Chapitre 12

" Et merde ! " hurla Sorata en s’écartant brusquement. Il avait jusqu’ici réussi à éviter toutes les attaques de Jack ; une demi-douzaine de poignards acérés l’avait frôlé sans le toucher, arrachant tout de même de-ci de-là quelques morceaux d’étoffe. La veste Armani qu’il portait se déprécia petit à petit, de telle sorte qu’il préféra l’ôter afin de ne pas être gêné.

" Ce n’est vraiment pas gentil de réduire ainsi mes vêtements en lambeaux. Que vont dire mes créanciers ? Une veste comme celle-là, c’est pas donné. " dit-il à Jack, une pointe de moquerie dans la voix.

" Oh. Je ne voulais pas gâcher un si beau travail de couture. Si vous me laissiez vous transpercer, vous n’auriez plus à vous inquiéter de la tenue de votre garde-robe. " répondit Jack sur le même ton.

" Pour que vous salissiez ma chemise Jean-Paul Gaultier avec mon sang ? Vous n’y pensez pas ? "

Seishiro était consterné. Depuis tout-à-l’heure, ces deux hommes s’affrontaient dans ce qu’il semblait être un combat à mort, et tout en se lançant des attaques puissantes, ils discutaient… couture ? Mode ? Mais avec quelles sortes d’énergumènes était-il donc tombé ?

" Je crois que nous devrions en rester là côté mondanité. Votre protége ici-présent me semble perdu. "

" Pourquoi ? Parce que vous l’avez enfermé dans un kekkai ? (D’ailleurs très bien construit, il n’y a rien à redire.) " repartit Jack.

" Non, mais je ne crois pas qu’il ait saisi toutes les subtilités d’un beau point de croix ou du toucher délicat d’une écharpe en cachemire. (Au fait, merci pour le kekkai. Si si, ça me flatte.) "

" JE PEUX SAVOIR CE QUI SE PASSE ICI ? "

Les deux protagonistes se tournèrent vers Seishiro qui regretta aussitôt de s’être emporté.

" Euh… je crois que… je vais y aller… je n’y connais rien, et puis… vous voulez peut-être que je vous laisse seuls… " balbutia-t-il, confus et honteux.

Sorata partit d’un franc éclat de rire qui fit lever un sourcil suspicieux de la part de Jack.

" Qu’y a-t-il de si drôle ? " demanda-t-il.

Sorata s’essuya les yeux, riant jusqu’aux larmes tout en continuant à fixer Seishiro.

" Ca alors… qui aurait cru ça… jusqu’au bout, tu seras un parfait farceur, Sakurazukamori. "

" Euh… je ne voudrais pas vous décevoir, mais je ne pense pas qu’il plaisantait. "

" Justement. C’est ce qui est aussi pathétique chez lui. "

Il disparut tout-d’un-coup du champ de vision de Jack, trop rapide pour qu’il puisse l’esquiver. Il se tenait maintenant derrière sa cible et lui collait un couteau contre la gorge. Un de ceux que son adversaire lui avait précédemment lancé.

" Eh bien, Mister Fabulous ? Plus de tour de passe-passe ? Je savais bien que vous n’étiez qu’une pâle copie de ce taré de Yuuto. "

Jack n’osa plus bouger. Du coin de l’œil, il observait les réactions de son ennemi.

" O.K., j’avoue que vous êtes très fort. Vous m’avez battu. Satisfait ? "

" Pas vraiment. Qui êtes-vous, et qui vous envoie ? Comment faites-vous pour pénétrer dans mon kekkai sans y être invité ? Si vous répondez à mes questions, je serais peut-être gentil et je ne vous égorgerai pas. "

" Ah oui ? C’est vrai ce mensonge ? "

" Bien sûr. Je me contenterais de vous griller jusqu’à vous réduire en cendres. C’est bien plus propre, et ça prend moins de place. "

" Très drôle. "

" A quoi vous attendiez-vous ? Des fleurs, un dîner et une soirée en amoureux ? " ajouta-t-il malicieusement.

" Moi qui vous prenais pour un rapide. En fait, vous êtes un grand romantique. "

" J’avoue. J’adore lire de temps à autre un bon shojo-manga. Pas de prise de tête, et une histoire qui se termine bien. Mais revenons à notre sujet, s’il-vous-plaît. Qui êtes-vous ? "

" J.B. Jack pour les intimes. "

" Rien d’autre ? "

" J’adore la coupe de votre pantalon. Il tombe vraiment très bien. "

" Ce n’est pas… "

Ses mots s’étranglèrent dans sa gorge. Les yeux exorbités, il lâcha le couteau qui alla heurter le sol, le bruit de sa chute se répercutant en un écho sinistre à travers l’atmosphère livide. Le temps se figea.

Jack sentit le corps de Sorata glisser contre le sien, laissant dans son dos une trace humide dont il devina la nature.

" Goodbye, Jocker. " murmura-t-il. " Nice to met you. "

Lorsqu’il se décida enfin à se retourner pour affronter la vision de son cadavre, il se rendit compte que celui-ci était encore en vie, mais pour combien de temps ? Un trou béant s’ouvrait dans son abdomen, administré par le troisième homme dont la main ensanglantée semblait défier la quiétude de l’endroit.

" Seishiro ? " demanda-t-il doucement. " Ca va ? "

" Non… " Ses yeux étaient révulsés par l’horreur. " Je ne voulais pas… Seigneur, je vous jure que…non… " gémit-il.

Comment avait-il pu faire une chose pareille ? Tuer… de sang-froid… un homme ? De quel droit… ?

" DE QUEL DROIT ? " hurla-t-il en se prenant la tête dans les mains.

" Assassin ! "

" Monstre ! "

" Meurtrier ! "

Arrêtez-les…

" Il n’a pas changé. On ne change pas le loup en agneau. "

Non !

" C’est le démon ! "

Ces voix dans ma tête… je vous en prie… 

" Sakurazukamori ! "

Arrêtez ! ! !

" Seishiro. "

C’était Sorata. Il leva vers Seishiro des yeux remplis de pitié.

" Je suis désolé. Je… je crois que j’ai été égoïste… "

" Sorata ? " dit Seishiro à travers ses larmes. " Non, c’est moi… votre corps… "

" Tu te trompes. C’est moi qui l’ai décidé. "

" Comment ? Mais c’est de ma faute… vous allez… "

" Mourir ? C’est ça ? Enfin… c’est pas trop tôt. " Il eut une quinte de toux qui lui arracha une mare de sang de la bouche.

" Ne bougez pas ! Je vais appeler un médecin ! "

" C’est inutile. Regarde. "

Autour d’eux, la nappe brumeuse qui enveloppait le quartier se mit à s’évaporer lentement, tandis que l’air se remplissait d’obscurité et des bruits familiers de la cité.

" Qu’est-ce que… "

" Enfin… je vais pouvoir rejoindre mes compagnons… Kamui… pardonne-moi. Je n’ai pas pu tenir la promesse que je t’ai faite… "

" Imbécile. "

" Qui… ? "

" Tu n’as pas changé, toi non plus. Toujours aussi irréfléchi. "

" Qui est là ? "

" Sorata-san ? "

" Bienvenue. "

" Arrêtez. Il ne mérite pas cet accueil. "

" Ne dis pas ça… "

" Ne sois pas si dure avec lui. Après tout, il est resté jusqu’à présent."

" C’est un idiot. Mais… je suis quand même heureuse de le voir."

" Moi aussi… je suis heureux de te revoir. "

L’ange lui sourit timidement, sous le regard attendri des trois autres ombres. Un salary-man, une femme (en petite tenue ?) et une jeune fille étrangement escortée par un animal. Un loup.

" Je t’ai aimé. "

" Sorata ? Sorata ! " Seishiro se mit à secouer frénétiquement les épaules du jeune homme étendu, soudain inquiet.

" Arashi. "

" Sorata ! Nooooooooonnnnnnnnnnnn ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! "

Le kekkai finit de se résorber et disparut complètement. Au milieu d’une ruelle sombre, un homme pleurait la mort d’un autre.

 

Et voilà l’interlude 4 ! Celle-ci est dédiée à Seishiro, mais pas seulement. J’ai repris la situation de la fin du film de X. Je suppose que tout le monde la connaît, mais juste au cas où, ne lisez pas si vous avez peur d’un spoiler ! Et comme d’habitude, y’en a qui vont quand même lire… sniff… je me suis toujours pas remise de la pré-pub de X… sniff… Sei…T_T

Bonne lecture quand même…

Mokoshna-sama, qui retourne user une boîte de mouchoirs.

 

*~*~*~*~*~*~*~*~*~*~*~*~*~*~*

 

Interlude 4 : Sakurazukamori.

Songfic I

DANCIN’ IN THE BABYLON(*)

Cette ville est un océan de rayons de lumières. TWILIGHT.

Une ville en effervescence, la nuit. Un homme marche seul dans la foule, l’air rêveur. Ses yeux sont voilés par d’épaisses lunettes de soleil, comme pour le protéger des lumières aveuglantes de la cité.

Anonyme, insignifiant, il continue son chemin à travers les néons et les enseignes rutilantes.

C’est dans le mensonge de la nuit que l’on trouve la vérité. WICKED.

Il s’arrête dans une boutique pour y faire ses courses. Le reconnaissant, la vendeuse, une étudiante qui travaille à mi-temps, l’accueille avec bienveillance et commence à discuter avec lui. Il sourit, ce qui fait craquer la jeune fille qui lui demande comment un homme aussi charmant puisse rester encore seul. Il répond en riant qu’il a déjà dédié sa vie à quelqu’un.

Les criminels tissent une illusion de vanité et d’amour.

Elle le trouve si sombre et mystérieux avec son long manteau et ses lunettes noires qu’il ne quitte jamais ! Mais il lui fait en même temps un peu peur. Il ressemble à ces yakusas que l’on voit dans les films.

Nous franchissons la porte du temps. Faisons disparaître les buildings. GETDOWN SHAKEDOWN.

Un corps gît sans vie dans une allée déserte. Près de la jeune fille inanimée, un homme ôte ses lunettes. Ses yeux sont aussi froids et indifférents que cette ville.

D’un geste, il fait disparaître le paysage urbain qui se trouve remplacé par un espace vide, blanc et immense, dans lequel les taches rouges de ses mains se reflètent en un tableau horrible et fascinant.

BAD NEWS, oublions les illusions. LET’S DANCE.

Se retournant, il se retrouve face à face avec celle qu’il vient de tuer, dont l’âme blessée est fixée pour l’éternité. Une petite fille. Ses yeux violets le fixent avec reproche, tandis qu’une douce mélodie se fait entendre.

Des ombres dansent autour de cette nouvelle âme perdue et la réclament auprès d’elles.

BRAND-NEW, nous sommes à l’aube d’un grand changement. LAST LIGHT.

Elles sourit faiblement à ses compagnes. Puis, adressant un dernier regard à son meurtrier, elle lui confie un ultime secret avant de disparaître dans une gerbe de lumière.

L’éternité se perd dans l’amour du passé.

Il fixe d’un air perplexe l’endroit où elle se trouvait précédemment. Pourquoi lui a-t-elle dit qu’ils ne se reverraient jamais dans cette vie ? Son âme lui appartenait, à présent… pourquoi a-t-il soudain l’impression d’avoir déjà vécu cette scène ?

Ces yeux violets… ses yeux verts. Le même regard. Pour l’éternité.

N’attendez plus, l’heure de la justice ne sonnera pas. BADTIME BADLOVE.

Cette pensée le fait sourire. Oseraient-elles le défier ? Elles n’avaient pourtant aucune chance…

Il rit à gorge déployée. Quelle importance ? Tôt ou tard, il aurait ce qu’il voulait. La mort ne faisait aucune différence, elle. Jeune ou vieux, riche ou pauvre, elle finirait par achever son œuvre.

Et qu’importe l’amour.

 

DANCIN’ IN THE BABYLON.

Le crime détruit le futur.

1999. L’année de la " Promesse ". L’année où de gigantesques tremblements de terre ont anéanti la quasi-totalité de la ville de Tokyo. Parmi les victimes, huit d’entre elles ont participé à cet avènement.

DANCIN’ IN THE STING LOVE.

Nous cherchons un rêve et une nuit sans fin.

Six autres attendent et se battent, rêvant à un avenir différent. Pour toujours.

L’obscurité les engloutit, parachevant leurs désirs.

DANCIN’ IN THE BABYLON.

Nous sommes dans un labyrinthe dont personne ne peut s’enfuir.

Reflètent leurs souhaits, scellent leurs rêves. Ils sont tous prisonniers de leurs désirs.

Dix êtres liés par le même destin. Deux mondes se rencontrent l’espace d’un soupir.

DANCIN’ IN THE STILL HEART.

Je te tuerai d’une parcelle de temps, sortie de mon cœur. " KILL YOU. "

<Flashback >

Le fracas de deux épées qui s’affrontent percent le ciel. Deux silhouettes se détachent dans les ruines silencieuses. Un frôlement, le temps d’un regret. Du sang et des larmes coulent en un son étouffé.

Une silhouette recroquevillée sur elle-même, désespérée, agrippant un visage à jamais figé.

Le Kamui du Ciel tient le Kamui de la Terre dans ses bras.

 

La ville est un tourbillon de phares. GROOVIN’.

Tourne et tourne la roue du Destin, ne s’arrête jamais. Cette ville est le reflet de leurs désirs.

Ville de lumière, ville de noirceur, cité toujours détruite et toujours reconstruite.

Quelle débauche de sentiments ! BADDEST.

Connaît-elle leurs secrets ? La confidente sourde des désillusions.

Chaque jour nous tentons d’échapper à ce rêve sans fin.

Peut-on changer le cours du destin ? Peut-on rejeter la vérité, pour un mensonge plus séduisant ?

Ce miracle ne cachait pas de mystère. BREAK TOWN BREAK DOWN.

Souriez, car vous lui êtes précieux. Vivez, car vous lui êtes nécessaires.

Pleurez, car elle saura vous tromper. Mourez, car elle saura vous remplacer.

BAD NEWS, voici la route qui nous mènera au jardin de la corruption. LET’S TRY.

Dix êtres marchent sur des chemins différents, qui mènent vers un même but. Cette humanité dépravée va bientôt connaître son sort. Rit et chante ; Damoclès, l’épée de Dieu est sur toi.

BRAND-NEW, les codes barres sont alignés. MAKE LOVE.

Une autre silhouette se découpe dans le crépuscule. Il attend son heure.

Les gens armés de visages souriants sont tous des menteurs.

Souriant, il lève le bras vers le jeune garçon qui serre son ami dans ses bras.

" Kamui… " murmure-t-il à l’intention de sa future victime.

" Je suis désolé… "

Nous vivons dans l’optique d’un futur sans espoir.

BACKWARD BACK-EYES.

" Fais-le ! " hurle-t-il.

" Je t’en prie… il faut… que tu le fasses. "

Sa main s’abattit sur lui. Lorsqu’il la retira, un trou béant se trouvait dans la poitrine de Kamui. Celui-ci leva les yeux vers lui des yeux remplis de reconnaissance.

" Merci… Subaru. " murmura-t-il avant de s’écrouler au sol. Il tenait encore la tête de celui qui fut son meilleur ami.  

DANCIN’ IN THE BABYLON.

Le futur s’estompe dans l’obscurité.

Le kekkai se désagrégea petit à petit, dévoilant une ville dévastée. La nuit tombait sur Tokyo.

Un homme se glissa à côté de Subaru et lui prit la main.

DANCIN’ IN THE STING LOVE.

Ce soir l’amour sera au bord du précipice.

" Alors… tu l’as finalement fait. " lui dit simplement Seishiro.

" Oui. Je… " Il tenta maladroitement d’allumer une cigarette. Elle lui tomba des mains. Des larmes coulaient sur ses joues.

" Je ne voulais pas… mais… je… je n’avais pas le choix. Il le souhaitait… oh mon Dieu, il désirait tellement mourir… "

Seishiro le prit tendrement dans ses bras. Là où ils se trouvaient… au bord de l’étage. Les vitres avaient explosé sous le choc du combat. Encore un pas, et ils se seraient écrasés au sol, trente-trois mètres plus bas. Juste un pas…

DANCIN’ IN THE BABYLON.

Dans cette promesse se trouve un piège.

" Subaru… tu te souviens de cet endroit ? "

" C’est ici… que j’ai exorcisé le fantôme de cette fille qui s’était suicidée, Kazue Kato. C’était avant… "

" Oui… et c’est aussi ici que, pour la première fois, nous nous sommes embrassés. T’es souviens-tu ? Tu était si gêné… tu t’es même enfui lorsque ta sœur t’a demandé ce qui s’était passé. "

" C’est vrai… mais comment lui dire ? Hokuto était parfois tellement… enfin… "

" Ta sœur te manque ? " demanda brusquement Seishiro.

Subaru le regarda d’un air triste.

" Un peu… mais ce n’est pas ma tristesse qui la ramènera. Et puis… je dois faire quelque chose. "

" Je sais. "

" Je suis désolé… "

" Ca, tu l’as déjà dit. Fais-le. Après tout, tu l’as promis à Kamui. "

DANCIN’ IN THE STILL HEART.

Je te tuerai d’une parcelle de temps, sortie de cette ville. " KILL YOU. "

Un homme seul, plongé dans ses pensées. Assis sur un banc du commissariat, il attend que l’on vienne le chercher. Quelques heures plus tôt, il à été retrouvé dans Tokyo, recouvert d’un sang qui n’était pas le sien. Errant sans but, sans famille, sans avenir. Et un seul nom comme indice. Seishiro Sakurazuka.

Il était mort. Il en est sûr ; il aurait dû être mort. Pourquoi est-il toujours en vie, s’il doit se retrouver seul ? Sans personne…

Quelqu’un s’approche et attend patiemment qu’il lève les yeux vers lui. Il s’agit d’un jeune homme aux cheveux mi-longs. Ses yeux, d’un vert émeraude magnifique, ne cessent de le hanter. Il lui sourit gentiment et s’assied à côté de lui. Sa voix lui rappelle le doux murmure du vent dans le ramage des cerisiers en fleur.

" Bonjour. Je m’appelle Subaru Suméragi. Et vous ? Que faites-vous ici ? "

 

(*) : Chanson extraite du troisième volume de Tokyo Babylon, traduit en français par Tonkam.

Dancin’ in the Babylon pourrait être la chanson de Seishiro.

 

Chapitre 13

 

Subaru aspira une autre bouffée de sa cigarette avant de l’écraser d’un geste nonchalant sur le cendrier de son bureau. Masa et Ranmaru venaient de s’en aller ; resté seul, il pouvait à loisir réfléchir sur sa situation.

Il ne doutait pas qu’il venait de se faire deux ennemis, comme tous ceux qui avaient croisé sa route jusqu’à présent. Même Sorata ne pouvait plus lui être d’aucun secours ; il l’avait senti, son ami n’était maintenant plus de ce monde. Il était bel et bien seul. Quelle importance ? Il le savait depuis le début. Il avait lancé la roue du Destin, et il devait continuer à suivre sa course. Nul ne change ce qui a été décidé par les étoiles. Mais on peut toujours, à l’occasion, leur donner un petit coup de pouce. Il suffisait d’être patient.

 

" Kai ? " demanda timidement Tashiro. " Que veux-tu dire ? Les deux Kamui ? Qui sont-ils ? "

" Je… je ne sais pas… plus… " hésita Kai, visiblement perturbé.

" Kai. " Tashiro se fit sérieux. " Tu ne te souviens vraiment de rien ? "

" Qu’est-ce que tu veux dire ? "

" Je parle de toi ! De ta vie avant que tu ne deviennes Liseur de Rêves. Tu ne peux pas avoir tout oublié comme ça ! Et Masanori ? "

" Masanori… le commissaire Araki ? Le chef de la section à laquelle m’a affecté Subaru ? Mais quel rapport y a-t-il avec lui ? "

" Enfin, souviens-toi… tu l’aimais… "

" Quoi ? ! Je ne comprends pas… "

" Tu n’as pas toujours été ici. En fait, tu es… "

 

" Il est temps d’y aller, Monsieur Sakurazuka. " finit par dire Jack.

" Mais… et lui ? Et son corps ? " articula Seishiro.

" Laissez-le là. Quelqu’un finira bien par le trouver. "

" On ne peut pas faire ça ! "

" Nous n’avons pas le choix. Il faut que vous compreniez que le temps nous est compté. Kamui m’a envoyé vous chercher, et il n’aime pas attendre. "

" Kamui ? Le Kamui de la Terre ? Mais je croyais qu’il avait été tué par celui des Dragons du Ciel ! "

" Officiellement, oui. Mais il a néanmoins pu renaître en une autre personne. Il vous expliquera mieux que moi. Vous venez ? "

Il lui tendit la main d’un geste amical. Seishiro sembla réfléchir un instant, puis, sans tenir compte de l’aide offerte, se releva et essuya les dernières larmes qui perlaient sur son visage. Il voulait comprendre, et si cela l’obligeait à suivre cet homme étrange, et bien soit.

Jack sourit. Il avait pensé avoir affaire à un minable en voyant pour la première fois Seishiro. Ca, l’assassin le plus redoutable que cette Terre ait porté ? Il n’avait pas bougé le petit doigt lorsque ce drôle de type, Sorata, l’avait attaqué. Il le sentait un peu plus déterminé que tout-à-l’heure ; mais comment en être sûr ? Il avait l’air d’un homme ordinaire, pas du tout dangereux. Et dire que l’avenir de l’humanité dépendait peut-être de lui…

" Je peux vous poser une question ? " Seishiro semblait mal à l’aise.

" Allez-y. "

" Comment avez-vous fait pour pénétrer dans le kekkai de Sorata ? Je croyais que seuls les Dragons en avaient le droit. "

" C’est Kamui. Il m’a donné un peu de son pouvoir pour que je puisse vous sauver. Oh, pas beaucoup, juste assez pour rester à l’intérieur sans me blesser. "

" Mais… je ne comprends pas. Pourquoi ? Pour quelle raison êtes-vous avec lui ? Vous savez qu’il veut détruire l’humanité ? "

" Peu importe. Il m’a promis une belle récompense en échange. "

" Quelle importance si nous mourons tous ? " murmura Seishiro, sans trop attendre de réponse.

" Si je peux le revoir avant… "

" Quoi ? "

" Non, rien. Prêt à faire un peu de marche ? Il habite à côté. "

" D’accord. "

Il partirent en silence. Seishiro ne savait plus quoi penser. Combien d’autres personnes étaient encore mêlées à cette histoire ? Il avait vraiment hâte que tout cela se termine. Après, il irait rejoindre Subaru. Qui sait, il pourrait peut-être tout arranger entre eux. Si ça se trouve, il s’était emporté un peu trop vite et tout ce qui s’était passé pendant ces dernières heures n’était en fait qu’un simple malentendu. Oui. Il arrangerait tout. Même si pour cela, il devait se débarrasser du Kamui de la Terre. Pour Subaru.

Je sais à quoi vous pensez Vous êtes confus, mais je peux le voir dans vos yeux. Vous voulez tuer le Kamui de la Terre, n’est-ce pas ? Je crois que je peux vous comprendre. Après tout, ne veut-il pas anéantir l’espèce humaine ?

Je suis le premier à savoir que la plupart des hommes sont loin d’être ce qu’ils paraissent. Moi-même, qui pourrait croire que je suis l’un des assassins les plus redoutés du milieu ? Nous sommes pareils, vous et moi. Des meurtriers. Deux hommes dont les mains sales ont achevé des dizaines de victimes. Les bourreaux des bas-fonds pourris de cette société. Pourquoi pas ? Il faut bien quelqu’un pour faire le sale boulot.

Mais nous avons autre chose en commun. Quelque part, dans cette ville, il y a quelqu’un qui nous attend. Quelqu’un qui compte encore plus que cette humanité décadente au bord de l’anéantissement. Et cette personne si précieuse, nous ferions n’importe quoi pour la sauver, n’est-ce pas ? Sauver son âme… Pour cela, nous serions prêts à marcher sur des dizaines d’autres cadavres. Je peux le sentir… Tout comme moi, vous avez été jusqu’à trahir cette personne. Elle en a sans doute beaucoup souffert. Nous sommes damnés.

Pareils.

 

Une ombre surgit derrière eux et saisit Tashiro par la gorge avant qu’il n’ait eu le temps de continuer.

" Que voulais-tu faire ? " murmura Subaru à son oreille.

" Lâchez-moi ! " hurla Tashiro. Il se débattit avec acharnement, parvenant à se libérer de l’étreinte de son adversaire. Kai les observait sans comprendre.

" Subaru ? Qu’est-ce qui se passe ? " demanda-t-il.

" Je vais avoir besoin de toi. As-tu réussi à localiser le Kamui de la Terre ? "

Il hésita. Devait-il lui avouer ce qu’il avait entrevu dans ses rêves ? Il se demandait s’il pouvait toujours lui faire confiance…

" Je… je crois que oui. " finit-il par répondre.

" Très bien. Nous pouvons y aller. "

" Attends un peu ! " intervint Tashiro. Les deux hommes s’affrontèrent du regard.

" Pas question de mêler Kai à un truc aussi dangereux. Si tu veux voir ce " Kamui ", tu n’as qu’à y aller seul. " Il savait qu’il risquait gros en se rebellant ainsi contre Subaru ; mais cette mascarade avait assez duré. Il sortirait Kai de là, comme il l’avait promis à Masa.

" Si naïf… " murmura Subaru. " Tu crois vraiment pouvoir changer à toi tout seul le cours du Destin ? "

" Pourquoi pas ? En tout cas, je ne te laisserais pas faire du mal à Kai. J’ai dit il y a longtemps à Masa que je le lui ramènerais entier, et je compte bien tenir ma promesse. "

Après l’avoir regardé longuement, Subaru partit d’un grand éclat de rire qui surprit le Liseur de Rêves et son serviteur.

" J’admire ta détermination. " finit-il par dire. " Je doute que tu puisses rien faire, mais tant pis. A partir de maintenant, tu es libre. Tu peux partir. "

" Sérieusement ? " fit Tashiro d’un air suspicieux.

" Mais oui. Et pour te prouver ma bonne foi, regarde donc à ton cou. "

Il tâta l’endroit que Subaru avait précédemment saisi. En effet, le collier qui le retenait prisonnier durant tout ce temps avait disparu. Libre ! Il était enfin libre.

" Parfait. Nous n’avons donc plus rien à faire ici. Tu viens, Kai ? "

" Pas tout à fait. " Subaru arborait un sourire cynique aux lèvres. " J’ai dit que tu étais libre ; je n’ai jamais mentionné Kai. Il reste avec moi. "

Non ! Cela ne se pouvait pas. Mais lorsqu’il voulut attaquer Subaru, il fut soudain pris d’un vertige. Sa vision du monde devint floue et il s’écroula par terre, inconscient.

" Qu’est-ce que tu lui as fait ? " cria Kai, affolé.

" Ce n’est rien. Juste un petit tranquillisant que j’ai introduit dans son cou. Lorsqu’il se réveillera dans deux heures, mes hommes l’auront déjà mis en lieu sûr. "

Kai soupira de soulagement. Il serait moins inquiet en sachant qu’au moins, Tashiro serait en sécurité.

" Allons-y. " dit-il d’un air déterminé.

 

 

Chapitre 13.5

 

" Je vous l’ai amené, Enjoji-san. "

" Beau travail, Jack. Tu peux te retirer. Je te rappellerai si jamais j’ai besoin de toi. "

" Bien. " dit Jack en s’inclinant respectueusement. Il disparut dans la pièce d’à côté.

Seishiro fixait Enjoji, l’air perturbé. Cet homme, n’était-il pas…

" Eh bien, Sakurazukamori, cela faisait longtemps. Comment vas-tu ? Mais prends un siège. "

Seishiro s’assit avec hésitation dans le fauteuil que lui désignait son interlocuteur. Enjoji lui sourit avec malice avant de s’affaler lui aussi en face de lui.

" Tu ne dis rien. Serais-tu devenu muet, en un an ? "

" Vous êtes… l’inspecteur Enjoji ? Celui qui m’a offert un donut au commissariat ? "

" Oh. Je vois que tu te souviens de moi. Bien. Je n’ai donc pas à me présenter à nouveau. "

" Mais enfin… pourquoi ? Je croyais que… "

" J’étais un gentil ? C’est bien ça ? " le coupa Enjoji, un sourire narquois au lèvres. Ce petit jeu commençait à beaucoup l’amuser. En face de lui, se trouvait celui qui fut autrefois le grand Sakurazukamori, l’assassin notoire et l’un des sept Dragons de la Terre, et à quoi était-il réduit ?

A un homme qui le regardait avec crainte et incompréhension, un homme qui regrettait ses erreurs passées, un homme qui se repentait. Un homme ordinaire, somme toute. Etait-ce le même qui avait osé le défier à peine un an plus tôt, le même qui lui avait fait des avances d’un air suffisant ?

Et maintenant…

" Assez plaisanté. " dit-il en se levant brusquement. " Allons-y. "

" Où ça ? " demanda Seishiro, perplexe. Il ne comprenait plus rien. Aller où, alors qu’il venait à peine d’arriver ?

" A la Tour de Tokyo, évidemment. Après tout, nous avons un Destin à accomplir. "

 

" Tashiro ! Eh, Tashiro, réveille-toi, mon gars ! "

" Mnmm ? ? " Il réussit avec peine à s’extraire de son lourd sommeil. Pourquoi était-il donc si fatigué ? Sa nuque lui faisait si mal…

" Ah ! Je me souviens ! " s’exclama-t-il en se redressant d’un coup. " Le sale petit… ! "

" Euh… Tashiro ? "

" Quoi ? " Il tourna la tête en direction de la voix. " Mais… mais… ARAKI-SAN ? Qu’est-ce que vous faites là ? " Il était déconcerté, mais fou de joie. Depuis le temps qu’il voulait le revoir !

" C’est moi qui devrais te poser cette question. Tu gisait inconscient sur le pas de ma porte. "

" C’est lui ! C’est sûrement lui ! "

" Lui qui ? "

" Subaru ! Il m’a drogué avant d’emmener Kai ! Il faut absolument y aller ! "

" Aller où ? Et où est Kai ? "

" A la Tour de Tokyo. Mais nous ferions mieux de nous dépêcher, je vous raconterai tout ce que je sais en route. Ranmaru est ici aussi ? "

" Euh… non. J’ai demandé à Keisuke de le raccompagner chez lui. "

 

" Keisuke-san ? "

Il regarda à travers le rétroviseur l’homme qui se trouvait à l’arrière de la voiture. " Oui ? "

" Où allons-nous ? Vous venez juste de dépasser l’immeuble où j’habite. "

" Ne craignez rien. J’ai un peu changé nos plans. Nous nous dirigeons vers la Tour de Tokyo. "

" Mais pourquoi ? " Ranmaru commençait à s’inquiéter.

" Il y a quelqu’un que je souhaiterais vous faire rencontrer. "

 

 

Chapitre 14

" Merci d’être venu nous voir. "

" Oh, ce n’était rien. Portez-vous bien, surtout. "

Des voix ? Où suis-je ? Je ne me souviens plus de rien…

" Au revoir, Keisuke-san. "

" Ran… chan ? " articula-t-il péniblement. Il ne sentait plus son corps. Depuis combien de temps était-il là ? On aurait dit une chambre d’hôpital… et des fleurs. Un parfum de fleurs flottait dans la pièce. Un peu comme une vague odeur de fleurs de cerisier…

" Enjoji ! Comment vas-tu ? " Ranmaru se précipita vers son chevet.

" J’étais si inquiet ! Ne bouge pas, je vais appeler le médecin ! "

Enjoji lui agrippa la main au moment où il voulut s’éloigner.

" Enjoji ? Qu’est-ce que… ? "

" Ran-chan ? Où sommes-nous ? "

" A l’hôpital. Tu étais blessé… "

A l’hôpital. Etait-ce donc si simple ? Il s’en souvenait, maintenant. Il avait été blessé à l’épaule par ce type. Ranmaru et Kai étaient venus le sauver, mais ce dernier avait été pris en otage par le yakusa. Ranmaru avait éliminé au sabre ses acolytes, puis avait voulu s’attaquer directement à lui bien que celui-ci aie une arme à feu. Masanori était intervenu à temps, heureusement, et il avait été épargné. Quant à ce type, il était mort. Assassiné par l’un de ses hommes lorsqu’il a voulu s’enfuir en retenant Masanori sous la menace de son pistolet.

Etrange. Il a été tué par celui qu’il avait payé pour nous éliminer. Je suppose que je devrais demander des comptes à Araki-san. Mais je ne veux plus y penser. Tout ce qui importe, est que je sois en vie avec l’homme que j’aime. Ran-chan. Je devrais être heureux !

Alors… pourquoi j’ai cette impression bizarre ? Comme si tout ceci n’avait pas été réel. Comme si… comme si je ne devrais pas être là. C’est absurde ! Tout c’est passé comme dans mon souvenir, je ne devrais pas m’en faire !

" J’ai l’impression… d’être dans un rêve… " lui murmura doucement Ranmaru.

Cela le fit sursauter inconsciemment. Un rêve…une illusion. Pourquoi… pourquoi était-il si mal à l’aise ? Une sensation désagréable de déjà-vu…

Il se détourna et regarda par la fenêtre de sa chambre. Au dehors, la pluie s’était mise à tomber.

 

" Il pleut… " murmura doucement Kai.

Il s’arrêta au pas de la porte, comme hypnotisé par les gouttes translucides qui s’écrasaient contre la vitre, de l’autre côté du couloir. L’air s’était fraîchi ; et bien qu’il faisait encore jour, il avait l’impression que le soleil avait bel et bien disparu, comme happé par les nuages gris dont il devinait les contours. A peine deux pas le séparait de la fenêtre ; et il restait là, observant les fines gouttelettes, absorbé par sa contemplation silencieuse. Les passants de l’hôpital, les médecins, les infirmières, les malades en quête de réconfort, plus rien ne semblait l’atteindre. Fasciné, absent, il fixait la fenêtre. Plus que deux pas… la pluie… une pluie rouge… un paysage blanc, une épée… Ka… mu…

" Monsieur ? "

Sa vision se brouilla. Il n’était pas seul ; et son monde alors vide s’emplit des bruits familiers de l’hôpital et du brouhaha de la ville même.

" Monsieur, tout va bien ? " entendit-il répéter l’autre personne.

" Ou… oui, merci. C’est juste… "

Il s’interrompit pour observer son interlocuteur, surpris. D’après sa blouse blanche et le stéthoscope qui pendouillait de son cou, il s’agissait d’un médecin. Grand, brun, la trentaine passée, il possédait un charme certain et une prestance qui le mettaient immédiatement au-dessus du lot. Kai ne pouvait s’empêcher d’admirer ses traits fins mais masculins, son sourire doux, ses yeux qui révélaient autant que sa voix sa gentillesse. Il s’étonna un peu à la vue de son œil droit, dont l’iris doré brillait d’un éclat métallique. Mais une meilleure observation lui fit voir qu’il s’agissait en fait d’un œil en verre. N’eût été ce détail qui avait attiré tout d’abord son attention, il l’aurait peut-être ignoré et aurait passé son chemin sans même lui jeter un regard.

" Vous êtes… "

" Seishiro Sakurazukamori, médecin en chef. Vous faites partie de la famille du patient ? "

" Pardon ? "

" Vous n’êtes pas là pour Kei Enjoji ? Et ce paquet ? " dit-il en montrant du doigt un sac en papier que tenait Kai. Il l’avait complètement oublié.

" Hein ? Euh… oui. Je suis… son frère. "

Pourquoi se sentait-il si intimidé par le séduisant médecin ? C’était comme si…

" Excusez-moi, mais nous ne nous serions pas déjà rencontré quelque part, par hasard ? " demanda-t-il, intrigué et confus.

" Comment ? Je ne sais pas… je vous connais ? "

" C’est ce que je vous ai demandé. "

Seishiro fixa le jeune homme, pensif. Il avait l’étrange impression… comme si… un paysage blanc… un éclair, une épée qui s’abat sur quelqu’un, du sang… beaucoup de sang…

" Monsieur Sakurazuka ? "

" Oui ? "

" Vous ne m’avez pas répondu. "

" Non, je ne crois pas. " répondit-il brusquement.

Ils se turent, gênés, n’osant même plus se regarder en face.

" Bon ben… je crois que je vais y aller… " dit Kai au bout d’un moment, qui lui sembla interminable.

" Euh… oui. Je passerais plus tard pour voir comment va votre frère. Eh bien… au revoir… "

" Au revoir. "

Kai le regarda s’éloigner sans rien dire ; puis, lorsqu’il eut disparu derrière une porte, se souvint de la raison de sa visite. Ce crétin de Enjoji ! Il lui avait apporté un petit cadeau.

" Allez, un peu de courage ! " se dit-il. " Tu entres, tu le salues, tu lui offres son truc, et tu te barres. Un jeu d’enfant ! "

Il posa sa main sur la poignée et ouvrit la porte.

 

 

" Je… JE NE VEUX PLUS TE VOIR ! ! " hurla Enjoji.

" Bof… je comptais pas revenir, de toute façon. "

Kai en avait assez. Ce pervers de Enjoji ! Forcer Ranmaru-sempai à le sucer dans un hôpital, mais pour qui se prenait-il donc ? Enfin, ça ne le regardait plus, maintenant…

" Patron ! "

" Mmm ? "

Il aperçut Keisuke qui lui souriait avec bienveillance.

" Je m’inquiétais pour vous. " dit-il tout en le raccompagnant.

Kai se sentait soulagé. Il savait qu’il pouvait faire confiance à son homme de main ; il avait été fidèle à sa famille durant des années, et sa loyauté ne faiblirait pas de sitôt. Pourtant, aujourd’hui, il était étrangement réticent à rester avec lui ; il ne comprenait pas pourquoi, alors que d’habitude… un peu comme si… son malaise reprenait… comme si… une trahison…

Sa vue… il ne voyait plus rien. Son esprit était engourdi… du sang… du sang devant ses yeux, ce goût de sang dans sa bouche… une intense douleur…

" Votre corps va mieux? " continua Keisuke. Sa question se répercuta dans un écho à travers son délire. Son corps…

Une vision ?

" Kai… "

Un rêve ?

" Prend soin de toi, mon enfant. "

Des mouettes blanches… Un froissement d’ailes, trop grandes pour être celles d’un oiseau…

" Je ne pourrais pas toujours être à tes côtés ; mais je veillerais sur toi d’une manière ou d’une autre. "

Il ne sentait plus son corps… la douleur… son sang… il avait quitté son corps… il était vidé de son sang ! Non ! !

Redonnez-moi mon sang ! S’il-vous-plaît, rendez-le moi ! Quelqu’un, aidez-moi !

" Chuut… n’aie pas peur, mon chéri. "

Maman ?

" Je sais que c’est douloureux ; je suis passée par là, moi aussi. "

Pourquoi ? J’ai si mal…

" Tu dois tenir le coup ; il n’y a plus que toi, maintenant. "

Que dis-tu ? Je ne comprends pas…

" Pardonne-moi. Si seulement j’avais été plus forte… tu n’aurais pas eu à supporter cela… pardonne-moi… "

Un sanglot… tu pleures, maman ? Pourquoi ? Non, ne pleure pas. Je suis si heureux de te revoir… ne pleure pas…

" Pardonne-moi… pardonne-moi… je ne suis pas digne d’être la fille de Kakyou. Je ne suis pas digne d’avoir du sang de Yumemi… "

Pourquoi, maman ? Tu es morte…

" Ce jour-là… Je souhaitais tellement être une Liseuse de Rêves… pouvoir rencontrer mon père, enfin… pouvoir lui parler, lui dire à quel point il me manquait… tu étais encore très jeune, mais je le souhaitais tellement…c’était mon rêve. Et… je n’ai même pas pu le réaliser… j’étais trop naïve, pour croire que je serais assez forte pour supporter la douleur… si folle… "

Maman…

" La douleur… si horrible, lorsque je me vidais de mon sang. C’est le prix à payer, vois-tu, pour pouvoir maîtriser notre pouvoir. Le prix du sang. Sais-tu pourquoi nous ne vieillissons plus ? Pourquoi le temps n’affecte plus notre corps ? "

Non… maman… arrête !

" Le sang de Yumemi coule dans nos veines. A première vue, c’est un sang normal… "

Je ne veux rien entendre !

" Mais il arrive un moment où il se réveille… et il les appelle… ils viennent manger ce sang si pur, ils viennent s’en délecter jusqu’à la dernière goutte… en échange de ce pouvoir maudit, en échange de la vie et de la jeunesse éternelle… mais il arrive que certains ne tiennent pas le coup, et qu’ils meurent avant d’avoir reçu ce don… oh, pardonne-moi, mon chéri… Je n’ai pas été assez forte… "

C’est faux ! Tu es morte de maladie ! C’est Masa qui me l’a dit !

" Je baignais dans mon sang… ils ne voulaient pas d’un être si faible… Masanori m’a découvert, et je l’ai supplié… supplié de veiller sur toi, de te protéger quoiqu’il arrive… je savais qu’il m’aimait depuis longtemps, qu’il aurait tenu sa promesse. Pour protéger notre trésor le plus précieux… notre enfant… "

Nooooonnnnn ! ! ! ! ! ! Tu mens !

" J’étais si heureuse, à ta naissance ! Mon bébé… celui que j’aimais depuis toujours, je savais que c’était son fils, et non celui de l’homme que l’on m’avait forcée à épouser… "

Assez ! J’en ai assez…

" Et maintenant, c’est ton tour… mon fils, celui qui est destiné à devenir le Liseur de Rêves de cette génération… le fils de Masanori. "

Non… c’est un cauchemar… maman…

" Ahahahahaha…. Mon fils, le Liseur de Rêves… le fils de Masanori, mon fils, le fils de Masanori, mon fils… notre fils… "

Non… par pitié, que tout cela finisse ! J’ai mal… si mal… Masa… Ma… sa…

Je ne veux pas… pourquoi, maman ? Pourquoi m’avoir dit cela ? Je… je n’en peux plus… je veux oublier, oublier que je suis Kai, oublier que je suis son fils… oublier… oui.

Je vais oublier.

Oublier…

" Patron ? "

" Hein ? "

" Vous êtes sûr que vous allez mieux ? Vous êtes tout pâle… "

" Keisuke ? " Sa voix était étrangement faible, presque… vulnérable.

" Oui, patron ? "

" Allons-nous-en. Je veux voir Masa. "

" D’accord. Je vais vous conduire à lui. Vous êtes sûr que ça va ? " répéta-t-il.

" Je… je ne sais pas. J’ai l’impression d’avoir rêvé. "

" Ah oui ? Et c’était quoi ? "

" Je crois… que j’ai oublié… " 

 

Mokoshna-sama.

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