Earl Cain ; une fanfic, et pourquoi pas ?

 

 

 

Londres, fin du XIXème siècle.

 

Caïn s’éveilla avec peine.

La nuit avait été rude : il avait encore eu un cauchemar, un horrible cauchemar à propos de son passé… et de son père. Il se redressa dans son lit, mal à l’aise. Le tissu de son ample chemise de nuit collait à la peau de son dos. Caïn n’avait pas besoin de jeter un coup d’œil à son oreiller pour savoir que celui-ci était trempé de sueur. Avant même de sortir du lit, il se débarrassa de sa chemise encore humide, dans laquelle il se sentait mal. Pourtant, la retirer ne fit pas disparaître son malaise, ni les dernières bribes de son cauchemar. Dans celui-ci, son père avait… Non !

Il secoua la tête, tâchant désespérément de penser à autre chose. Allons bon, quelle heure était-il d’abord ? Il jeta un coup d’œil à l’horloge égrenant son tic tac de l’autre côté de sa chambre. Le soleil filtrait déjà sous le volet de bois, lui permettant d’en distinguer les aiguilles. Elles indiquaient presque 8 heures. Rief n’allait pas tarder à venir le réveiller…

" Allons, inutile de prendre du retard ", se dit Caïn, et cette fois-ci il balança ses pieds hors du lit et fit quelques pas mal assurés dans sa chambre, jusqu’à ce qu’il atteigne la fenêtre et ouvre les volets. Il contempla un instant la vue sur le grand parc entourant le manoir familial et inspira longtemps, profondément, laissant le soleil réchauffer son visage, en effacer la tension. Une belle journée s’annonçait. Un petit vent froid soudainement levé lui rappela qu’il était torse nu, et il se retira de l’encadrement de la fenêtre avec précipitation. L’instant d’après, il rit de lui-même. Il était chez lui, après tout, il pouvait bien encore faire ce qui lui plaisait… et même si son grand-père décidait d’y trouver quelques chose à redire, ce n’était pas son problème ! ! Avec ses cheveux mi-longs et indisciplinés, sans parler de ses boucles d’oreille infamantes, il avait fait bien pire ! ! Grand-père commençait à comprendre que, pour lui, ces excentricités étaient autant de moyen de se forger une identité propre, complètement distincte de celle de son père, qui avait berné la bonne société pendant des dizaines d’années… et continuait d’une certaine façon de le faire, même aujourd’hui. Au moins, lui, Caïn, s’il n’était pas sûr d’être beaucoup plus sain que son père, annonçait la couleur tout de suite ! ! Depuis qu’il avait hérité de son titre de comte, il s’était forgé une solide réputation de bon à rien et de pervers, infréquentable excentrique et invétéré coureur de jupons. Au moins, ça éloignait de lui les moutons et les timorés… Parfois, il se demandait s’il pourrait supporter le cadre étriqué de sa vie à Londres encore longtemps. Jusqu’à présent, ses excentricités, en plus de le singulariser, lui avaient fourni l’occasion de se rebeller à peu de frais contre cette société dont il connaissait les hontes secrètes et les secrets inavouables. Il était lord, après tout, riche et dépositaire d’un grand nom, et peu de gens, même parmi ses pairs, auraient eu le courage ou seulement la volonté de le défier. Mais aujourd’hui, ce genre de révolte lui paraissait stupide. Depuis qu’il avait eu affaire au docteur Jézabel Disraeli et même… à son père, une fois de plus… qu’il avait vu la décrépitude de Guilford et la mort de ses deux amours, chaque parole aimable d’une jeune lady, chaque sourire d’un jeune homme quelconque étaient pour lui promesse de sombres découvertes. Chaque être cachait de sombres secrets. Chaque famille avait son squelette dans le placard. Il le savait après des années passées à fréquenter l’élite du royaume, les soit disants meilleurs sujets de la reine. Ils étaient tous pareils. Toute rencontre à vague enjeu matrimonial, aussi agréable soit-elle, ne pouvait déboucher que sur cette seule alternative : supporter la bêtise d’une jeune oie et de sa famille avide, ou accepter de protéger le secret honteux caché derrière la soie et le taffetas.

Non, il n’avait plus envie de sortir dans le monde, plus envie de sortir du tout d’ailleurs, et même, plus envie de voir personne, pas même son grand-père qui l’aimait sincèrement, pas même les serviteurs dont la présence comptait pourtant moins que celle d’une ombre, à part…

A part Rief.

Lui seul comptait encore vraiment.

Rief.

Son serviteur, son protecteur, son confident et son ami… son seul ami.

Depuis qu’il l’avait rencontré, plusieurs années auparavant, Rief ne l’avait jamais trahi. Il l’avait aimé et soutenu dès le début, malgré la différence de leurs conditions qui auraient dû les isoler l’un de l’autre, et malgré le propre passé de Rief. Souvent, Caïn se sentait désolé pour lui. Il avait perdu sa famille dans des conditions atroces, et n’avait jamais pu venger leur mort… L’incendiaire n’avait jamais été retrouvé. Les parents et le frère de Rief avaient flambé comme des fétus de paille dans le brasier de leur maison. Et malgré tout, le jeune homme agissait comme si de rien n’était, sans jamais faire allusion à ses propres angoisses… même si les marques de coupures sur ses poignets parlaient pour lui. Rief avait tenté plusieurs fois de se suicider. Heureusement, jamais il n’avait réussi à mener à bien ce sinistre projet. Caïn aurait voulu en parler avec lui, tenter de l’aider comme Rief le faisait pour lui, soulager ses angoisses, lui redonner la volonté de vivre… Mais Rief était d’un naturel discret, presque trop, en particulier quand son passé ou ses sentiments étaient en jeu. Caïn espérait pourtant qu’un jour, Rief achèverait de lui ouvrir son cœur comme lui lui avait ouvert le sien… entièrement, sans rien cacher… ou presque.

Caïn soupira.

Les choses n’étaient pas faciles. Il ne savait pas quand il avait eu cette idée pour la première fois. Peut-être lorsque Meldiana était morte. Lorsqu’il avait repris ces esprits, Rief était à ses côtés, et il avait pensé : " Et si lui disparaissait, qu’est-ce que je deviendrais ? ? "

Et cette idée l’avait fait frémir jusqu’au plus profond de lui-même. Il avait agrippé le manteau de Rief, et ne l’avait plus lâché, tant et si bien que ses jointures en étaient devenues blanches de frustration. Après, il avait eu honte d’une telle pensée, aussi égoïste… et il en avait eu peur. Depuis, son attachement envers Rief lui paraissait un peu trop fort, un peu trop… inconvenant. Il pesta contre ce terme aussi bourgeois qu’hypocrite. Mais il ne pouvait, non, n’osait en employer un autre. Après tout, il était normal qu’il soit attaché à Rief. Avec son grand-père, il était la seule personne à l’avoir aimé sans arrière-pensées. Sans doute, le problème, ce qui le mettait mal à l’aise, ne venait que du fait de leur différence de classe… sans doute, c’était cela qui clochait. Pourtant, la vue de son grand-père ne suffisait pas à le mettre de bonne humeur, pas plus que sa proximité physique ne faisait monter en lui cette sorte de douce chaleur, ce sentiment de confort et de sécurité que seul Rief lui procurait.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’il faisait Rief ?

Caïn jeta un autre coup d’œil à l’horloge : 8h40 ? ! ? !

Cette fois, il était en retard ! ! Rief venait le réveiller tous les jours à la même heure, 8h15. Pourquoi n’était-il pas déjà là ?

Se souvenant de sa journée chargée, Caïn se décida à sonner.

Rief était peut-être occupé avec son grand-père… il faisait de temps en temps des visites surprises, et il aimait toujours causer avec Rief, qui était le fils d’un de ses anciens amis. Et comme le grand papy était un lève-tôt, sa présence ici à cette heure n’aurait rien eu d’incongrue… Sauf que Rief n’omettait jamais de venir le lever. Bien sûr, Caïn pouvait très bien se débrouiller tout seul, mais c’était un rituel entre eux. Rief était là pour l’aider à se lever, et à se coucher. Caïn et Rief. Toujours.

Quelques minutes après qu’il eut sonné, le valet de chambre frappa à la porte.

_ Où est Rief ?, demanda aussitôt Caïn de la pièce d’eau.

_ Monsieur Laffitte est malade, l’informa le valet, et Caïn jaillit de la salle de bain comme un diable de sa boîte.

_ Malade ?, s’exclama-t-il. " Qu’est-ce qu’il a ?

_ Lord Caïn…, marmonna l’homme en détournant les yeux, " Vous avez oublié votre chemise…

Caïn cligna des yeux, de ses étranges yeux dorés, réalisa ce que le valet voulait dire, et rougit, de honte et de colère. Ne jamais s’humilier devant les serviteurs. Son grand-père le lui avait assez souvent répété. Le valet alla lui-même dans la penderie chercher une élégante chemise de soie, et la tint pour qu’il la mette. Caïn s’exécuta, tâchant de l’enfiler sans effleurer ne serait-ce que le tissu de l’habit de l’homme. Il détestait qu’on le touche. Seul Rief en avait le droit, et Mary-Weather, bien sûr. Mais elle, c’était différent.

Redevenu décent, Caïn posa à nouveau sa question.

_ Pourquoi Rief est-il malade ?

_ Nous ne le savons pas encore, Caïn-sama, répondit l’autre d’une voix gênée. Chacun dans le manoir savait à quel point Rief était " spécial " pour leur maître, et devant lui, il valait mieux l’évoquer en des termes choisis. Surtout quand une mauvaise nouvelle devait être annoncée… _ Monsieur Laffitte était fiévreux ce matin, reprit le valet. " Il a quand même voulu se lever pour vous servir comme d’habitude, mais il était trop faible, et il s’est évanoui.

_ Comment ?

_ Nous… Monsieur Laffitte était très faible, et sa fièvre a beaucoup augmenté. Il n’a pas encore repris conscience…

Caïn lâcha sa brosse à cheveux, qui vont heurter le sol avec un bruit mat.

_ Comment ?, répéta-t-il sourdement. Puis son ton monta, plus affolé qu’autoritaire, " Vous avez appelé un médecin ? Non, mon médecin ? Faites-le immédiatement ! !

_ Nous avons pris la liberté d’appeler votre médecin, l’informa le valet. " Il est en ce moment à ses côtés. Nous savons tous à quel point monsieur Laffitte est important pour vous.

Caïn eut le souffle coupé par ce qu’il crut percevoir de sarcasme dans sa voix. Il leva les yeux vers le valet, prêt à exploser de colère et d’anxiété. Mais quand celui-ci reprit la parole, son ton était aussi posé que de coutume.

_ Caïn-sama, vous devriez finir de vous préparer, vous allez prendre froid…

Il se pencha pour ramasser la brosse et la remit dans les mains du jeune comte.

_ Si vous allez vite, vous pourrez peut-être passer prendre de ses nouvelles avant de partir pour la matinée de Lady Shelburne., lui dit-il, le rappelant à ses obligations sociales.

Qu’elles aillent au diable !, songea Caïn. Pas quand Rief est malade. Savoir que Rief l’attendait le soir lui faisait surmonter l’ennui interminable de ses journées. Il ne tiendrait pas une journée en le sachant malade… ou pire, d’après ce qu’avait dit le valet de chambre.

_ Allez-vous en, je vais aller le voir d’ici quelques instants, lui dit-il. " Dites au médecin d’attendre que je descende.

_ Ne désirez-vous pas déjeuner avant, Caïn-sama ?

Là, Caïn faillit exploser. Non, il ne voulait pas perdre son temps à déjeuner, il voulait voir Rief tout de suite ! ! Il se contint et jeta du ton froid qu’il avait cultivé jusqu’à le rendre insupportable à ses interlocuteurs :

_ Inutile. Contentez-vous de me faire préparer du chocolat.

_ Bien, Caïn-sama.

Et il s’éclipsa.

Caïn finit de se préparer avec fébrilité.

Non, non, pas Rief !

Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait depuis quelques mois une poussée de tuberculose, qui ne s’était pas arrêtée aux portes des bas quartiers… Rief avait-il toussé ces derniers temps ? Avait-il toussé ? Caïn constata avec horreur qu’il n’était même pas capable de s’en souvenir. Impardonnable !

Il dévala les vénérables escaliers de marbre du manoir avec une précipitation fort peu aristocratique, dépassant au passage une bonne ahurie. Arrivé au premier étage, une idée le fit s’arrêter raide. Mary-Weather. Elle adorait Rief elle aussi. Comment allait-elle prendre la nouvelle ? ?

_ Je vais déjà aller voir Rief, marmonna Caïn, et il alla droit vers la chambre de son ami.

Avant d’entrer, il prit sa respiration, et se jeta un coup d’œil dans le miroir. Il avait l’air affolé, le cheveux hirsute et le col un peu de travers. Tant pis. Ca ne comptait pas.

Il frappa, trois coups secs, le cœur battant.

Mary, une femme de chambre qui s’entendait bien avec lui, vint lui ouvrir.

_ Oh, Caïn-sama !, s’exclama-t-elle.

_ Comment va-t-il ?, demanda-t-il aussitôt, se tordant le cou pour essayer d’apercevoir Rief.

Mary s’écarta, et Caïn pu enfin voir, allongé sur son lit, le teint cireux, son bien-aimé Rief, discutant faiblement avec le docteur.

_ Rief !, s’exclama-t-il, et il se précipita à son chevet, s’arrêtant juste à temps en songeant à la tuberculose.

_ Vous pouvez vous approcher, Caïn-sama, déclara le médecin. " Ce n’est pas contagieux.

Caïn jeta un coup d’œil à Rief qui lui sourit faiblement, et demanda au médecin :

_ Qu’est-ce qu’il a ?*

_ Rien de grave, conclut le médecin en se levant, se préparant déjà à partir. " Un bon coup de froid, et surtout, surtout, beaucoup de fatigue accumulée. Vous avez dû avoir des ennuis récemment, n’est-ce pas ?

Rief acquiesça timidement, et Caïn rougit en songeant à leurs démêlés avec Jézabel.

_ Sommeil perturbé, journées épuisantes, il faut qu’il se repose si vous voulez le garder, continua le médecin, parlant de Rief comme d’un animal. " Il est complètement épuisé, le moindre virus pourrait le mettre sur le flan –définitivement-. Et avec cette recrudescence de la tuberculose…

Persuadé à présent que Rief n’était plus en danger, Caïn se précipita à ses côtés sur le lit, bousculant le médecin.

_ Je suis tellement content !, s’exclama-t-il, avant de se reprendre " Je veux dire, je suis tellement désolée ! Tout est de ma faute ! Je n’ai pas fait assez attention…

Rief secoua la tête d’un air entendu, et tourna le regard vers le médecin qui s’en allait en maugréant, visiblement mécontent de l’attitude de Caïn, bien trop amicale à son goût envers un inférieur.

_ Quel crétin !, s’écria Caïn dès qu’il fut sorti. " Et dire que tu aurais pu être son collègue !

Rief sourit, et caressa la tête de son maître, avec tendresse.

_ Ne vous mettez donc pas en colère, murmura-t-il d’une voix cassée par la fatigue. " Il ne peut pas savoir.

Caïn lui fit un large sourire.

_Je suis tellement soulagé que tu ailles bien ! J’ai eu si peur !

_ Il ne faut pas vous en faire pour moi, répondit Rief en retirant sa main, au grand désappointement du jeune homme. " Je suis vraiment désolé de vous avoir fait défaut ce matin. Veuillez m’en excuser.

_ Stupide !, s’écria Caïn. " Tu es plus important que…

Il s’arrêta brutalement, et rougit. Rief ferma les yeux, ses cheveux blonds retombant de chaque côté de son visage pâle. Maintenant qu’il y pensait, Caïn n’avait jamais vu Rief en pyjama. Cela le mit un peu mal à l’aise. Pour une fois, Rief avait l’air si vulnérable, son beau visage émacié par la fièvre.

_ Comment… comment te sens-tu exactement ?, dit-il avec inquiétude.

_ Brisé. Mais je serai d’aplomb ce soir pour votre retour. D’ailleurs… vous ne devriez pas vous préparer à partir chez Lady…

_ J’AVAIS OUBLIE ! ! !, s’exclama involontairement le jeune homme.

_ Et je parie que vous n’avez pas encore déjeuné, continua Rief avec un petit sourire aux lèvres. Vous devriez vraiment aller vous préparer à affronter votre journée.

_ Je préfèrerais rester avec toi…, murmura Caïn, et Rief écarquilla les yeux, avant de les fermer avec un air de souffrance. " J’ai dit quelques chose Rief ?

_ Pas du tout Caïn-sama, répondit Rief. " Je vous remercie de prendre soin de moi ainsi. Mais il faut vous en aller maintenant.

Son ton ne souffrant aucune contestation, Caïn se leva, la mort dans l’âme. C’était de sa faute si Rief était malade, il ne faisait pas assez attention à lui. Alors, juste avant de sortir, pris d’une inspiration idiote, Caïn se pencha et embrassa Rief sur la joue.

Il sortit, ou plutôt s’enfuit avant de voir l’air sans doute surpris voire choqué de Rief. Il était si collet monté parfois ! ! Ceci dit, son attitude n’avait pas été celle d’un gentleman. Rief serait peut-être même vexé que Caïn l’ai traité " comme une fille ". Mon Dieu, quelle erreur ! ! Mais il n’avait pas pu s’en empêcher ! !

" Tant pis, ce qui est fait est fait !, se dit-il tout en empoignant en se versant une tasse de chocolat avant de mettre son manteau. " On verra bien ce soir. J’espère qu’il ira mieux…

La journée se passa mal.

Caïn fut cassant et désagréable, son esprit occupé par une angoisse qu’il n’arrivait pas à nommer. Il n’arrêtait pas de penser à Rief.

Il rembarra Lord Ambrose avec animosité, et trouva le moyen de briser sa tasse en porcelaine de Saxe, pièce de collection de Lady Agatha, son hôtesse de l’après-midi. Cet incident déplorable s’était produit au moment même où le mari de Lady Agatha risquait quelques commentaires discrets sur la condamnation récente de l’un de leurs pairs pour une histoire sordide avec un valet. La tasse s’était retrouvée en morceau entre ses mains sans même qu’il ne s’en rende compte. Il se rattrapa en demandant au lord en question si les rumeurs sur lui et son beau-frère étaient vraies.

Il s’étonna de ne pas avoir été jeté à la porte.

Lorsqu’il prit le cab pour rentrer (il avait renvoyé son cocher dans un mouvement d’humeur), il s’aperçut qu’il pleuvait. " Pile ce qu’il me fallait ".

Il se cala au fond du véhicule et ferma les yeux, tachant de se reposer un peu histoire d’être agréable pour Rief. Comme s’il avait besoin de se préparer pour ça… Non, c’était facile de blesser Rief, mais jamais il ne l’avait fait à dessein, et jamais il ne le ferait. Il n’était pas comme ce lord arrogant qui semblait admettre le principe d’une relation, euh… contre nature tant qu’elle n’impliquait pas des inférieurs ! Et parlant de contre nature… Les pensées de Caïn bloquèrent sur ce mot. Bien sûr, on lui avait enseigné à demi mots pourquoi les relations entre deux hommes ou deux femmes étaient non seulement méprisables, mais répréhensibles. Mais ces révélations ne l’avaient pas rempli d’horreur comme elles auraient dû le faire. Après tout, tout ça, c’était du domaine du privé, et quant à la religion… pour l’influence qu’elle avait sur lui… Caïn, bercé par les mouvements du cab, se laissa aller à penser à Rief… il espérait tellement qu’il allait mieux… Bizarre, il lui manquait. Il avait envie de sa présence, comme ce matin, sa main chaude sur son front, et l’odeur rassurante qui émanait de sa chambre, de son lit… Etrange également comme le fait ainsi désarmé l’avait touché. Il avait eu envie de se coucher à ses côtés, de le prendre dans ses bras, de le serrer très fort et de le guérir, par un baiser… C’est ce qu’il avait été tenté de faire, mais finalement, il l’avait juste embrassé. Caïn sursauta, inquiet par le tour que prenaient ses pensées. Etait-ce vraiment ce qu’il avait voulu faire ? Non seulement l’embrasser, mais aller le rejoindre… dans son lit ? Un frisson lui parcourut l’échine. L’idée n’était pas désagréable. Un peu effrayante, inconvenante, mais… attirante. Caïn secoua la tête. C’était la discussion de tout à l’heure qui lui montait à la tête !

Une fois arrivé, il sortit du cab rapidement, remontant l’allée menant au manoir en courant. Il pleuvait à verse à présent, et visiblement, personne n’avait songé à l’attendre avec un parapluie à la grille. C’était Rief qui s’en occupait normalement. Caïn était heureux qu’il ait renoncé à l’attendre sous la pluie battante.

Mary-Weather l’accueillit avec effusions.

_ Grand frère !, s’exclama-t-elle dès qu’il eut franchi le seuil, " Il faut que tu dises à Rief de…

Avant qu’elle n’ait eu le temps de terminer sa phrase, Rief se profila derrière elle, habillé impeccablement comme de coutume, bien qu’assez pâle.

_ Tu t’es levé ? !, s’exclama Caïn, contrarié.

_ C’est ce que je voulais te dire !, renchérit Mary-Weather. " Rief, tu n’es qu’un obstiné ! !

Le serviteur sourit.

_ Voyons, mademoiselle Mary, je vais beaucoup mieux, et…

_ Rief, retourne te reposer, coupa Caïn d’un ton un peu plus autoritaire qu’il ne l’aurait souhaité.

Son serviteur le regarda, de la douleur au fond des yeux, et Caïn se sentit coupable.

Rief se détourna, et s’en alla sans mot dire.

_ Tu n’avais pas besoin d’être si dur, le réprimanda sa sœur. " Tu sais, Rief a absolument voulu se lever pour t’accueillir, tu es trop méchant avec lui…

Caïn la regarda avec surprise.

_ Mais c’est toi-même qui m’as dit de le renvoyer dans…

_ Tu pouvais le faire autrement ! T’as vraiment pas de cœur !, s’insurgea-t-elle avant de tourner les talons, visiblement furieuse.

Caïn monta dans ses appartements en rageant. Le monde entier en avait après lui aujourd’hui ! Ils étaient tous ligués contre lui, tous !

Il était en train de faire un brin de toilette quand quelqu’un toqua à la porte.

_ Entrez !, éructa-t-il

Encore un gêneur qui allait l’empêcher de descendre voir Rief ! !

Pourtant, c’est bien son ami qui pénétra dans sa chambre.

_ Je croyais t’avoir dit d’aller te reposer !, lâcha Caïn, contrarié.

_ Je…, commença Rief avant de s’arrêter. " Je voulais vous remercier.

_ Me remercier ?, s’étonna Caïn

_ Pour tout ce que vous faites pour moi.

Caïn s’approcha de Rief, sentant la même envie que celle du matin le reprendre : passer ses bras autour de Rief et l’embrasser. Il la réfréna avec autorité.

_ Je ne fais rien de spécial, parvint-il à dire sur un ton normal. " Je… je m’inquiétais juste pour toi.

_ … C’est vraiment très aimable à vous…

Caïn fut surpris par le ton presque douloureux de Rief. Depuis quelque temps, il avait souvent de ces expressions de souffrance dans sa voix ou dans ses regards, sans les attribuer à une cause précise.

_ Il y a quelque chose qui ne va pas, Rief ?, demanda-t-il

_ Caïn-sama…

_ Je t’écoute.

_ Caïn-sama, je…

Rief prit sa respiration, et lâcha :

_ Caïn-sama, permettez-moi de quitter votre service, s’il vous plaît !

Caïn sursauta :

_ Hors de question ! Euh, je veux dire…

Rief baissa la tête

_ Pourquoi, Rief ? Est-ce que… est-ce que quelque chose de désagréable s’est produit ? Je… je ne veux pas te retenir de force, mais… je…

_ Je voudrais juste m’en aller, Caïn-sama. Je vous en prie, répéta Rief, semblant s’arracher les mots de la gorge un par un. " Je ne suis plus capable de vous servir.

Caïn s’efforça de rire :

_Plus capable de me servir ? Pourquoi ? Parce que tu es un peu malade ? Mais ce n’est absolument pas grave ! Tu es bien plus important que…

Rief se contentait de baisser la tête, sans regarder Caïn, et celui-ci sentit son cœur se briser.

_ Est-ce que je t’ai fait quelque chose ?, demanda-t-il finalement. " Dis-moi la vérité.

Rief hésita avant de répondre, aux prises avec un dilemme intérieur terrible.

_ Caïn-sama… je… je ne suis plus digne, comprenez-vous ? Je… je me suis attaché à vous d’une façon qui… ne devrait pas être ! Je… je suis un être indigne ! !

Caïn cligna des yeux. Comment ?

Voilà qui expliquait beaucoup de choses récentes, de regards et de réflexions… et soudain, Caïn sentit son anxiété, ce poids au cœur qu’il portait depuis très longtemps, s’évanouir comme s’il n’avait jamais existé. Brutalement, tout était clair dans sa tête.

_ Rief…, commença-t-il, avant de se dire que, peut-être, il valait mieux agir plutôt que de parler.

Il s’approcha de lui, sans bruit, Rief attendant toujours son renvoi les yeux baissés, l’air d’attendre un coup ou une insulte. Caïn glissa ses bras autour de son cou, comme il avait si souvent envie de le faire, et l’embrassa sur les lèvres, délicatement.

Il sentit Rief se raidir contre lui, avant qu’il ne cède et ne retourne son étreinte.

Quand ils se séparèrent, Rief le regarda les yeux ronds :

_ Mais… Caïn-sama ?…Comment ?…

_ Chuuuuut !, répondit le jeune lord " Tu es malade, Rief, n’oublie pas ! Laisse-moi m’occuper de toi, à présent. Viens, il faut te coucher…

Et il tira un Rief stupéfait vers le grand lit qui n’attendait plus qu’eux.

 

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