Chapitre 3

 

 

Les cris de la foule qui se pressait autour d’eux, l’odeur chaude des épices, la pâle lumière dorée du soleil qui se reflétait sur les murs de marbre de Zenmi-jou et surtout la possibilité d’être sacré Raijin dans l’après midi, tout cela donnait à Taishakuten l’impression de se trouver dans un rêve. Il chevauchait aux côtés de Bishamonten, leurs armées défilant en rangs derrière eux et buvait les clameurs de la foule venue acclamer les héros, les sauveurs pendant la revue militaire précédant le début de la fête.

On n’était encore que le matin et pourtant la foule était déjà arrivée nombreuse pour avoir le privilège d’apercevoir Tentai et ses seconds au cours de cette journée qui s’annonçait déjà comme exceptionnelle. Depuis le lever du soleil, les troupes et leurs officiers se pressaient aux portes du palais. En ces temps de guerre, ils étaient ceux qui intéressaient le plus les badauds, les invités civils, arrivant plutôt en début d’après midi, ne recevant probablement pas un tel accueil.

Taishakuten avait entendu parler de l’incroyable palais de Zenmi-jou mais il ne s’était certainement pas attendu à quelque chose d’aussi grandiose. Plus il s’en approchait, plus le palais lui semblait immense et magnifiquement travaillé. Sans parler du lac et des ponts l’entourant. Pour quelqu’un qui comme lui n’avait connu toute sa vie que la vétusté des tentes militaires, il s’agissait d’un spectacle à couper le souffle. Un jour, se promit-il, je serai un habitué de ce château et tous ses habitants me craindront et me respecteront. Puis en s’adressant à Bishamonten.

-As-tu déjà vu quelque chose d’aussi grandiose ?

-Je suis déjà venu ici une fois, lui répondit Bishamon, d’une voix vaguement mélancolique. J’étais un tout jeune garçon. Mon père, qui était déjà officier dans l’armée de Tentai m’y avait emmené pour que j’assiste à sa montée en grade... J’étais si fier de lui. Et maintenant, me voilà à sa place.

Taishaku ne sut quoi répondre. Il n’avait jamais connu ses parents et n’avait donc aucune ‘jolies anecdotes de famille’ à confier. Ils se contentèrent de chevaucher en silence jusqu’aux lourdes portes de bois qui s’ouvrirent pour les laisser rentrer, eux et leurs troupes dans ce qui allait devenir le lieu de leur destinée.

 

***********************

 

On leur donna une chambre à chacun. En effet, si les soldats étaient les premiers à être invités, c’était pour leur donner la possibilité de se reposer, de se laver, de se changer etc... car des mois de campagnes dans la boue et le sang ne sont pas l’idéal pour se trouver présentable devant le Dieu de tous les Dieux.

Lorsque Taishakuten ouvrit la porte de sa suite, il fut abasourdi par tout ce luxe. Lui qui n’était encore qu’un petit chef de guerre, il n’osait imaginer les chambres réservées aux grands pontes de Zenmi-jou. Des tentures sur les murs, des coussins partout, des tableaux, des bibelots, des meubles en bois précieux et des tas de petits objets dont il ne connaissait même pas l’utilité... et un vrai lit ! Il n’avait pas dormi dans un vrai lit depuis... Il ne s’en souvenait même plus... En fait, c’était plus qu’un vrai lit, c’était un lit gigantesque... A lui seul, il était presque aussi grand que toute sa tente. Posant son paquetage à terre, il ne put résister à plonger au milieu des draps de soie et des coussins multicolores. Un rire grave et puissant s’échappa de sa gorge... Oh oui, c’était cela la vraie vie...

Conscient que s’il restait allongé trop longtemps il s’endormirait, il se leva précipitamment et se dirigea vers la seconde pièce qui devait être, d’après lui, la salle de bain. Il ne s’était pas trompé... A ses pieds se trouvait un bassin qui faisait sans doute office de baignoire et dont les bords étaient couverts de coupelles contenant des sels odorants. L’eau qui s’y trouvait semblait chaude et Taishaku se demanda par quel miracle il en était ainsi. Puis, les problèmes de physique ne l’intéressant pas des masses, il se débarrassa de sa lourde armure boueuse, de sa tunique et se glissa dans l’eau non sans y avoir jeté auparavant une poignée d’un de ses délicieux parfums.

Il commençait à être parfaitement détendu et somnolent, l’eau le couvrant quasi entièrement, quand une voix féminine le tira de sa torpeur.

-Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous Seigneur ?

Il ouvrit les yeux en sursaut, pour trouver une jeune fille belle et très légèrement vêtue au bord de la baignoire. Une servante sans aucun doute.

-Non merci, tout est parfait...

Puis il s’aperçut qu’il manquait...

-Ou est mon armure ! s’exclama-t-il. Elle n’est plus à l’endroit ou je l’avais laissée...

-Nous sommes venus la chercher pour la nettoyer mais ne vous inquiétez pas vous la récupérerez bientôt.

Taishakuten se renfonça dans sa baignoire avec un soupir de soulagement. Au moins, il n’aurait pas à faire cela lui-même....

-Etes vous sûr que vous n’avez besoin de rien d’autre ?

-Absolument sur mademoiselle...

-Pas même pour vous laver ou pour vous vêtir ?

Diable, si toutes les servantes étaient comme cette jeune fille, il y en avait sans doute quelques-uns qui s’amusaient beaucoup à cette heure là mais lui... non il n’était franchement pas intéressé....

-Je vous remercie beaucoup mais je vous assure que tout va bien. Vous pouvez disposer.

-Bien Seigneur.

Taishaku cru entendre dans sa voix comme un soupçon de déception. On allait sans doute l’envoyer vers un autre invité et celui ci n’aurait probablement pas les charmes du jeune guerrier.

 

***************

 

 

Taishaku termina d’attacher la dernière sangle de son armure flamboyante. Un solide gaillard, plus à son goût que la gamine de tout à l’heure, lui avait rapportée si brillante que même lui ne se souvenait pas de l’avoir déjà vu ainsi. Il s’était donc hâté de se vêtir et maintenant admirait son reflet dans l’immense miroir couvrant l’un des murs de sa chambre.

Presque parfait, pensa-t-il, il manque juste... Il saisit un ruban dans l’un de ses sacs et le noua autour de ses cheveux à peu près au niveau de la taille. Parfait maintenant.... Je crois que je ferai une bonne impression à Tentai.... Et faire une bonne impression à Tentai s’était s’ouvrir beaucoup de portes...

Il jeta ensuite un coup d’œil par la fenêtre et s’aperçut qu’il était encore tôt... Trop tôt en fait pour déjà se rendre à la salle du trône. Mais il n’avait aucune envie de rester seul dans sa chambre. Il s’ennuierait, ne saurait pas quoi faire, penserait à la cérémonie, ce qui le crisperait, ce qui n’était pas une bonne chose vu qu’il voulait paraître parfaitement à l’aise devant Tentai.. . . Donc trouver quelque chose à faire... Le bar des officiers ! ! ! !

 

**************

 

Après avoir demandé son chemin trois ou quatre fois (Dieu, que ce palais est immense pensait-il), Taishakuten atteignit le bar des officiers. Celui-ci était déjà empli des soldats venus se détendre entre amis avant de rejoindre les formalités de la cérémonie officielle. Profitant de sa grande taille, il regarda par-dessus les têtes des autres hommes, à la recherche d’un visage connu. Enfin il localisa Bishamonten, attablé avec deux hommes qu’il ne connaissait pas ainsi que Zochoten qui avait été quelques années auparavant son maître d’arme.

Relevant la tête comme pour mépriser ceux qui l’entouraient, un léger sourire narquois accroché à ses lèvres, Taishakuten s’approcha de la table.

-Ah, te voilà enfin, lui dit Bishamonten. Nous t’attendions. Voilà deux personnes que je voulais te présenter.

Taishaku dévisagea les deux hommes en question. L’un était très sombre, ses cheveux noirs, ses yeux noirs, son turban noir, tout cela contrastait avec les anneaux d’or qu’il arborait aux oreilles. Le second était au contraire rayonnant. Ses cheveux dorés qui lui tombaient sur les épaules et ses yeux bleus enchâssés dans un visage excessivement fin donnaient l’impression qu’il luisait.

-Voici, reprit Bishamonten, les Seigneurs Komokuten et Fu-ten Vayue. Messieurs, je vous présente Taishakuten.

-Enchanté, lui fit discrètement Komokuten.

-Moi de même, répondit-il en lui tendant la main.

-C’est vraiment un grand bonheur de vous rencontrer, enchaîna Vayue, avec un sourire rayonnant. On m’avait parlé de votre incroyable allure mais j’avoue que je ne m’attendais pas à quelque chose de tel.

-C’est vrai que tu es magnifique, confirma Bishamon. Je n’avais jamais vu ton armure aussi bien soignée.

-Moi non plus, intervint enfin Zochoten.

-Maître Zochoten, c’est un grand plaisir de vous revoir.

 

Celui-ci éclata de rire...

-Evite les ‘maîtres’, Taishaku. Je sais que tu ne le penses pas. Et puis, tu dois être à présent plus puissant que moi.

-C’est quand même vous qui m’avez appris presque tout ce que je sais.

-Et dieu sait si c’est l’une de mes plus grandes réussites. Je suis fier du parcours que tu as fait depuis le jour où j’ai rencontré ce gamin blondinet à peine assez fort pour soulever son épée.

-Merci, répondit-il en se sentant rougir.

Zochoten était vraiment un homme qu’il appréciait et respectait. Il était bon et intègre, une chose fort rare. Taishakuten prit place à ses côtés, Vayue à sa droite.

-Dis-moi Zochoten, commença ce dernier, pourrais-tu nous raconter des anecdotes amusantes concernant le puissant seigneur Taishakuten.

Une nouvelle fois Zocho éclata de rire.

-Il faudrait des jours pour tout raconter. Mais je ne tiens pas à embarrasser Taishaku avec des histoires de jeunesse.

-Merci Zocho, répondit l’intéressé, fort soulagé de ne pas avoir à entendre des histoires humiliantes sur son compte.

-Dommage, se lamenta Vayue, je suis sûr que ça aurait pu être amusant......

Taishaku commanda une bière et se joignit à la conversation qui bien évidement portait sur la fête.

-On va encore devoir se taper les discours de Tentai, se plaignait Komoku.

-Boah, on en profitera pour chercher les jolies filles que l’on invitera à danser pendant le bal, lui répliqua Bishamon.

-A quoi ressemble Tentai ? s’enquit Taishaku.

-Tu ne l’as jamais vu ? s’étonna Zocho.

-Non, je n’ai jamais eu cet honneur.

-Et bien, expliqua Zocho, il est plutôt grand, blond assez musclé, avec un visage qui commence à être marqué par les années. Il n’est pas très beau mais....

-Le fait qu’il soit toujours entouré de sa fille et d’Ashura-ô ne l’aide pas à être mis en valeur, le coupa Komoku.

-Il parait que la princesse Kisshoten très belle, dit Bishamon.

-Oh oui, on peut réellement le dire, continua Zocho.

-Heureusement qu’elle ne tient pas de son père, s’esclaffa Komoku.

-Et Ashura-ô ? interrogea Taishaku que la princesse ne passionnait pas des masses.

-Et bien, commença Vayue qui jusqu’à présent s’était tu, se contentant d’observer Taishaku du coin de l’œil, Ashura-ô est un homme d’une rare beauté. De plus, il dégage une sorte d’aura... Je ne sais pas comment l’expliquer, une force, une tranquillité, une noblesse.. enfin on ressent tout cela quand on le voit... Ce qui est sûr, c’est qu’il fait tourner bien des têtes.

-Mais qu’il est toujours célibataire, souligna Komoku.

-La reine Ryu aussi, enchaîna Zocho.

-Oui mais elle......

Taishaku n’écoutait plus réellement la conversation qui se poursuivait. Sa curiosité avait été piquée par la description qu’on venait de lui faire du Dieu de la guerre. A quoi un tel homme pouvait bien ressembler.... Ce fut une pression contre sa cuisse qui le fit revenir à la réalité. Vayue avait collé sa jambe à la sienne et du bout du pied caressait lascivement sa cheville et son mollet. Il jeta un coup d’œil au dieu du vent et vit que celui-ci lui adressait un regard plein de sous-entendus. Oui, cet homme le désirait et lui faisait clairement comprendre. Taishaku ne réagit pas, il attendait de voir comment se comporterait par la suite le jeune dieu. Il aimait se faire désirer, faire patienter l’autre jusqu’à ce qu’il se jette sur lui n’en pouvant plus... Et quelque chose lui disait qu’il pourrait beaucoup s’amuser avec Vayue. En fait, il avait sans doute trouvé son compagnon pour la nuit... mais inutile de lui laisser deviner dès maintenant, le laisser un peu attendre et voir la tournure que prendraient les choses.

Vayue, encouragé par la non-reaction de Tai (après tout il ne le rejetait pas...) posa discrètement sa main sur son genou et commença à lui caresser lentement la cuisse, chaque mouvement remontant plus haut entre ses jambes. Le futur Raijin écarta légèrement les cuisses, comme pour confirmer son approbation mais ce fut là l’unique signe qu’il donna. Au moment où Vayue allait atteindre la jonction de ses reins, un homme entra dans la salle et cria d’une voix forte.

-Messieurs, il est temps d’y aller si vous ne voulez pas être en retard à la cérémonie.

Tous les hommes se levèrent à l’unisson et se dirigèrent vers la salle du trône, Vayue laissant échapper un gros soupir de déconvenue.

Chapitre 4