alors à notre premier tête-à-tête.

-A notre premier tête-à-tête, répéta Hikoichi.

Ils entrechoquèrent leurs verres et portèrent le verre à leurs lèvres.

Hikoichi sentit le goût du champagne glisser sur sa langue, le long de sa gorge, piquant, fruité… pour remonter la seconde d’après dans son nez. Il posa son verre de justesse sur la table avant de s’abandonner à une toux étouffée.

-Hikoichi, ça va ? demanda Jun d’une voix inquiète, tapotant le dos de son ami de sa large main.

Celui ci frotta un de ses yeux soudainement remplis de larmes et hocha la tête.

-Je ne m’attendais pas à ce que ça pique autant, expliqua-t-il d’une voix étranglée. Attends-moi une seconde.

Il quitta le canapé et se précipita dans la salle de bain. Il maudit son reflet dans le miroir. Ses yeux et son nez coulaient ! Il attrapa un kleenex et répara les dégâts de son mieux. Il avait vraiment le chic pour passer pour le dernier des crétins ! Qu’est ce que Jun avait bien dû penser de lui ? Il allait sûrement se fiche de sa tête, et d’ailleurs il le méritait ! Ne pas être capable d’avaler correctement une gorgée de champagne !

Il se moucha une nouvelle fois et se regarda dans la glace, but un peu d’eau pour faire passer le goût âcre du champagne et lorsqu’il s’estima correct, il retourna dans le salon où Uozumi l’attendait patiemment.

-Ca va ? s’enquit une nouvelle fois ce dernier.

Hikoichi hocha honteusement la tête.

-Je suis désolé, murmura-t-il.

Jun lui sourit tendrement.

-C’est pas un drame tu sais. Allez, ne fais pas une tête pareille ! Souris-moi !

Hikoichi croisa son regard et força un léger sourire.

-Et bien voilà qui est mieux ! estima son capitaine.

Hikoichi sentit son cœur s’emballer. Jun était toujours tellement gentil, tellement patient avec lui. Il eut envie de lui crier à quel point il l’aimait. Au lieu de cela, leurs regards se croisèrent et Uozumi cessa à son tour de sourire. Il devint même terriblement grave et sérieux.

-Hikoichi… murmura-t-il.

Celui ci s’avança vers le canapé où le géant était toujours assis et lui tendit la main. Jun la prit dans la sienne, tremblant un peu, mais moins que Hikoichi qui, quasiment a bout de souffle, s’assit sur les genoux de son ami. Il posa la tête sur le large torse et sentit le cœur de Uozumi battre la chamade dans sa poitrine. Il passa les bras autour de la taille du capitaine de Ryônan et resta ainsi, sans bouger, simplement à profiter de la présence et de la chaleur de celui qu’il aimait.

Sans un mot, Uozumi passa les bras autours du corps de Hikoichi et le serra contre lui. Ce dernier eut la brève impression que son cœur allait exploser, qu’il allait se liquéfier sur place à ce simple contact mais avant qu’il ait eu le temps de réellement analyser la sensation, le géant se laissa aller contre le canapé, l’entraînant avec lui et tous deux se retrouvèrent allongé côte à côte sur la mince banquette, leurs deux corps pressés l’un contre l’autre.

Hikoichi avait fermé les yeux. Oubliés le champagne et les chocolats, seul était importante la présence de Jun, la douceur de son souffle sur son visage, la chaleur de ses mains contre son dos. L’une de ces mains remonta bientôt le long de sa colonne jusqu’à son visage, qu’elle caressa avec tendresse… sa joue… son cou… la base de ses cheveux… puis de nouveau son cou, sa joue… Jun avait beau avoir des mains immenses, elles étaient d’une délicatesse infinie contre sa peau.

Ils restèrent ainsi de longues minutes, sans autre mouvement que la main de Jun, puis la voix de ce dernier se fit entendre.

-Hikoichi… murmura-t-il dans un souffle.

Hikoichi ouvrit péniblement les paupières pour croiser le regard de Jun, tout proche de lui, des yeux dans lesquels il pouvait lire l’amour, le désir mais aussi l’incertitude, la peur, une peur de l’inconnu et du futur que lui aussi ressentait.

-Hikoichi… répéta Uozumi d’une voix qu’il ne lui avait jamais entendue, tendue, angoissée.

Mais celui ci ne parvenait même plus à prononcer un mot tant il était capturé par le regard de son capitaine et par ses propres frayeurs.

-Hikoichi… Est-ce… est-ce que je peux t’embrasser ? lâcha-t-il enfin, dans un souffle court, quasi inaudible.

Hikoichi sentit son cœur stopper dans sa poitrine pour repartir de plus belle. Enfin, pensa-t-il fébrilement, tremblant comme jamais auparavant. Il baissa les yeux et après un instant de silence, parvint à articuler un léger " bien sûr ". La main sur son visage glissa sous son menton pour l’encourager à remonter le regard et croiser celui de son ami, toujours plus proche, mais toujours plus hésitant. Il sentait de longs frissons parcourir le corps de Uozumi dans ses bras. Puis, alors que son univers ne se réduisait plus qu’au visage tant aimé de Jun, il ferma les yeux.

La première sensation qu’il eut des lèvres de Uozumi fut un simple frôlement contre les siennes, presque imperceptible. Puis, au fil des secondes, leur présence se fit plus insistante, plus concrète. Peu de temps après, Hikoichi pouvait goûter leur plénitude. Il répondit rapidement au baiser, avide de ces sensations qu’il découvrait tout juste. Il se sentait toujours gauche mais toute angoisse et toute timidité l’avait déserté. Il était bien, à sa place dans l’étreinte de son capitaine. Ses bras abandonnèrent ensuite le dos de Jun pour passer autour de son cou, ses mains se perdant dans sa courte chevelure, le pressant d’approfondir encore le baiser. Jun n’eut pas à sa faire prier. Sa langue glissa sur les lèvres de Hikoichi et celui ci ouvrit la bouche pour l’accueillir avec plaisir. C’était un baiser fougueux et maladroit mais Hikoichi n’aurait pu rêver plus agréable. Il joignit sa langue à celle de Jun, découvrant son goût, se laissant guider par son instinct.

Hikoichi avait l’indéniable impression qu’il aurait pu rester des heures, des jours, toute sa vie même ainsi, à embrasser Jun. Avec les minutes passant, leurs baisers étaient devenus plus habiles, moins hâtifs, plus langoureux. Parfois, leurs lèvres se séparaient, leurs regards se croisaient et de nouveau leurs bouches s’unissaient, libérant une passion, un amour, trop longtemps contenu.

Ce fut le bruit de la porte du garage qui les força à se séparer. Tous deux sursautèrent, ayant complètement oublier le monde autour d’eux. Hikoichi, passant une main tremblante dans ses cheveux en désordre à force d’être caressés par les grandes mains de Jun, se leva du canapé.

-Déjà ? s’écria-t-il, complètement pris par surprise par le retour de ses parents.

Puis ses yeux tombèrent sur la pendule indiquant que les trois heures du matin étaient déjà bien dépassées. Combien de temps était-il donc resté avec Jun à s’embrasser ? Plusieurs heures sans aucun doute. Des heures qu’il n’avait pas vues passées et qu’il regrettait déjà.

Uozumi s’était lui aussi relevé et arrangeait à la hâte son costume froissé lorsque les parents Aida firent irruption dans le salon.

-Tu n’es pas encore couché ! s’exclama la mère de Hikoichi.

Puis son regard tomba sur Jun.

-Oh, Uozumi-kun !

Uozumi devint écarlate comme jamais et sourit péniblement aux parents de son bien-aimé.

-C’est de ma faute, j’allais justement partir. Si vous voulez bien m’excuser…

-Oh, du vrai champagne ! s’exclama soudainement papa Aida, bien peu préoccupé par le manque de sommeil de son fiston.

-Vous pouvez le finir, déclara Jun, finalement nous n’avons pas trop aimé ça !

Le père de Hikoichi, dont tenait vraisemblablement son fils, lui lança un immense sourire de remerciement et se servit un verre avec enthousiasme.

-Tu ne m’avais pas dit que tu avais invité Uozumi-kun à dîner ! réprimanda une nouvelle fois maman Aida.

Avant que Hikoichi ait pu répondre, Jun s’était interposé.

-Excusez-le, tout est de ma faute. C’est moi qui me suis imposé. Je n’étais pas très en forme ce soir alors… je suis passé voir si je pouvais dîner ici, histoire de me changer les idées mais il n’y avait que Hikoichi qui m’a généreusement accueilli. J’avais apporté du champagne et de fleurs pour vous. J’espère qu’elles vous plairont.

Madame Aida jeta un coup d’œil aux roses restées sur la table de la salle à manger.

-Elles sont magnifiques, merci, répondit-elle avec un grand sourire mais son regard démontrait parfaitement qu’elle n’était pas dupe.

Soudainement plus que mal à l’aise, Uozumi s’inclina légèrement.

-Bon, il est tard, je dois vraiment y aller maintenant. Excusez-moi encore pour tout ce dérangement et merci encore pour votre hospitalité.

-Je te raccompagne à la grille ! intervint Hikoichi, resté muet depuis l’arrivée de ses parents.

Tous deux enfilèrent rapidement leurs chaussures et Hikoichi escorta Uozumi jusqu’à la sortie du jardin, derrière le mur de la maison.

-Ta mère se doute de quelque chose, lâcha Uozumi dans un soupir.

Hikoichi fit une petite moue.

-Je m’en fiche.

Jun lui caressa la joue.

-Vraiment ?

Hikoichi hocha la tête avec une vigueur surprenante.

-Si tu es près avec moi, je me fiche de l’opinion du monde entier.

-Hikoichi…

Uozumi le serra tout contre lui et leurs lèvres se joignirent de nouveau, comme s’ils ne pouvaient se rassasier du goût de l’autre. Mais le géant brisa vite l’étreinte.

-Ce n’est pas très prudent ici. Autant éviter les ennuis au minimum non ?

Hikoichi approuva avec une certaine mauvaise grâce même s’il savait pertinemment que Uozumi avait raison. Devant sa moue boudeuse, Jun lui caressa les cheveux et piqua ses lèvres d’un dernier baiser rapide qui eut tôt fait de lui rendre le sourire.

-Je te vois demain ! lança le capitaine de Ryônan en s’éloignant.

Hikoichi rentra chez lui les jambes fébriles des évènements de la soirée et une main posée sur ses lèvres que Jun avaient embrassées durant des heures. Il n’avait jamais été aussi heureux de sa vie. Toute l’angoisse de ses dernières semaines s’était dissipée pour laisser place à la certitude que désormais Jun et lui étaient lié par les mêmes sentiments implacables.

Il ferma la porte de la maison à clé et fonça dans sa chambre avant que sa mère n’ait pu lui poser quelques questions embarrassantes.

******************

Lorsqu’il se réveilla ce matin là, Hikoichi se demanda si la soirée de la veille n’avait pas été simplement un rêve. Il se sentait encore tellement embourbé dans les méandres du sommeil ! Lentement, il porta une main engourdie jusqu’à ses lèvres et les caressa, se remémorant la sensation et le goût de la bouche de Jun, cette langue qui s’était mêlée à la sienne, ses mains dans ses cheveux, la chaleur de son corps dans ses bras. Tout cela avait été bien trop réel pour n’être que le fruit de son imagination.

Il sourit timidement et regretta que Jun ne soit pas couché à côté de lui. Il voulait encore l’embrasser, encore le caresser et bien plus… Il se sentit rougir. A quoi était-il donc en train de penser ? Ce n’était pas parce que sa relation avec Jun avait enfin prit un nouveau tournant qu’il fallait… enfin… que déjà… Ils avaient bien le temps après tout !

Se frottant les yeux autant pour chasser le sommeil que ces pensées mal venues, Hikoichi se demanda l’heure qu’il pouvait être. Même s’il s’était couché fort tard la veille il ne pouvait se permettre de trop traîner au lit aujourd’hui. Après tout il avait rendez-vous avec son cher Jun ! Son sourit s’élargit encore et il frémit d’impatience à l’idée de revoir le géant. Comment devait-il se comporter envers lui à présent ? Devait-il agir comme auparavant ou… Il ne savait que penser. Et Jun ? Etait-il aussi anxieux que lui ? Le capitaine de Ryônan s’était finalement révélé être un grand timide, il devait être dans un certain sens aussi mal à l’aise que lui. Et surtout… trouveraient-ils un endroit assez isolé pour s’embrasser de nouveau ? Bien trop de question au goût d’Hikoichi qui préférait quand les choses étaient nettes et claires. Mais enfin, cette sensation d’angoisse et d’inconnu donnait aussi un petit côté piquant à la situation qui finalement ne lui déplaisait pas.

Le réveil sur la table de nuit indiquait midi seize. Il s’en aperçut soudainement et se redressa d’un bond. C’était bien la première fois de sa vie qu’il dormait aussi tard ! Il espérait que Jun n’avait pas déjà téléphoné. Il courut jusqu’à la salle de bain, prit une rapide douche et s’habilla en quatrième vitesse puis descendit à la cuisine pour un tardif petit déjeuner. Il allait y entrer lorsqu’il se souvint du regard suspicieux de sa mère la veille et se figea sur place. Il regretta que ses parents ne soient pas partis comme habituellement à leur balade dominicaine. Sa mère se doutait-elle réellement de quelque chose ? Certainement… Il poussa un long soupir. De toute façon il ne pouvait pas passer le reste de sa vie à fuir sa chère maman alors autant l’affronter le plus tôt possible.

-Bonjour maman, bredouilla-t-il en pénétrant dans la cuisine.

Elle ne lui répondit pas et posa simplement un bol de soupe et un bol de riz devant lui.

-Merci, murmura-t-il, préférant encore une bonne engueulade à ce mutisme qui le déstabilisait.

-Tu ne trouves pas qu’il est un peu tard pour un petit déjeuner ? demanda-t-elle soudainement d’une voix froide.

Il se mordit les lèvres, tentant de calmer le tremblement soudain et inattendu de ses mains et de refouler les larmes qui menaçaient de passer ses paupières. C’était la première fois que sa mère s’adressait à lui d’un tel ton. Il avait dit à Jun qu’il se fichait de l’opinion des autres mais… mais il s’agissait tout de même de sa mère !

-Pardon, lâcha-t-il dans un soupir.

Il n’avait brusquement plus très faim. Mais pourquoi fallait-il que sa mère agisse de la sorte et qu’elle tente de gâcher ce bonheur qui était le sien ? Il aimait Jun, mais il aimait aussi sa mère, les deux étaient-ils vraiment incompatible ?

Il baissa la tête et essuya une larme qui avait perlé au coin de son œil. Il aurait tellement voulu faire comprendre à sa mère qu’il n’y avait rien de mal à sa relation avec Jun mais… même si habituellement il était un bavard incorrigible, tout sens du langage semblait l’avoir à présent déserté. Comment, d’aussi heureux en se réveillant tout à l’heure avait-il pu si brusquement passer à ce stade de détresse… Il avait toujours été extrême dans ses émotions mais jamais à ce point. Vivement que Jun soit près de lui pour le conforter dans ses sentiments, pour le consoler par sa douceur.

Il entendit sa mère pousser un long soupir et s’installer sur une chaise face à lui mais il n’osa pas lever la tête et affronter son regard plein de reproches. Tous deux gardèrent le silence quelques instants, un silence pesant et désagréable puis elle prit la parole, d’une voix lasse.

-Hikoichi, au sujet d’hier soir…

Il déglutit péniblement, se demandant ce qu’elle allait pouvoir lui dire ou comment il allait pouvoir se justifier. Mais la conversation tourna court lorsque la sonnerie du téléphone se fit entendre. Maman Aida hésita quelques instants, soupira de nouveau puis décrocha. Elle hocha la tête mais son expression se durcit de nouveau quand elle tendit le combiné à Hikoichi.

-C’est Uozumi-kun, annonça-t-elle d’un ton dont Hikoichi ne détermina si c’était du dégoût ou de la rancœur. Quoiqu’il en soit, ce n’était de toute façon pas très positif.

Le cœur battant et soulagé de n’avoir pas à poursuivre cet embarrassant dialogue avec sa mère, Hikoichi saisit le téléphone.

-Allô, commença-t-il timidement.

Il sentit le regard inquisiteur de maman Aida se poser sur lui. Il aurait aimé lui demander de lui laisser un peu d’intimité mais il n’osa pas. La situation était déjà suffisamment tendue comme cela. La voix de Jun eut cependant tôt fait de lui faire oublier sa présence.

-Allô Hikoichi ?

Hikoichi sentit un sourire idiot se dessiner sur son visage comme à chaque fois que Jun prononçait son nom.

-Oui…

Il sentit Uozumi hésiter quelques secondes à l’autre bout du fil. Apparemment, lui aussi avait du mal à gérer les événements de la veille.

-Euh… Hikoichi, reprit-il d’un timbre gêné que Hikoichi ne lui connaissait pas encore.

Ce dernier sentit une chair de poule se répandre sur ses bras et son sourire s’effacer. Le ton de Jun ne présageait rien de bon.

-Qu’est ce qu'il y a Jun ? Un problème ?

-Je suis désolé Hikoichi je… je ne pourrai pas venir te voir aujourd’hui, annonça-t-il, ponctuant sa phrase d’un long soupir.

Le cœur d’Hikoichi stoppa un instant dans sa poitrine et de nouvelles larmes piquèrent ses yeux. Pourquoi justement aujourd’hui, alors qu’il avait le plus besoin de lui, Jun ne pouvait-il pas venir ? Pourquoi, après tout ce qui s’était passé entre eux la veille, ne pouvait-il pas de nouveau le serrer rapidement dans ses bras ?

-Pourquoi ? demanda-t-il tout simplement.

Uozumi mit quelques secondes à répondre.

-Si tu savais comme je suis désolé mais, j’ai un empêchement de dernière minute. Pardon Hikoichi, pardon… J’espère que tu ne m’en voudras pas trop…

Hikoichi secoua la tête, encore abasourdi par la nouvelle.

-Non, balbutia-t-il enfin.

Comment aurait-il pu en vouloir à Jun ? Après tout ce n’était pas de sa faute, ce genre de choses arrivait parfois. Déçu et triste, il l’était certainement, rancunier, non.

-Bon, je te vois lundi au lycée alors… conclut Uozumi d’une voix penaude.

-A lundi, répondit machinalement Hikoichi.

Et il raccrocha.

Il ferma les yeux quelques instants, respira lentement jusqu’à avoir complètement refoulé les larmes qui lui étaient montées aux yeux puis il se leva de table.

-Tu sors à quelle heure ? interrogea sa mère, de nouveau glaciale.

-Je ne sors plus.

Il entendit son gloussement triomphant.

-Maintenant qu’il a eu ce qu’il voulait avec toi, il est parti voir ailleurs, railla-t-elle.

Hikoichi, sur le point de quitter la cuisine, stoppa brusquement. Toute la peine qu’il pouvait ressentir se mua soudainement en colère contre sa mère. Comment pouvait-elle douter de Jun de cette façon ! Même s’ils ne s’étaient rien dit, il aimait Jun et il savait que Jun l’aimait, il lui faisait confiance. En plus, il n’avait pas été aussi loin avec Jun qu’elle le laissait entendre ! Il faillit se retourner pour déclencher une nouvelle et sans aucun doute violente dispute mais il parvint à se contrôler et à la place, il se précipita dans sa chambre.

Il passa une bonne heure à ne rien faire, allongé sur son lit à regarder le plafond en poussant de longs soupirs. Jamais un après-midi ne lui avait paru plus morose. Lui qui habituellement trouvait toujours quelque chose à faire était indéniablement en manque d’idée. Il se remémora la soirée de la veille mais cela ne fit qu’accroître davantage sa nostalgie.

Il envisagea ensuite de donner un coup de téléphone à sa grande sœur. Ils avaient beau souvent se disputer, Yayoi (nda : ce n’est pas ma faute si la sœur de Hikoichi a un prénom ridicule, il faut vous en prendre à Takehiko Inoue) était une femme intelligente, à l’esprit ouvert et généralement de bon conseil. Il ne doutait pas qu’elle se place de son côté face à leur mère mais… il n’avait pas très envie de créer un véritable conflit familial. Sans compter qu’il ne savait pas trop comment lui annoncer sa liaison avec Uozumi. Elle en ferait probablement encore un moyen de se moquer de lui.

Il pensa alors à Kenji Fujima mais secoua la tête. Tout cela ne concernait pas le capitaine de Shôyô…

N’y tenant finalement plus, il décida d’aller prendre l’air. Tout sauf rester encore dans cette maison à l’atmosphère étouffante.

Rapidement, il descendit l’escalier et enfila ses chaussures. Le bruit attira bien évidemment sa mère.

-Où vas-tu encore ? Je croyais que tu ne sortais pas aujourd’hui !

Sans répondre, il claqua la porte derrière lui.

Sortir lui était apparu comme un bon moyen de se changer les esprits mais à présent qu’il était dans la rue, il ne savait plus trop où aller. Dernièrement, lorsqu’il était allé se promener, Jun avait toujours été à ses côtés. Maintenant, il se sentait plus seul que jamais. Il erra sans réel but pendant une bonne dizaine de minutes, les mains dans les poches et traînant des pieds. La douceur de l’été se faisait toujours sentir, et en ce dimanche après midi ensoleillé, il était loin d’être le seul piéton en balade. Mais il se sentait déplacé au milieu des rires et de l’agitation ambiante. Il aurait aimé lui aussi avoir quelqu’un avec qui s’amuser.

Au bout du compte, il prit la direction du centre ville et de ses galeries commerciales. C’était le point de rencontre des jeunes de la région il y a avait de fortes chances qu’il y croise une connaissance ou deux, aptes à engager une discussion plaisante et distrayante.

Il y arriva rapidement et comme il l’avait espéré, l’endroit était bondé. Il parcourut les allées au hasard, comptant sur sa chance. Mais apparemment elle n’était pas au rendez-vous car une heure plus tard il était toujours seul. Poussant un soupir de dépit, il fit une pause, s’achetant un nikuman (nda : ceci n’est pas un super héros mais un genre de beignet à la viande) et un coca-cola pour rassasier son estomac vide depuis la veille. S’il recommençait à avoir faim, c’est qu’il y avait du mieux dans son humeur, considéra-t-il avec un semi-sourire.

Par la suite, il flâna le long des vitrines pendant encore quelques temps, observant la foule qui diminuait peu à peu au fil de l’après midi, à la recherche d’un visage connu mais sans succès. Il allait abandonner pour finalement rentrer chez lui, même si cette perspective ne le ravissait pas, lorsqu’il aperçut au loin une immense silhouette. Quelqu’un de cette taille…

Il se précipita mais l’homme était trop loin et le temps qu’il arrive, il avait déjà disparu dans l’une des nombreuses allées de la galerie. Hikoichi poussa un soupir de dépit. Et si ça avait été Jun ? Puis il secoua la tête. Non, si Jun avait une affaire importante à régler, il ne serait certainement pas à se promener au centre-ville. De plus, il lui avait semblé apercevoir une fille accrochée au bras du géant. Il ne s’agissait certainement pas de Jun ! Peut être était-ce Akagi et sa sœur ?

Il arpenta une nouvelle fois les allées au pas de course à la recherche d’un éventuel géant mais l’homme avait bel et bien disparu. Il s’assit dans un coin pour réfléchir quelques secondes à la question. Ca ne pouvait absolument pas être Jun ! Mais il avait beau tenter de s’en convaincre, une petite part de lui-même restait dans le doute.

Hikoichi, tu as l’esprit troublé en ce moment, tu fais une obsession, ce n’est pas bon ça ! essaya-t-il de se persuader. Tu vois Jun partout mais Jun avait aujourd’hui autre chose à faire que de partir en balade ! Alors tu vas gentiment rentrer chez toi et tu le reverras demain au lycée et tout sera réglé.

Mais lorsqu’il quitta le centre-ville, c’est le chemin de la demeure de Jun qu’il prit, pas celui de la sienne. Il se sentait parfaitement idiot mais il fallait qu’il soit sûr. Il avait déjà bien assez de problème en ce moment pour ne pas avoir à ajouter le doute envers son petit ami.

Et qu’est ce que je vais pouvoir lui dire pour justifier ma visite ? se demanda-t-il en cours de route. Bah, tout simplement que j’avais envie de le voir ne serait-ce que cinq minutes, ça devrait tout de même lui faire plaisir.

Bien qu’il connaisse l’adresse de Jun par cœur, il ne s’était encore jamais rendu chez lui. Il tourna en rond pendant une dizaine de minutes pour finalement découvrir que cela le menait jusque devant un restaurant réputé de la ville. Hikoichi ouvrit des yeux tout ronds. Jun ne lui avait jamais dit que sa famille tenait un restaurant ! Pourtant il était certain d’être à la bonne adresse ! Il s’empourpra brusquement. Jun venait d’une famille de restaurateurs et lui, il avait voulu le séduire avec sa cuisine de débutant ! Quel idiot ! Il poussa un long soupir. Il y avait encore tellement de choses pourtant banales que Jun ne lui avait pas dit.

Le cœur battant fort, il poussa la porte et entra. En cette fin d’après-midi, la salle commençait à se remplir et une douce odeur appétissante flottait dans l’air. Le chef, derrière le comptoir, était un homme d’une quarantaine d’année, plutôt grand à la mâchoire carrée. Pour Hikoichi, il ne fit aucun doute qu’il s’agissait du père de Jun. Timidement, il s’approcha, nerveux d’interrompre l’homme qui dépeçait un poisson d’un geste expert sous le regard admirateur de ses clients. Mais celui ci leva de lui-même la tête pour tourner son regard vers Hikoichi. Ses traits rudes s’adoucirent considérablement lorsqu’il sourit, le faisant paraître plus jeune qu’il ne devait l’être en réalité.

-Une personne ? Au comptoir ou à une table ?

Hikoichi secoua la tête.

-Non, non ! Je… je ne viens pas manger.

L’homme le fixa, visiblement étonné.

-Alors tu cherches du travail ?

-Non, non, non, pas du tout ! En fait… je viens voir Jun…

Le sourire du chef s’élargit.

-Oh, tu es un de ses camarades de classe !

-On joue au basket ensemble en fait.

Le père de Uozumi hocha la tête.

-Je ne sais pas où il est, attends un instant s’il te plait ! Chérie ! cria-t-il à une femme plutôt frêle qui nettoyait une table un peu plus loin.

Celle ci s’approcha du comptoir en s’essuyant les mains sur son torchon.

-Qu’est ce qu’il y a ?

-Tu sais où est Jun ?

Elle eut un large sourire qui illumina son visage fatigué par une longue journée de travail.

-Il n’est toujours pas rentré je crois ! Tu penses, vu comme il était heureux lorsque Célia (nda : y’en a une qui va me tuer…) est venue le chercher pour une promenade ce midi !

-Ah ça, ajouta l’homme, il ne s’est pas fait prier pour y aller !

Puis il se retourna vers Hikoichi.

-Désolé petit mais il n’est pas là pour le moment. Tu veux qu’on lui laisse un message ?

Hikoichi secoua mollement la tête.

-Non, ça va aller, ce n’était pas important.

Puis il se précipita hors du restaurant et prit le chemin du retour.

Jun lui avait dit qu’il avait un empêchement de dernière minute… or, il était parti se promener avec " Célia "… Mais qui était " Célia " ? Jun ne lui en avait jamais parlé… Toujours est-il que Jun avait annulé leur rendez-vous pour aller se promener avec " Célia "… C’était alors sûrement eux qu’il avait vus au centre ville tout à l’heure… Jun avait préféré passer l’après-midi avec " Célia " plutôt qu’avec lui… Mais bon dieu, qui était " Célia " ? Jun était fils unique, ça ne pouvait pas être sa sœur donc qui… et pourquoi la voir elle plutôt que lui ?

Il sentit les premières larmes ruisseler sur ses joues alors que toutes ces questions de bousculaient dans sa tête. Sa mère avait-elle finalement raison au sujet Jun ? Il poussa un hurlement et s’élança au pas de course jusque chez lui, faisant abstraction des voitures, des vélos et des autres piétons, sa vue obscurcie par un flot de larmes douloureuses, son souffle difficile et haché.

Il rentra chez lui, claqua la porte d’entrée et se précipita dans sa chambre pour se jeter sur son lit et donner libre court à la douleur insupportable qui lui déchirait le cœur.

Maman Aida était en train de préparer le dîner lorsqu’elle entendit la porte d’entrée se refermer avec grand fracas puis une course effrénée dans l’escalier. Elle avait également passé une mauvaise journée. Elle n’aimait pas être aussi froide et cruelle avec son petit garçon mais il était encore tellement jeune et l’idée de ce que pouvait être sa relation avec Uozumi-kun… Fondamentalement, elle n’avait jamais rien eu contre ce genre de choses, tant que ça ne touchait pas son propre foyer. Elle ne pouvait concevoir son fils dans les bras du géant. Uozumi était un gentil garçon elle le savait, et Hikoichi avait l’air heureux avec lui mais il n’avait que quinze ans ! Elle n’avait pas l’intention de le laisser faire n’importe quoi de sa vie ! Elle aurait dû plus se méfier des fréquentes visites de Uozumi et de l’enthousiasme excessif qu’elles provoquaient chez Hikoichi. Lorsqu’elle les avait surpris les joues rougies, les cheveux décoiffés, en tenues élégantes avec roses et bougies sur la table, tout s’était enfin mis en place dans sa tête. Sur le moment, elle avait tenté de garder son calme mais ça avait tout de même été un grand choc auquel elle n’était pas suffisamment préparée. D’où son attitude sans doute maladroite au petit déjeuner. Elle avait passé le reste de l’après-midi à réfléchir sans trouver de solution satisfaisante pour résoudre cette situation de crise.

La précipitation avec laquelle Hikoichi était monté dans sa chambre à son retour ne présageait cependant rien de bon. Même si elle l’avait mis en colère à midi, il aurait dû rentrer plus serein, or ce n’était apparemment pas le cas. Il avait du se passer quelque chose. Poussant un nouveau soupir las, elle posa son couteau de cuisine.

Dans le hall, elle réalisa que Hikoichi ne s’était même pas déchaussé. C’était tout à fait inhabituel pour un garçon généralement aussi bien élevé que lui, même dans les pires états où elle avait pu le voir jusqu’à présent.

Le cœur serré, elle monta les escaliers et frappa à la porte de sa chambre.

-Hikoichi ? appela-t-elle doucement.

-FOUS MOI LA PAIX ! hurla-t-il d’une voix entrecoupée de sanglots.

Elle tiqua, non pas parce qu’il s’était adressé à elle de la sorte mais parce qu’Hikoichi n’avait de toute façon jamais parlé comme ça à qui que ce soit et en aucune occasion. Et cette douleur dans sa voix. Il avait véritablement dû se passer quelque chose entre lui et Uozumi au cours de l’après-midi. Elle refoula ses propres larmes. Quoi de pire pour une mère que de voir son petit garçon souffrir…

Silencieusement, elle entra dans la chambre. Les rideaux avaient été tirés mais la lumière douce du soleil couchant qui filtrait tout de même baignait la pièce d’une lumière dorée. Hikoichi était roulé en boule sur son lit, la tête entre les mains. Il lui tournait le dos mais elle voyait parfaitement aux spasmes qui le secouait qu’il pleurait.

Doucement, elle vint s’asseoir sur le lit et posa une main sur son épaule.

-Hikoichi ?

-Ne me touche pas, geignit-il.

-Hikoichi, insista-t-elle, plus fort cette fois, poussant son épaule jusqu’à ce qu’il consente à la regarder.

Jamais elle n’aurait imaginé voir son fils ainsi. Une telle peine ravageait ses traits et son regard, habituellement si joyeux… Elle sentit son cœur de mère se briser. Tous les reproches de la matinée qu’elle avait voulu lui faire furent instantanément oubliés.

-Hikoichi, murmura-t-elle en lui tendant ses bras.

Il vint s’y blottir comme lorsqu’il était enfant et épancha ses pleurs sur son épaule. Tendrement, elle lui caressa le dos et les cheveux, tentant de quelque peu l’apaiser.

-Chut mon bébé… ça va aller… ça va aller…

-Maman… maman… gémit-il entre deux sanglots, s’accrochant à elle de toutes ses forces. J’ai mal… j’ai si mal…

-Je sais mon bébé… je sais…

Et elle le berça jusqu’à ce qu’il s’endorme, épuisé.

(à suivre...)

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