Chapitre 12

 

 

Ashura ô, de nouveau couvert de sueur, ouvrit les yeux. C’était au moins la cinquième fois qu’il se réveillait ainsi en sursaut et pourtant la nuit ne faisait que débuter. Mais sans cesse les cauchemars venaient le tourmenter. Les visions de Taishakuten, autrefois si agréables, lui laissaient à présent un amer goût de solitude dans la bouche et son corps comme son cœur tremblaient de savoir le Raijin hors de sa portée. Si seulement il avait su dès le début accepter ses sentiments au lieu de tout faire pour les rejeter...

Il se tourna dans son lit et ferma les yeux. Encore une fois ces ignobles images assaillirent son cerveau. Lorsqu’il ne s’agissait pas de Taishakuten lui faisant l’amour, il s’agissait de la guerre opposant son héritier et ses compagnons à son bien-aimé... Et l’issu pourtant incertaine de ce combat lui paraissait dans tous les cas tragique.

Excédé, il s’assit et d’une main tremblante décolla de son visage les cheveux humides qui s’y étaient fixés. Il prit une profonde inspiration. Tout ceci n’avait aucun sens. Pourquoi continuer à se torturer ainsi ? Il devait agir et le plus rapidement possible, sinon il n’allait pas pouvoir y survivre. Peu importait la leçon de combat et ses conséquences. Dès demain il irait trouver Taishakuten pour lui exposer ses problèmes et il improviserait selon la réaction du Raijin.

-Taishakuten, murmura-t-il d’une voix enrouée qu’il reconnut à peine, je t’en prie, aide-moi...

Il tendit la main vers la petite commode installée près de son lit et attrapa le verre d’eau qu’un serviteur zélé ne manquait pas de déposer chaque soir. L’eau avait tiédi avec la chaleur de la nuit mais lui fit tout de même un peu de bien. De toutes façons, il ne pouvait être dans un état plus pitoyable que celui dans lequel il se sentait en s’éveillant.

Toujours anxieux, mais n’ayant rien d’autre à faire que de chercher le sommeil, le Dieu de la Guerre se réinstalla et laissa une douce torpeur l’envahir.

 

*****************

 

 

Il ouvrit doucement les yeux mais ne reconnut pas le lieu qui l’entourait. Il n’avait rien de comparable avec tout ce qu’il avait pu connaître jusqu’à présent. Il était aussi différent que possible des luxueux palais qui avaient constitué toute sa vie. Ce n’était qu’une immense place sans fin, vide, sombre et froide. Une brume inquiétante rasait le sol nu.

Où suis-je ? se demanda-t-il.

Enfin, quelque chose devant lui attira son intention. Il ne reconnut pas ce dont il s’agissait au premier abord. Il s’approcha doucement et soudainement la chose lui apparut clairement dans toute son horreur. Son propre fils, Ashura, entravé par un immense cocon. Prisonnier et pourtant si serein, son visage délicat comme figé pour l’éternité.

Il eut un mouvement de recul, subjugué par cet étrange spectacle. La beauté de son fils, fusionné avec cet immonde amas de lianes qui le pénétrait de toutes parts... Puis, retrouvant son courage et poussé par un terrible sentiment de culpabilité il s’approcha du corps.

-Ashura, murmura-t-il, en tendant une main impuissante vers l’objet de son affection.

Il sentit des larmes se former au creux de ses paupières mais les retint. A quoi bon pleurer alors qu’il était déjà trop tard ? Cette pensée gonfla son cœur de désespoir. N’y avait-il donc aucune solution ?

C’est l’endroit où dorment mes péchés, se dit-il, un cauchemar sans fin.

En ces lieux, son fils reposerait éternellement. Son propre égoïsme l’avait poussé à vouloir un enfant malgré les conséquences tragiques que cela provoquerait et maintenant il venait le hanter, l’accusant silencieusement de la vie de souffrance qu’il lui avait offerte.

Voilà ce que j’ai fait...

Il avait pensé contrôler la situation, tout planifié pour que cela n’arrive jamais et pourtant...

-Pardon.

Son cœur était torturé par les remords. Mais comment aurait-il pu imaginer que cela irait aussi loin ?

Il s’approcha de son enfant, celui pour lequel il allait sacrifier tout ce qui lui importait et du bout des doigts, caressa ce visage qui demeurerait éternellement jeune.

-Si j’avais su que cette histoire se terminerait ainsi...

Il passa la main dans ses cheveux soyeux qu’il ne pourrait jamais toucher autrement qu’en rêve. Puis, prenant dans ses bras ce corps froid et inanimé :

-Je n’aurais jamais pu...

Mais maintenant il était trop tard. Il avait décidé de défier l’ordre du ciel et rien ni personne ne pourrait le faire revenir en arrière... Qui sait, peut être lui restait-il une dernière petite chance de sauver son âme et surtout celle de son fils...

-Pardonne-moi.

 

 

 

********************

 

Il ouvrit les yeux et se rendit compte que ses joues étaient humides des larmes qu’il avait pourtant tenté de refouler. Encore l’un de ces rêves obsédants... Un rêve ou une vision d’un avenir tragique qu’il allait lui-même mettre en place...

Trop tard désormais pour penser à cela, chuchota une petite voix dans sa tête.

Oui, trop tard, approuva-t-il. Il allait se marier et concevoir cet enfant qu’il désirait tant même si le ciel tout entier devait en pâtir. Et dans cette lutte contre le destin, Taishakuten serait sont allié quelqu'en soit le prix à payer.

Un rayon de soleil apparut au pied de son lit et il vit cela comme un présage. Peut être cette journée n’allait-elle pas être aussi mauvaise que ce à quoi il s’attendait... De toutes façons, il était temps de se préparer pour rejoindre Tentai.

Ashura se leva, se lava, se vêtit et quitta sa chambre, ignorant encore que ce n’était pas seul qu’il y reviendrait à la nuit tombée...

 

 

*******************

 

Taishakuten marchait sous les voûtes d’une galerie menant aux jardins principaux du palais Zenmi. Il avait vraiment besoin de prendre l’air. Non seulement il était toujours de sale humeur à cause de sa bévue de la veille mais en plus il avait une gueule de bois comme il en avait rarement connue.

-Ca m’apprendra tiens à me soûler de la sorte...

Il était pourtant parvenu à ce que son état ne se remarque pas trop. Il avait certes les traits tirés mais l’ensemble de sa personne paraissait néanmoins acceptable.

Il s’approcha de la rambarde surplombant les jardins et respira une bouffée d’air frais. Par le ciel, qu’un peu de calme faisait du bien après une telle folie.

Une ombre sortit alors de derrière un pilier voisin et s’avança vers lui.

Au bruit d’approche de ses pas, Tai tourna la tête et reconnut immédiatement le jeune homme qui lui lançait un sourire triomphant.

Oh non, pensa-t-il, manquait plus que celui là.

-Bonjour Raijin Taishakuten ! s’exclama Vayue. C’est une belle journée n’est ce pas ?

-Magnifique, grommela l’interpellé.

-Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu... Vous m’avez beaucoup manqué.

-J’aimerai pouvoir en dire autant, répliqua Taishakuten en lançant à Vayue son regard le plus hostile, celui là même qui suffisait à faire fuir les démons. Pourtant le Dieu du Vent ne perdit pas sa belle assurance et lui adressa un sourire plus large encore.

-Je tenais à vous féliciter pour votre brillante démonstration d’hier.

-...

-Je n’aurais pourtant jamais cru que vous oseriez régler vos scènes de ménages en public.

 

Vayue se retrouva brusquement plaqué contre le garde-fou, les yeux haineux de Taishaku plantés dans les siens.

-Ecoute-moi bien sale petite ordure, murmura le Raijin d’une voix perfide. Je te conseille de faire attention à ce que tu dis ou tu pourrais très rapidement le regretter.

-Voyons Tai, j’imaginais que tu avais plus d’humour que ça, répondit Vayue dont le regard commençait à perdre de son aplomb.

-Mais j’ai de l’humour, beaucoup d’humour... Tu veux qu’on joue un peu pour que je te le prouve...

Et Tai fit mine de le jeter par-dessus la rambarde.

-NON ! ! ! s’écria Vayue.

-Tu n’as pas trouvé cela drôle ? Voyons Vayue, où est donc passée ta belle humeur ?

Il relâcha Vayue qui recula de quelques pas, hors d’atteinte du Dieu furieux. Il avait voulu jouer la provocation mais cela s’était retourné contre lui. A quoi bon de toutes façons vouloir paraître ce qu’il n’était pas. Taishakuten n’était pas un homme à se laisser berner par un masque.

A présent, il ne pouvait empêcher ses véritables sentiments de remonter. Et il n’en avait plus la volonté d’ailleurs.

-Tai, réponds-moi franchement... s’il te plaît.

Devant la mine déconfite du Dieu du Vent, Taishakuten ne put que hocher la tête.

-Qu’y a-t-il... commença-t-il.

Il reprit son souffle quelques instant et planta son regard dans celui du Raijin.

-Tu me promets de ne pas t’emporter et de ne pas me jeter par dessus bord, n’est ce pas ?

-Oui...

-Alors qu’y a-t-il entre Ashura ô et toi ? Je veux dire... La dernière fois que nous nous étions vus, tu n’avais d’yeux que pour lui, mais hier... Tu as agi comme si tu le haïssais... Je ne comprends plus...

Tai ne put retenir un sourire amer et répondit d’une voix à peine plus audible qu’un murmure :

-Rien... Il n’y a absolument rien entre lui et moi... Et je crois qu’il n’y aura jamais rien...

-Alors pourquoi ? s’emporta Vayue. Pourquoi tu ne veux pas de moi ?

-La situation n’est pas aussi simple que cela...

 

Le Dieu du Vent détourna la tête et se mit à fixer le sol, sans réellement bouger. Seuls ses poings se serraient et se desserraient convulsivement.

-Explique-toi Tai !

-...

Soudainement, face à l’absence de réponse du Raijin Vayue sortit de son apparent mutisme et se jeta sur lui. Il entoura sa taille de ses bras tremblants et le serra de toutes ses forces contre lui puis posa sa tête sur la puissante poitrine.

-Je ne comprends pas, murmura-t-il.

-Il n’y a rien à comprendre, répondit laconiquement Taishakuten.

-Mais moi...

Il marqua une pause avant de reprendre d’une vois frêle et mal assurée.

-... Moi je t’aime Tai. Je t’aime. Toutes ces nuits loin de toi à rêver de ton visage, de ta voix, de ton corps... Toutes ces nuits à maudire le Dieu de la Guerre dont je croyais qu’il était ton amant... Toute cette haine et cette jalousie que j’ai ressenties quand j’ai appris qu’il t’avait rejoint à l’Ouest... Et enfin cet espoir fou hier quand j’ai pris conscience qu’il n’y avait rien entre vous.

-...

-Réponds-moi ! Dis au moins quelque chose !

-Que veux-tu que je dise ?

-Dis-moi que tu m’aimes ! Et même si ce n’est pas le cas dis-moi au moins que tu vas essayer... Que tu vas me donner ma chance ! ! ! Je t’en prie Tai... Je ne demande pas grand chose... Rien qu’une toute petite chance...

Vayue n’avait plus rien à voir avec le flamboyant soldat qu’il était habituellement. On le sentait au bord des larmes. Des larmes amères qu’il retenait avec les dernières forces de sa volonté.

-Je suis désolé. C’est impossible...

Et doucement, Tai s’écarta du Dieu du Vent. Il se sentait peiné pour lui. Il avait lui-même traversé de telles affres et comprenait ce que pouvait ressentir le jeune homme devant lui. Mais malgré toute sa sollicitude il ne pouvait répondre aux attentes de Vayue. L’image d’Ashura ô était encore trop présente dans son esprit.

-Tai... Je veux juste te rendre heureux. Te voir sourire... Ton merveilleux sourire... On dirait que tu l’as perdu...

-Vayue... Si vraiment tu veux me rendre heureux, reste en dehors de tout cela. Je comprends ce que tu ressens, bien mieux que tu ne le croîs mais... Mais je ne peux rien pour toi actuellement. Peut-être que plus tard, je pourrais t’offrir ce que tu recherches mais pas maintenant. Le mieux serait que tu trouves quelqu’un d’autre... Quelqu’un capable de t’aimer. Moi, je ne peux pas.

-Je comprends, murmura le Dieu du Vent en se retirant de quelques pas. Mais si tu changes d’avis, tu sais ou me trouver... Je t’attendrai.

-Non, ne m’attends pas. Ne gâche pas ta jeunesse à cause de moi. Regarde autour de toi, le monde est plein de charmants petits soldats qui rêvent de s’offrir à toi. Va les rejoindre et oublie-moi.

-Je suivrais ton premier conseil mais pour ce qui est du second... c’est complètement indépendant de ma volonté.

-Au revoir Vayue.

-Au revoir Taishaku et merci...

-De quoi ?

-Merci de n’avoir pas ri de ma déclaration.

Tai lui adressa un léger sourire.

-De rien... Ce n’était pas drôle, juste touchant...

Et Vayue se retourna et s’éloigna d’un pas chancelant. Sa silhouette semblait si petite, si fragile... Taishaku crut voir ses épaules trembler légèrement, comme secouées par des pleurs.

Ai-je donc moi aussi une allure si misérable ? se demanda-t-il.

Après tout, sa situation n’était guère éloignée de celle de Vayue sauf que lui... Il se sentait lâche car il n’avait pas eu le courage de faire sa déclaration à Ashura ô.

Il regarda le ciel bleu dans lequel volaient des oiseaux multicolores et poussa un long soupir. Aurait-il suffisamment d’assurance un jour pour enfin avouer ces sentiments qui le troublaient depuis le moment où il avait aperçu le dieu de la guerre ? 

Par le ciel, pensa-t-il, il faudra bien qu’il sache un jour, sinon... Sinon je n’ai plus aucune raison de vivre... Mais au moins, cette confrontation a fait passer ma gueule de bois...

 

 

******************

 

Ashura ô, en compagnie de Tentai, écoutait la mélodie créée par le talent sans égal de Kendappa ô. L’empereur semblait serein. Il fixait la jeune déesse avec un sourire de contentement aux lèvres. Le dieu de la guerre quant à lui, tentait d’afficher la même expression détendue mais les problèmes et les questions qui sans cesse venaient tourner dans son esprit laissaient paraître une pointe d’inquiétude dans son regard doré. Cependant, il préférait se trouver ici que d’être confronté, comme il en avait l’intention plus tard, à Taishakuten pour lui demander son aide.

Et tu crois peut-être, l’interrogea sa petite voix intérieure, qu’il va accepter juste comme ça pour tes beaux yeux ? 

Non bien sûr que non mais... Peu importe ce qu’il demanderait, il l’obtiendrait. Et après tout, qu’est ce qu’un homme de son ambition peut demander de plus que de devenir empereur ?

Son dialogue intérieur fut interrompu par l’apparition à l’autre bout de la salle de son amie Ryu ô. Tentai accueillit la jeune femme avec un évident plaisir. Tous deux se mirent à discuter de la compétition de combat organisé pour les enfants de la cour et dont Ryu ô avait été l’organisatrice.

Ashura ne suivit leur échange que d’une oreille distraite mais il ne put s’empêcher de saisir au passage des noms comme Yasha et Karura ... Deux noms qui lui étaient bien trop familiers de par ses visions.

Par le ciel, se dit-il, que vais-je faire de l’avenir de ces deux enfants ? Je suis leur bourreau...

Puis la discussion se déplaça sur l’état matrimonial de Ryu ô et Ashura sut qu’il devait y prêter une plus grande attention car Tentai sollicitait souvent son opinion sur un tel sujet. Autrefois, il avait été un précieux allié de Ryu, féru défenseur du célibat, mais depuis l’annonce de son mariage avec Shashi, la jeune femme devait résister seule à Tentai.

-N’est-ce pas Ashura ô ? lui demanda Tentai.

Et voilà, je m’en doutais, pensa le Dieu de la guerre.

-Vous avez raison Seigneur.

Et Ashura ne put retenir un léger sourire à la vue de la jeune femme rougissante.

Ensuite Tentai aborda le sujet de la guerre et Ashura, même s’il avait voulut suivre la conversation, n’aurait pu tant son esprit était assailli des visions des combats à venir. Des combats impliquant le futur fils de Ryu...

Pardonne-moi Ryu, pensa Ashura.

... Mais aussi la jeune femme qui pour l’instant n’était encore que la petite fille du roi Karura ô ainsi que le futur roi de la famille Yasha et enfin... Enfin son propre fils et Taishakuten.

Alors que l’image du Raijin s’inscrivait dans son esprit, son nom fut prononcé par Tentai. Ashura ô ouvrit alors les yeux qu’inconsciemment il avait fermés. Il était primordial qu’il intervienne en faveur du Raijin puisque apparemment Ryu lui était défavorable. Il devait le rendre puissant, lui donner un maximum d’hommes. Ainsi seulement il serait en mesure de vaincre les armées de Tentai.

Puis Ryu prononça ces mots :

-Je pense qu’il serait capable de se retourner un jour contre vous, Seigneur.

Par le ciel, s’alarma Ashura. Ryu avait-elle tout compris ? Non, impossible... Elle devait tout simplement avoir été impressionnée par l’attitude du Raijin...

Parce que toi il ne t’a pas impressionné peut être ? interrogea la petite voix.

Ca suffit avec ça ! la coupa Ashura.

-Ce que vous dites est très grave, enchaîna Tentai. Ashura ô, qu’en pensez-vous?

Voilà mon erreur, pensa Ashura tandis que des visions de son fils pris au piège de son propre destin s’imposaient à lui.

-Il me semble que Taishakuten mérite le grade de Dieu Gardien, répondit-il d’une voix serrée.

C’est par ma volonté que j’ai commis une erreur...

-De plus...

Je sais que c’est une erreur... Je ne devrais pas...

-Avez-vous quelque chose à dire ? interrogea Tentai.

-Non, rien...

J’ai déjà fait assez de mal comme ça...

-... C’est à vous de prendre la décision.

-Très bien, acquiesça l’empereur.

-Si Ashura ô est d’accord, reprit Ryu ô, je n’ai rien d’autre à ajouter.

Ce sourire tellement confiant que la reine lui adressait. Oh Ryu, si tu savais à quel point je suis ignoble... Pardonne-moi mon amie... Je t’en prie... Par mon propre égoïsme ton fils... Je ne devrais pas... Il est trop tard...

Les voix de Tentai et de Ryu le ramenèrent rapidement à la réalité. La reine s’emporta contre lui puis Tentai lui accorda la permission de se retirer. Enfin il allait pouvoir méditer seul sur l’ignominie de sa conduite.

 

****************

Je suis impardonnable, se disait Ashura ô en avançant dans les couloirs heureusement déserts de Zenmi-jou.

Il devait encore une fois être sûr... Il savait cela inutile bien sûr mais tout de même... Juste encore une fois... Il pénétra dans la pièce sombre et appela doucement Kuyo. La prêtresse l’accueillit avec son habituel sourire mais dès qu’elle dévia la conversation sur le proche mariage du Dieu de la Guerre ses yeux se perlèrent de larmes.

Kuyo... pensa Ashura. Je connais vos sentiments pour moi et je sais que je vous ai blessée en choisissant Shashi pour épouse... Mais cela était indispensable. Excusez-moi de vous manipuler de la sorte.

-Kuyo...

-Oui ?

-Serait-il possible d’empêcher... la fatalité de l’étoile ?

-....Non.

-Personne ne pourrait l’empêcher ?

Par le ciel Ashura, tu lui as déjà posé la question cent fois ! Tu sais pertinemment que c’est impossible !

 

-Non, personne.

Puis Kuyo lui expliqua les conséquences désastreuses que pourrait avoir une telle entreprise.

Je sais tout cela Kuyo, se dit Ashura. Et pourtant, je dois le faire. Je ne peux accepter un tel destin... Je ne peux subir cela...

-Kuyo, pensez-vous que ce serait stupide de se révolter contre son destin ?

-Ashura ô...

Kuyo... Vous vous doutez de mes projets... Et pourtant vous ne vous y opposez pas. Je trahirai les étoiles et je me révolterai contre ciel et terre. Je détruirai le ciel simplement pour sauver mon enfant.

Soudainement, une voix claire interrompit ses pensées.

-Kuyo ? Je vous dérange ?

-Ah, c’est vous Yama... Entrez.

Et c’est ainsi qu’Ashura ô rencontra celui qui lierait son destin à celui de son fils. Yama, futur roi de la famille Yasha. L’être par qui et pour qui vivrait son enfant.

Des images du jeune garçon adulte serrant le petit Ashura dans ses bras traversèrent son esprit... La force de l’amour, c’est sur cela qu’il comptait pour changer la trajectoire des étoiles.

-Dîtes moi... interrogea Ashura ô en posant une main sur l’épaule du futur Dieu Gardien. Si la chose la plus importante à vos yeux en ce monde se mettait à vous causer des ennuis... Que feriez vous ?

Yama le regarda de ses grands yeux candides avant de répondre avec force et conviction.

-Je la protègerais... Je la protègerais de toutes mes forces !

-Alors soyez très fort, car un jour vous devrez protéger cette chose... Votre étoile de la fatalité Yasha ô.

 

*******************

 

La nuit était tombée et Ashura s’apprêtait à retourner dans son palais. Il avait quitté Kuyo et le petit Yama quelques minutes auparavant et malgré les paroles de la prêtresse, il se sentait confiant. Il savait que le futur Yasha ô irait jusqu’au bout. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à convaincre la pièce maîtresse de son plan diabolique : Taishakuten.

Mais comment l’aborder, comment lui parler, comment le persuader ?

 

*******************

 

Taishakuten errait dans Zenmi-jou sans but précis. Certes, le soleil était déjà couché mais il n’avait aucune envie de dormir. Encore et encore, il tentait de trouver une façon d’avouer à Ashura ô son amour, mais rien... Rien ne lui venait à l’esprit... Alors il marchait... Lorsque soudainement d’autres bruits de pas s’avancèrent dans sa direction et son cœur ne fit qu’un bond dans sa poitrine quand il s’aperçut qu’ils étaient produits par Ashura ô.

 

*********************

 

Ashura ô ne remarqua la présence du Raijin que lorsque celui ci ne fut qu’à quelques pas de lui. Ils étaient seuls dans l’immense hall. C’était le moment où jamais de lui poser la question... De toutes façons il allait bien devoir le faire un jour ou l’autre alors autant se débarrasser de cela le plus rapidement possible.

-Taishakuten...

Comme à chaque fois qu’il était en présence du Raijin, son cœur s’emballa. Il était superbe ainsi vêtu de son armure d’argent, sa cape immaculée et ses cheveux d’or volant derrière lui.

-Ashura ô...

Taishakuten s’avança doucement dans sa direction, comme hésitant.

-Vous étiez sur le point de partir ? interrogea le Dieu de la Foudre.

Mais avant qu’Ashura n’ait pu répondre, il enchaîna.

-Vous ne devriez pas vous déplacer sans escorte... Certaines personnes en veulent à votre vie.

Par le ciel ! jura Taishakuten. Qu’est ce qu’il me prend de lui faire des réflexions pareilles ! Reprends-toi bon sang ! Dis-lui... des choses agréables pour une fois !

 

Mais le Dieu de la Guerre ne sembla pas s’offusquer et lui posa une question qui le prit complètement au dépourvu.

-Taishakuten, avez vous jamais cru que l’on puisse changer le destin ?

Pendant une courte seconde, le visage du Raijin perdit toute agressivité et Ashura pensa même lire de la tristesse au fond de ses magnifiques yeux de glace. Puis reprenant son habituelle attitude arrogante, Taishaku répondit :

-Pour arriver à mes fins, je suis prêt à changer la course même des étoiles.

Oh Ashura, se dit Tai. Pourquoi faut-il que tu me poses de telles questions ? Si tu savais à quel point je suis prêt à tout sacrifier et même ma propre vie pour n’avoir ne serait-ce qu’un peu d’affection de ta part.

-Dans ce cas... reprit le Dieu de la Guerre.

Il captura le regard du Raijin.

-... J’aimerais que vous m’aidiez à réaliser cette chose impossible.

Ca y est ! Il l’avait fait ! Il avait demandé son aide à Taishakuten !

Celui ci sembla prendre quelques secondes de réflexion...

Ashura, se demanda Taishakuten. Ai-je bien compris ce que tu viens de me dire. Oui... Aucun doute possible... Dans ce cas... Il devait tenter sa chance ! Il n’aurait peut-être plus jamais l’occasion de le refaire. Ashura était là, si proche de lui...

Sentant que son sang bouillonnait dans ses veines, il s’entendit prononcer ces paroles :

-En échange, me donnerez-vous ce que je désire posséder ?

Nous y voilà, pensa Ashura... Je me doutais bien qu’il me demanderait quelque chose en retour... Taishakuten... Quel tour vas tu encore me jouer après tant de souffrances... Mais au moins le Raijin n’avait pas rejeté sa proposition.

-Quelle est cette chose ? interrogea Ashura, le cœur noué par l’angoisse malgré ses efforts vains pour dissimuler ses sentiments.

Pourquoi suis je si fébrile ? se demanda-t-il. Qu’ai-je à redouter ?

Pendant ce temps, le Raijin ne l’avait pas quitté des yeux. Son souffle paraissait s’être accéléré et son visage avait pris une expression grave et sérieuse qu’Ashura n’aurait jamais cru possible de la part d’un homme d’une telle réputation.

Taishaku n’en pouvait plus. Il lui fallait avouer, tout dire à Ashura. C’était le moment où jamais. Allait-il y survivre si son amour le rejetait ?

Ashura vit la délicate main blanche de Taishaku s’avancer vers son visage et plonger dans sa chevelure... Si doucement, si...Tendrement. Ce simple contact lui envoya des frissons dans tout le corps. Après si longtemps... Enfin...

Ohhhh, la chevelure d’Ashura, encore plus douce que dans ses rêves les plus profonds. Si soyeuse contre sa peau. Ashura... Je t’aime... Tai se retint de caresser ce visage si proche de la perfection sur lequel il lisait maintenant les sentiments les plus confus...

 

Enfin le Raijin retrouva sa voix et répondit à la question d’Ashura :

-C’est vous.

Quelques mots simples pour avouer tout son amour à l’homme qui devant lui venait de baisser la tête dans un geste d’infinie tristesse.

Ainsi donc je serais puni jusqu’au bout, pensa Ashura. Certes, ce qu’il avait lu dans les yeux de Taishakuten, l’incroyable force de l’amour que le Raijin avait pour lui, aurait dû le réjouir et pourtant... Pourtant Ashura savait que même si leurs sentiments étaient communs, jamais le bonheur ne leur serait accordé. Il avait décidé de défier le destin et il serait puni de la pire des manières. Savoir son bonheur si proche et pourtant ne jamais pouvoir l’atteindre... Pire encore, tout faire pour le briser... Tel allait être désormais son fardeau .

Je serai ton malheur Taishakuten. Pourquoi ne l’as-tu pas compris ? Tu aurais pu me demander n’importe quoi mais ça... Nous allons tous deux y laisser notre âme et notre cœur.

Enfin, il répondit au Raijin :

-Si c’est le prix à payer pour infléchir le cours du destin...

Taishakuten s’arrêta un instant de respirer. Ashura allait lui appartenir alors peu importait ce que le Dieu de la Guerre allait lui demander... Pour lui il serait même prêt à brûler le ciel. Mais tant de tristesse et d’amertume dans ces yeux dorés... Pourquoi ?

Ashura, se dit Taishakuten. Je ne sais pas ce qui te tourmente ainsi mais je te promets de tout faire pour te rendre heureux de nouveau... A mes côtés.

Mais finalement Ashura redressa la tête et lui adressa un merveilleux sourire, certes discret mais bien présent. Même ses yeux semblaient briller de bonheur et de douceur.

-Suivez-moi Raijin.

Et Ashura ô s’engagea dans le corridor menant à l’entrée de Zenmi-jou.

C’est ce que j’ai toujours rêvé de faire... pensa Ashura. Même si cela ne nous attirera que des malheurs.

Il entendit le bruit des pas de Taishakuten qui le suivait.

 

Chapitre 13