PART III

Sonia posa son magazine. Décidément, ça devenait de plus en plus embrouillé cette histoire. "sa parade d’amour se compose d’un motif répétitif comportant un certain nombre d’ondulations de l’abdomen...". Allons bon, s’agissait-il des chorégraphies de Mariah Carey (avec un arc-en-ciel plantureux décalqué sur le popotin) ou bien de la vie sexuelle de la langoustine polyglotte hawaïenne irisée? Elle jeta un oeil sur la pendule. 1h30. Son tour de garde s’achevait, Andréa n’allait pas tarder à venir la remplacer. Effectivement, elle entendit résonner dans le couloir silencieux le tiqueutaqueutiqueutaqueu hérissant qu’elle engendrait à chaque fois que l’un de ses talons aiguilles agressait le lino. Et Andréa débarqua dans la salle de garde. Débarqua, c’était le mot exact. A voir sa tronche enfarinée et enfouie sous les couches de fond de teint qui finissaient par la rendre verdâtre, on pouvait même dire qu’il y avait eu tempête, et sa démarche chancelante donnait l’impression qu’elle se trouvait toujours à bord du fériboîte sauvagement secoué par l’onde tumultueuse. A vrai dire on avait envie de lui proposer de s’asseoir et de lui servir un antivomitif. Mais Sonia ne s’alarma pas outre mesure : la tronche c’était normal elle venait de se réveiller et comme elle avait bourré pour être à l’heure elle avait pas eu le temps de se laver et de réappliquer un plâtrage tout frais façon tartine de foie gras. Et pour la démarche c’était normal aussi, avec ses pompes que les Knights Sabers c’est des tennis de collégienne qu’elles ont à côté on pouvait la suivre à la trace dans le couloir aussi facilement qu’un car scolaire américain avec des pneus clous sur un gazon anglais. Sonia ne s’inquiéta donc pas et écouta d’un air absent le babillage de sa collègue en ramassant ses affaires. "Et alors ce matin c’était atroce ses mégots partout y en avait jusque dans ma chemise de nuit et sous la traversin il a même pas la décence d’arrêter de fumer quand il bref je lui ai dit "Paul tu arrêtes de fumer ou je te quitte je suis sérieuse" il m’a répondu "pense à sortir le chien" alors j’ai pris la laisse et j’ai embarqué Julien avec moi mais une fois dehors plus moyen de lui mettre son collier il est d’un remuant c’est comme Paul il remue tout le temps... Ho Sonia tu m’acoutes?

-Mh, ouioui, ben s’il remue trop attache-le on construis-lui une niche dehors (Andréa cessa deux minutes de chalouper à travers la pièce pour accorder un regard surpris à Sonia) ou alors castre-le y a peut-être une chienne en chaleur dans le quartier et c’est ça qui le rend si nerveux...

-Sonia Pichon.

-Honhon?

-A quoi penses-tu en ce moment même?" Sonia jeta un coup d’oeil à la démarche de sa collègue qui continuiait à tricoter des talons avant de soupirer :

-"A la langoustine polyglotte irisée des îles Hawaï...

-Oulolo toi t’as bsoin de vacances!

-Voui c’est cque jme dis aussi... En attendant je vais finir ma nuit chez moi dans mon pieu... Tu te rappelles bien de tout? Le principe des dispositifs d’appel et tout et tout?

-Hé chuis pas idiote, non? (charitablement Sonia s’abstint d’émettre une opinion). Je débute OK mais tout de même!

-Oui bien sûr je ne voulais pas te vexer!

-Bon, ben... A plus ma grande, va te reposer!

-C’est ça, allez, bise!"

Sonia saisit sa moumoute fourrée duvet de poule faisanne ukrainienne qu’elle passa sur sa salopette à motifs floraux en cuir de mouflon surpiqué bretelles de castor lapon véritable, et sortit de la salle de garde. Elle marcha le long du couloir, avec l’obscure sensation d’avoir oublié quelque chose... Soirée calme pourtant, elle n’avait dû intervenir qu’une seule fois chez les 210 pour empêcher Mr Sakurazuka(mori) de se livrer à des expériences vaguement médicales sur la personne de Mr Suméragi en tentant de le transfuser avec son propre potage... Mr Suméragi! Voilà c’était ça!!!!

Avec un soupir las, elle fit demi-tour et se dirigea vers le second étage. Elle frappa à la porte, attendit quelques instants, ouvrit. Avec prudence. Elle se glissa par l’entrebâillement et alluma la lumière, ce qui provoqua un feulement de protestation de la part de Mr Sakurazuka(mori).

-"Oooh Sonia, vous savez que je suis toujours ravi de vous voir mais là vous me réveillez alors que je faisais un rêve formidable où un copain à moi très versé dans les choses de l’horticulture me prêtait son fouet de roses et que le doux Subaru venait me rendre visite pour me remercier du délicieux cadeau d’anniversaire que je venais de lui faire -et un cilice à ce prix-là, il pouvait!- et alors..." Sonia ne voulut pas en entendre davantage, et elle se retourna, refermant la porte afin de regarder derrière. Evidemment.

-"Rhoo Mr Sakura, cessez donc de faire l’enfant! Tous les soirs c’est la même chose! Vous avez pourtant passé l’âge de ces gamineries...

-Ben quoi? il a rien dit!

-Evidemment, il est baîllonné...

-Oh? Ah tiens oui, il est baîllonné... Cela a dû m’échapper, j’ai sans doute agi par réflexe conditionné..."

Il arbora un air séraphique que St Innocent c’est Hannibal Lecter à côté. Sonia soupira, et passa délicatement ses bras autour de la taille de Subaru saucissonné et baîllonné afin de le décrocher du porte-manteaux. Elle était toujours surprise de constater à quel point cet être frêle style biche impubère en état de marasme pouvait être léger. Et comme elle avait pris athlé spé lancer du poids au bac, elle décida de le porter jusqu’à son lit tant qu’à faire. A vrai dire, cela ne lui déplaisait pas outre mesure de sentir posés sur elle ces yeux verts immenses dégoulinants et lumineux comme de sompteux vitraux, de sentir les battements emballés de ce coeur fragile, de serrer contre elle ce corps parfait, délicat et quasi translucide comme le marbre le plus pur, de sentir cette taille fine convulser dans ses bras, de sentir ce... Convulser?

-"Mmmmouhmoumoumou moumeuuuuuuuuh!!!

-Je crois que vous l’étouffez Sonia très chère. Et par ailleurs vous piétinez allègrement mes plates-bandes. Veuillez donc avoir l’obligeance de relâcher mon tendre Subaru avant qu’il ne colapse.

-Oh heuuuu pardon!" L’athlé ça laisse des traces. Toute rouge, elle relâcha sa prise, et tendre Subaru se gaufra la gueule -qu’il avait par ailleurs séraphique- sur le lino. Seishiro, devant cette occasion inespérée, poussa un "Subaru, attend je vais t’aider à te relever!" enthousiaste, en réponse à quoi ledit Subaru se mit à ramper désespérément vers son lit. Pour une fois Sonia fut la plus rapide. Dans une action splendide qui aurait fait la fierté de City Hunter, elle se jeta d’un bond superbe sur le Subaru rampant tel l’aigle majestueux fondant sur l’innocent némathelminthe périgourdois pour le rafler. Voilà, c’est exactement ça : on retire "majestueux", on remplace aigle par "pintade", et on a une vision très réaliste de la scène. Bref, pintade Sonia saisit lombric Suméragi et le projeta sur son lit avant que chacal Seishiro ne puisse l’atteindre. Ce dernier, tout dépité, accepta sa défaite et retourna sous ses couvertures en se promettant qu’il y aurait d’autres occasions qu’il ne laisserait pas passer.

-"Attendez Mr Suméragi, je vais vous libérer..." Sonia défit le baîllon du Subaru molesté.

-"Vous allez bien?" Avec la sérénité résignée des martyrs, il répondit :

-"Ben, comme tous les soirs quoi... Merci mademoiselle Pichon, j’ai cru un instant que vous m’aviez oublié!

-C’est vrai, excusez-moi, je lisais un article passionant sur les animaux dans Star Club et j’ai failli partir sans vous décrocher... Attendez, tournez-vous un peu je vais défaire vos liens. Ah j’y arrive pas! Vous avez travaillé dans la marine ou quoi, Mr Sakura?

-Moi? non... Mais, ajouta-t-il en promenant un regard appréciateur sur les circonvolutions Suméragiennes, j’ai une certaine expérience dans l’art d’attacher quelqu’un... Grâce à Subaru je progresse beaucoup, j’ai d’ailleurs mis au point sur le fil que vous voyez une nouvelle méthode d’attachage raccordant tous ses membres à son oreille droite, et...

-Mééééééé! C’est mon fil à scoubidou ça!

-Judicieuse remarque mon sublime Subaru, mais ne m’interrompt pas s’il te plaît...

-Weuu le fil à scouwidou à Hokutooooooooooo!

-Oooooh je suis navré, pardon mon Subaru, ne pleure pas mon cher doux tendre alléchant Subaru, rassure-toi je vais te le rendre... Bientôt..." Il se sourit à lui-même, comme si un idée géniale venait de germer dans son esprit tordu, et il ajouta, ravi : "Je vais faire un genre de scoubidou Suméragi...

-Heu... Non non, S-Seishiro, garde-le je t’en fais cadeau, après tout, je te l’offre... (quel magnifique sens de l’abnégation)

-C’est vrai? Oh merci! Honnêtement, j’avais des scrupules à t’attacher avec le bien de ta soeur..." Scoubidou Suméragi eut alors recours à sa technique de dissimulation habituelle, qui tenait à la fois du phacochère, de la taupe et de l’autruche : il se mit à fouir dans sa literie, et se retrouva dans son terrier sous ses draps en un temps record dénotant une grande habitude. Sa réserve d’audace avait été épuisée lors de sa protestation déchirante face à la perte de son fil à scoubidou.

-"Allez Mr Suméragi ne boudez pas, je vous en achèterai demain du fil à scoubidou, mm?

-Quelle bonne idée Sonia! Il me le prêtera, hein Subaru ma petite fleur en sucre?" On pouvait voir un nuage de vapeur s’échapper par l’ouverture que petite fleur en sucre avait aménagée pour pouvoir respirer. Cependant il (elle?) trouva la force de tenter un action d’auto-défense devant cette menace :

-"Oohh Mademoiselle Pichon, non, sincèrement, ce n’est pas la peine vous savez...

-Mais il faut bien que Mr Sakura s’occupe!

-Ne vous inquiétez pas Sonia, les lys devraient arriver demain..." La forme Suméragi se tassa, s’enfonça dans la literie, vivante et dramatique incarnation de l’accablement.

Sonia jeta un coup d’oeil circulaire autant que dominateur sur la pièce. Bien. Elle avait une fois de plus ramené la paix.

Elle donna une petite tape affectueuse sur la forme Suméragi qui se terrait, se leva, et vit que l’attention de Seishiro s’était relâchée, occupé qu’il était à scruter sous toutes les coutures de manière éhontée les ondulations Suméragiennes dans le but de déterminer si oui ou non elle lui avait collé une main au panier -paske s’agirait pas de venir empiéter sur ses prérogatives. Elle en profita pour saisir par surprise le sac de fils à scoubidous.

-"Hop! Confisqué le fil à scoubidou!

-Ah non! Sonia, veuillez avoir l’obligeance de me rendre ceci, j’ai eu assez de mal à le dérober à l’affriolant Subaru!

-Désolée mais je tiens à ce qu’il soit présentable demain pour la visite! (le fil ou Subaru?)

-Songez que vous venez d’anéantir les patients efforts de trois nuits de ruses machavéliques pour arriver à déboutonner son pyjama! Il dormait avec le sac glissé contre lui!

-Oooooooooooooh Seishiro!" Subaru l’affriolant en oubliait de se ventiler, il était devenu tellement rouge qu’il irradiait à travers la couverture comme une veilleuse, et le choc avait fait monter sa voix d’une quarte, lui faisant perdre le peu de profondeur qu’une mue utopique lui avait péniblement permis d’acquérir après des années d’efforts. Bon, soyons justes, la couverture était peut-être aussi pour quelque chose dans son étouffement. Seishiro, pas démonté pour un rond, poursuivit :

-"Mais ce n’est pas un souvenir si désargréable...

-Heuweuuuuuu?!!! (Subaru au bord de la fracture myocardaire émergea pour s’hyperventiler un grand coup. Quant à Sonia, elle contemplait Seishiro d’un air fixe et atone)

-Ben c’est de ta faute aussi, moi je m’en plains pas remarque -Au contraire, mh- mais quelle idée de ne porter que des grenouillères!!

-Bu? (Subaru ressemblait de plus en plus à un poisson rouge qui fait des bulles et de moins en moins à un onmyouji) Hweu mais heu, Hokuto èmachtait kça...

-Ta soeur a toujours eu un-tel-goût pour te vêtir, mon chaton! Cette grenouillère est presque aussi douce que ta peau, je me suis ré-ga-lé!" Subaru, vivante image de la vertu bafouée (au bord de l’apoplexie même, la vertu), se drapa dans sa dignité... Enfin vu ce qu’il en restait, mettons qu’il se drapa dans sa couverture et se recroquevilla contre le mur afin d’offrir la plus petite surface de peau possible au champ visuel de Seishiro qui avait bien l’air de saliver -mais un Sakurazukamori ne salive pas... Enfin, normalement...

-"Mais, ajouta-t-il d’une voix rauque de félin des savanes, rassure-toi, c’était quand même ta peau la plus douce, le velours le plus fin ne saurait se sortir avec prestige de la comparaison avec ce chef-d’oeuvre satiné..." Sonia, qui était jusqu’à présent occupée à tenter de juguler les débordements de sa chaudière interne, ne put s’empêcher de frissoner à entendre cette voix sensuelle et minauda :

-"Ooooooooh, Mr Sakura, vous en dites de ces choses!" Il lui passa une main sur le dos en souriant, irrésistible :

-"N’est-ce pas..?" Subaru, au-delà de tout, voyait venir le moment où Seishiro allait la renverser sur la table de nuit, et peut-être même le convier à la fête... Son seul moyen d’expression fut une sorte de pépillement-couinement étranglé, si perçant que La Callas, écoeurée, serait allée se rhabiller si elle avait entendu ça (pour avoir une parfaite représentation de ce son, il faut avoir vu Mi-chan mendier un gâteau). Mais cette faible intervention suffit à briser le charme.

-"Pîîî?!!!

-Vous savez Mr Suméragi, dit Sonia, pleine de solicitude, je peux faire quelque chose pour votre problème de voix, on peut vous prescrire un traitement aux hormones, ou quelque chose du genre, pour vous aider à muer!" Pour le coup, Subaru devint complètement aphone.

-"Ah alors non alors! Je ne veux pas que mon délicat Subaru devienne un genre de gorille à poils! Bêrque, rien que d’y penser j’en ai la nausée!" Délicat Subaru aussi n’allait pas tarder à l’avoir, la nausée...

-"B-bon bon, je-j’insiste pas... Oh mais oulala je suis très en retard! Allez y-y faut vraiment que vous dormiez, bonne nuit, à demain!!" Et elle se rua au-dehors.

-"Cette jeune fille me paraît bien nerveuse... T-t-t-t... Et elle m’a pris ton fil à scoubidou dis-donc! Quel dommage..." On ne voyait plus que les yeux pleins d’appréhension de Subaru luire dans l’ombre de la couverture. Seishiro reporta son attention sur la salle de bain ouverte, et un éclair passa dans ses yeux... Enfin, dans au moins un de ses yeux.

-"Subaru, soleil de ma vie... Devine quoi?

-...

-Finalement, la nuit ne sera pas perdue... (Subaru passa la marche arrière et rampa jusqu’à ce que le mur stoppe sa fuite. Là, il se roula en boule et entreprit de faire le popeulsse mort)

-... ...

-Elle a oublié de confisquer le balai de chiottes!!!!" Acheva Seishiro d’un air triomphant en éteignant la lumière.

 

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